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Style et équivalence en traduction : la métaphore comme style d’écriture

2. Théories et style, les théories du style

2.1 Tournants et nouveaux paradigmes

Avant d’aborder le style du traducteur et le style en traduction, il convient de rappeler que l’objet d’étude de la stylistique comparée était la comparaison de plusieurs langues pour détecter les convergences et les divergences sur le plan lexical, syntaxique et stylistique. En 1958, Jean Darbelnet et Jean-Paul Vinay proposaient déjà une approche comparative dans Stylistique comparée du français et de l’anglais : méthode de traduction. Dans La Stylistique anglaise, Sandrine Sorlin explique que

[…] la stylistique « reçoit » des deux disciplines [linguistique et littérature] et tente, en retour, d’enrichir les deux champs. La stylistique n’a pas cependant pour seul objet d’étude la littérature mais tout discours, écrit ou oral, appartenant à des genres variés. Nous pourrions dès lors la définir plus généralement ainsi : la stylistique vise à saisir la façon dont un discours (écrit ou oral) utilise les potentialités de la langue à des fins spécifiques dans un contexte particulier de production et de réception.(Sorlin, 2014 : 12)

Sorlin mentionne deux axes de recherche dans cette discipline, à savoir une stylistique qui aspire à enrichir la théorie linguistique et une stylistique « plus littéraire » qui met les outils linguistiques « au service de l’interprétation des textes ». En ce sens, « l’objet littéraire n’est pas alors seulement appréhendé du point de vue des idées qu’il véhicule mais à partir de ce qui constitue sa substance, le matériau linguistique, afin de montrer comment fond et forme se répondent » (Sorlin, 2014 : 12).

Comme plusieurs disciplines des sciences sociales, la stylistique a été marquée par le « tournant culturel » des années 1990. Il en va de même pour la traductologie. En effet, l’épicentre des études relatives au style en traduction a subi une sorte de glissement pendant les dernières décennies qui lui a permis de faire des va-et-vient de la sphère du texte/auteur source à la sphère du texte/écrivain cible. Bassnett et Lefevere (1990) définissent le « tournant culturel » en traductologie comme l’événement qui a permis d’instaurer la visibilité du traducteur en tant que médiateur entre les cultures :

Now, the questions have changed. The object of study has been redefined; what is studied is the text embedded in its network of both source and target cultural signs and in this way Translation Studies has been able both to utilize the linguistic approach and to move out beyond it. (Bassnett et Lefevere, 1990 : 12)

Il s’agit, entre autres, de rééquilibrer le rapport de force qui existait entre le texte original et sa traduction en redéfinissant l’objet d’étude, c’est-à-dire la traduction qui s’inscrit dans deux dimensions distinctes mais étroitement liées : la culture source et la culture cible. Ainsi, les recherches traductologiques ont pu élargir leur champ d’études et se situer à la croisée de diverses disciplines, notamment, la linguistique et la stylistique. Même si nous évoquons seulement le tournant culturel, il convient de rappeler que les tournants en traductologie sont nombreux. Dans son ouvrage The Turns of Translation Studies, Mary

Snell-Hornby (2006) en propose une étude détaillée. Dans la présente partie, nous ciblerons uniquement les paradigmes pertinents à notre recherche.

D’une part, l’intérêt porté au texte cible et à la culture d’arrivée (Hermans, 1985 ; Toury, 1995) s’inscrit dans le cadre de la méthode cibliste, « the target-oriented approach ». Simeoni (1997 : 4) précise que libérer le texte cible du poids de la culture source demeure une étape fondamentale dans la recherche en traductologie : « the single most important act of emancipation for the discipline ». De l’autre, il demeure nécessaire de tisser un lien chronologique entre ce nouveau paradigme en traductologie et l’émergence d’une nouvelle théorie littéraire dans les années 1970 marquée par deux célèbres noms, à savoir Roland Barthes et son article « La mort de l’auteur » de 1968, auquel Michel Foucault a réagi à travers son texte « Qu’est-ce qu’un auteur ? », lors d’une conférence en février 1969, à la Société Française de Philosophie. En annonçant la mort de l’auteur, Barthes accorde au lecteur une place plus importante et s’oppose à la tradition littéraire qui mettait l’auteur sur un piédestal. En effet, le nouveau paradigme de lecture, annoncé par Barthes, aspire à interroger l’acte de lecture et à mettre le texte au centre de tous les regards :

Ce texte-là, qu’il faudrait pouvoir appeler d’un seul mot : un texte-lecture, est mal connu parce que depuis des siècles nous nous intéressons démesurément à l’auteur et pas du tout au lecteur, la plupart des théories critiques cherchent à expliquer pourquoi l’auteur a écrit son œuvre, selon quelles pulsions, quelles contraintes, quelles limites. Ce privilège exorbitant accordé au lieu d’où est partie l’œuvre (personne ou Histoire), cette censure portée sur le lieu où elle va et se disperse (la lecture) déterminent une économie très particulière (quoique déjà ancienne) : l’auteur est considéré comme le propriétaire éternel de son œuvre, et nous autres, ses lecteurs, comme de simples usufruitiers ; cette économie implique évidemment un thème d’autorité. (Barthes, 1984 : 34)

Barthes a remis en question la notion de « propriété » de l’œuvre, tout comme le fera Michel Foucault, ce qui a engendré un retournement de situation contribuant, directement

et indirectement, à changer le regard qu’on porte sur le traducteur, premier lecteur de l’œuvre, et aux autres lecteurs en général. En effet, si le traducteur est le deuxième écrivain d’une œuvre source, il est incontestablement le premier lecteur et le premier écrivain de la traduction. Il en découle que tout acte de traduction naît suite à une lecture et se concrétise progressivement en se modelant sous une forme écrite. Mettre en question la légitimité du traducteur vis-à-vis de son texte et l’opposer à la primauté de l’auteur d’origine est semblable à vouloir déterminer qui est l’aîné des jumeaux. En un mot, l’ordre de naissance n’est qu’une frise chronologique.