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La métaphore et sa traduction : une panoplie de définitions et de stratégies

Métaphoriser ou l’art de traduire

3. Traduire la métaphore

3.1 La métaphore et sa traduction : une panoplie de définitions et de stratégies

Dans le cadre de la traductologie descriptive, van den Broeck s’évertue à analyser trois méthodes pour traduire la métaphore. En premier lieu, il remarque que la métaphore poétique se distingue par le fait de violer « les règles de restriction du langage normal ». Elle réaligne les concepts et serait ainsi facile à traduire en cas de violation sémantique et en l’absence de normes strictes. En un mot, pour la traduire, il suffit de transgresser également les règles de la langue cible. Dans le cas de la métaphore conventionnelle, le traducteur doit affronter les normes esthétiques dominantes et les aspects culturels de l’époque dans la mesure où la métaphore est ancrée dans l’espace spatio-temporel de son

utilisation. Elle devient donc une sorte d’héritage culturel commun. Sa traduction exige un processus de décodage et de transfert approprié. Cependant, van den Broeck souligne le risque de surtraduction ou de rendre le conventionnel nouveau dans ce cas. Quant à la métaphore lexicale dite morte, le traducteur doit faire attention à sa pertinence fonctionnelle qui est déterminante dans la situation communicative dans laquelle elle est utilisée. Le défi réside dans la capacité à mesurer « l’intention métaphorique », car il existe plusieurs niveaux d’interprétation. S’agit-il d’un usage anodin ou d’une envie de la replacer au premier plan ? Le deuxième cas impliquerait la possibilité de réanimer une métaphore morte.

Il va de soi que toutes les stratégies citées forment une sorte de boîte à outils qui offre au traducteur matière à réflexion dans sa pratique traductive. Néanmoins, même si les courants traditionnels ont permis de mettre en place un ensemble de stratégies concernant la traduction de la métaphore, ces dernières demeurent limitées et n’offrent pas de solutions systématiques en adéquation avec sa nature complexe. Dagut explique que traduire la métaphore ne peut pas être fondé sur une mise en place de règles générales :

There is no simplistic general rule for translation of metaphor, but the translatability of any given SL metaphor depends on (1) the particular cultural experiences and semantic associations exploited by it, and (2) the extent to which these can, or not, be reproduced non-anomalously in TL, depending on the degree of overlap in each particular case.(Dagut, 1976 : 32)

Il est évident que la traduction transmet un message pour que le lecteur cible puisse le déchiffrer. Par conséquent, en traduisant la métaphore, l’énoncé doit être préservé pour pouvoir avoir accès à ce que l’auteur veut dire. Une traduction mot-à-mot d’une métaphore, si elle ne détériore pas l’énoncé, peut être acceptée. Quelle que soit la stratégie traductive choisie, les associations créées dans une métaphore doivent être maintenues. Cette idée a été également soulignée par Lakoff et Turner (1989). Ces derniers expliquent

qu’il n’existe pas d’ensemble de règles figées qui régissent la traduction de la métaphore. En effet, selon la théorie conceptuelle de la métaphore de Lakoff et Johnson (1980), « les concepts sont organisés » soit par « des projections métaphoriques », soit selon une sorte de « cartographie » (mapping). La connaissance matérielle que l’on a du monde concret ou du domaine sensorimoteur permet de créer des similarités pour établir des concepts abstraits, offrant ainsi un domaine de subjectivité. En d’autres termes, nos sens et notre présence matérielle nous permettent d’aller au-delà de notre réalité pour créer une représentation abstraite par le biais d’une carte de liaisons infinies. La nature même de la métaphore peut être comparée à celle de notre système nerveux où les informations sont transmises au moyen de prolongements cellulaires, la chaîne de neurones. La métaphore est donc un pilier de la cognition car elle représente le moyen de prolonger la pensée.

Attribuer à la métaphore cette dimension cognitive implique que la tâche de la traduire doit à la fois l’exprimer dans une nouvelle langue et selon un schéma cognitif différent pour garder son rôle dans le discours et en préserver le sens. Théoriquement, la tâche peut souvent paraître assez accessible. Cela dit, nous pensons que traduire la métaphore représente parfois un cas de traduction-limite dû à une situation marquée par l’instabilité : la métaphore peut présenter un espace où les mots, le sens et l’effet résistent à la plume du traducteur. Ce sont donc des situations où l’action du traducteur est limitée par un élément qui peut être d’ordre linguistique, stylistique, pragmatique, phonologique, cognitif, etc. C’est ce qu’on appelle un cas de « solipsisme linguistique ». Yvan Elissalde (2000 : 227), dans Critique de l’interprétation, explique que le solipsisme linguistique est « la conséquence sophistique du postulat de la non équivalence des significations entre langue de départ et langue d’arrivée ». Elissalde ajoute qu’il s’agit d’une logique fallacieuse, qui

commence par poser que traduire est recréer à l’identique le discours à traduire. Puis on remarque que la copie présente toujours des écarts avec l’original. On en conclut que le projet de traduire est voué à l’échec. C’est là tricher avec ce qu’est l’opération de traduction, laquelle n’a jamais consisté à dupliquer un discours, mais à en donner un équivalent, au sens non mathématique d’approximation. (Elissalde, 2000 : 228)

Ainsi, pour traduire la métaphore, il n’est guère possible de mettre en place une « copie parfaite ». Il s’agit d’une quête continuelle d’équivalence, car l’intraduisibilité d’une métaphore est à envisager comme un aspect ponctuel ou provisoire. Par intraduisible, nous faisons référence à l’incapacité de traduire une métaphore donnée à un instant « t ». Cependant, cela n’implique pas que cette intraduisibilité persiste à un instant « t+1 » ultérieur. Il est à noter que l’écart temporel entre ces instants est variable et permet à la culture source et la culture cible de se rapprocher davantage. L’un des facteurs qui enrichit cet échange serait une activité de traduction régulière qui dépasse le strict cadre de la circulation des littératures nationales. Par ailleurs, le besoin de traduire est synonyme de riches échanges commerciaux, par exemple. En d’autres termes, ce qui n’a pas pu être exprimé lors d’une première traduction pourrait changer de statut et devenir traduisible lors d’une deuxième ou troisième traduction, car les liens et les relations entre les langues et les cultures évoluent au fil du temps. Il ne s’agit ni d’une fatalité absolue de l’intraduisible ni d’une utopie traductionnelle. En effet, dans la traduction tout est souvent question de contexte, au sens large. Notre connaissance évolutive du monde offre la possibilité d’interpréter la métaphore selon un schéma renouvelable. Par conséquent, il serait inutile d’établir des stratégies figées pour traduire la métaphore. En effet, que la stratégie choisie soit consciente ou inconsciente, le traducteur s’assure que son choix s’insère harmonieusement dans la culture et langue d’arrivée. Dans les études réunies par Michel Ballard et Lance Hewson sous le titre Correct/Incorrect, Ballard (2004 : 7) explique que, dans la traduction, il ne s’agit pas de « clonage », mais que « la traduction relève plutôt de

la greffe ». Si la greffe s’intègre souvent sans anicroches dans le corps de son hôte, elle peut également être rejetée. L’idée de Ballard est doublement intéressante car elle met l’accent sur deux aspects. D’une part, il n’est pas question de reproduire à l’identique, mais plutôt de greffer. D’autre part, le succès de la greffe, médicalement parlant, ne dépend pas uniquement de la qualité de l’organe, mais également de la prédisposition du corps à accepter un nouvel organe à un instant « t ». Telle la greffe, le sort de la traduction dépend aussi de plusieurs facteurs : la réception et le rôle du lecteur, indépendamment du travail fourni par le traducteur. La métaphore de la traduction en tant que greffe renvoie au caractère risqué de l’entreprise traductive.

Dans leur article, « The Translatability of metaphor », Fuertas Olivera et Velasco Sacristán (2001) analysent trois difficultés majeures que rencontre le traducteur, c’est-à-dire la spécificité culturelle, les contraintes de la structure et le rôle cognitif de la métaphore. Tous ces points sont étroitement liés et contribuent au succès de la traduction de la métaphore ou à son échec. En nous appuyant sur l’idée d’Andersen, nous pensons que le traducteur conduit une sorte de tandem qui associe deux axes indissociables, à savoir la forme linguistique et le processus cognitif de la métaphore : « Not knowing if a metaphor is a linguistic and/or a mental phenomenon and not being able to identify the metaphor, how should we be able to make a theory for translating it? » (Andersen, 2000 : 58). En d’autres termes, que doit-on traduire ? L’aspect cognitif ou l’aspect linguistique ? En ce sens, Andersen s’interroge sur la stratégie que le traducteur doit adopter pour traduire la métaphore :

Should we find the underlying metaphorical concepts in the source-text to be translated and translate these into equivalent metaphorical concepts of the target-text, as the cognitive theory seems to claim? Or should we start by finding the metaphorical linguistic items in the source-text and if possible translate these into similar linguistic items? (Andersen, 2000 : 59)

Il n’est guère simple de répondre aux questions évoquées ci-dessus. D’abord, on doit questionner la notion d’aspect linguistique. Nous pensons que cet aspect se manifeste sous la forme d’une voix, elle-même révélatrice d’un style. En effet, la réflexion sur ce sujet peut s’avérer sinueuse : l’aspect linguistique et la fonction de la métaphore façonnent l’identité métaphorique. Si la réalité du terrain le permet, il serait judicieux de garder les éléments linguistiques tout en préservant le schéma cognitif, l’effet et la fonction de la métaphore. Cependant, l’expérience de traduction de la métaphore n’est pas souvent linéaire et exige du traducteur d’identifier la connotation appropriée. Or, l’interprétation de la métaphore peut parfois offrir des combinaisons de lecture variées. Le traducteur, étant le premier lecteur du texte qu’il traduit et bénéficiant d’un statut particulier, se charge de reconstruire l’image pour maintenir une certaine équivalence. Néanmoins, le risque de subjectivité demeure omniprésent. Comment peut-on s’assurer en tant que traducteur-lecteur que notre interprétation est appropriée ? Jean Boase-Beier met en évidence la multitude de lectures possibles : « different readers construct different mental pictures of the text because of their different background » (Boase-Beier, 2006 : 81). Cela s’applique également à l’acte de lecture du traducteur. Comme le titre de l’ouvrage de Michel Foucault l’indique parfaitement, il s’agit d’une « archéologie du savoir ». Le traducteur est l’archéologue du sens et est responsable de la (re)création de l’identité de l’énoncé du texte. La métaphore, tel un monument archéologique, acquiert sa valeur dans un ensemble. Il est ainsi important de circonscrire le cadre de cet ensemble et de déterminer les acteurs qui y contribuent, à savoir l’auteur, le traducteur et le lecteur. La métaphore exige de ces trois acteurs des attitudes cognitives pour manier le glissement du sens qui s’opère au niveau du processus métaphorique.