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Style et équivalence en traduction : la métaphore comme style d’écriture

2. Théories et style, les théories du style

2.3 Écrire pour traduire

Dans la partie précédente, nous avons souligné l’importance de la lecture dans tout acte de traduction. Toutefois, il ne suffit pas de lire pour traduire, car la reformulation se fait par le biais de l’écriture. Certains définissent la traduction comme une deuxième écriture émanant d’un original, tel est le cas d’Israël qui explique que la traduction est « par essence, une écriture seconde placée sous la dépendance étroite d’une instance scripturale préalable dont il s’agit de rendre compte dans un autre idiome » (Israël, 1998 : 255). Or, le caractère second implique une idée de servitude du traducteur et une sacralisation du texte source réduisant ainsi la voix du traducteur à une voix mineure. Ladmiral souligne cette limite de l’espace de création du traducteur :

L’écrivain peut s’imposer l’option d’une théorie esthétique, par excès, pour aller au bout de certaines virtualités qu’il sent en lui. Le traducteur est amené quant à lui à se l’interdire, par défaut, car il lui faut être disponible au discours de l’Autre, là même peut-être où il l’attend le moins. Ce n’est pas lui qui met en œuvre les effets d’une création originale. (Ladmiral, 1994 : 110)

Tout argument contre la traduction se résume à sa propre nature : elle demeure ultérieure à un texte dont l’antériorité est la condition sine qua non de l’existence de l’œuvre traduite. En présence de cette sujétion, l’écriture en traduction a souvent été considérée comme une imitation ou une paraphrase du texte original. D’une part, paraphraser est l’action de dire autrement ; néanmoins, en traduction, il ne s’agit pas uniquement de dire autrement. Certes, le traducteur a recours à la reformulation au niveau de la lecture et de l’écriture. Cependant, la paraphrase est un mécanisme parmi d’autres en traduction. L’œuvre Éloge de la paraphrase de Bertrand Daunay (2002) représente une excellente référence en ce qui concerne la définition et la fonction de la paraphrase. D’une autre part, imiter pour traduire

est une vision réductrice de la traduction. Une telle vision restreint toute marge de manœuvre du traducteur dont le rôle se résume à un simple copieur, comme l’explique Barbara Folkart :

Les pratiques mimétiques (qu’elles relèvent de la traduction formelle ou de la traduction contre-idiomatique) prennent pour acquis que la raison d’être de la traduction est la restitution, voire la réplication de l’énoncé de départ. Ce faisant, elles posent et privilégient la notion de l’Original, qu’elles finissent par « objectiver », voire, dans certains cas, par « sacraliser », en l’érigeant en absolu […] Tel est le poids de l’original qu’il constitue non seulement la pré-condition mais la finalité de la traduction. (Folkart, 1991 : 400)

Il va de soi que le traducteur se charge de restituer une œuvre source préexistante, mais cette restitution n’est pas de l’ordre de la copie : copier serait, dans ce cas, reprendre à l’identique le texte source et le rédiger dans la même langue sur un support différent. Or, nul n’ignore que la traduction entraîne des phénomènes importants. À cet égard, Plassard part du constat personnel suivant : « Après traduction et surtout relecture de traduction en français de textes rédigés en anglais, les améliorations apportées au texte traduit amenaient en retour des modifications au texte source » (Plassard, 2002 : 273). Il en découle que le traducteur, dans son exercice d’écrivain, est susceptible d’apporter une valeur ajoutée aux textes de départ. Il s’agit d’un « cas de figure confortant l’idée d’un effet d’amélioration parfois imputé à la traduction » (Plassard, 2002 : 273). Ainsi, ces modifications ne doivent pas être considérées comme une fatalité, mais plutôt comme une source d’enrichissement étroitement liée au style propre de ce dernier. Pour ce qui est de l’auteur-traducteur, la distinction entre œuvre de départ et œuvre d’arrivée devient un méli-mélo de frontières. L’œuvre bilingue de Samuel Beckett demeure l’un des exemples les plus pertinents qui brouillent cette frontière, idée mise en relief par Mireille Bousquet :

Il n’y a plus de texte de départ et de texte d’arrivée puisque des lambeaux de textes sont pris, abandonnés, repris dans une autre langue. Le texte d’origine est brouillé, abandonné et effacé ; pourtant il vit encore à travers les reprises. C’est le constat banal du travail de l’écrivain qui prend un tour critique ici à cause de l’existence de deux textes « définitifs », deux textes d’arrivée, qui font le miracle impensable d’être à la fois variantes et définitifs. (Bousquet, 2003 : 74)

Le cas Beckett brise la perception habituelle que l’on peut avoir de la traduction et l’instaure dans un espace de création inédite. Même si les travaux de ce dernier représentent une exception à la norme, il demeure important de s’en inspirer pour souligner les ressources latentes dont bénéficie la traduction en matière de création. À ce propos, la réflexion autour de cet aspect est à la fois extrêmement fertile et incontournable. En effet, la création du traducteur dépend, selon Berman, de trois critères : « la position traductive », « le projet de traduction » et « l’horizon traductif ». Par « position traductive », Berman fait référence à la façon dont le traducteur conçoit son activité et la manière selon laquelle il effectue ses traductions en fonction des normes déjà apprises et ensuite devenues réflexes : « tout traducteur entretient un rapport spécifique avec sa propre activité, c’est-à-dire a une certaine conception ou perception du traduire, de son sens, de ses finalités, de ses formes et modes » (Berman, 1995 : 74). Quant au « projet de traduction », Berman l’explique comme la raison d’être d’une traduction et la trajectoire selon laquelle elle va être tracée :

Le projet ou visée sont déterminés à la fois, par la position traductive et par les exigences à chaque fois spécifiques posées par l’œuvre à traduire […] le projet définit la manière dont, d’une part, le traducteur va accomplir la translation littéraire, d’autre part, assumer la traduction même, choisir un « mode de traduction », « une manière de traduire ». (Berman, 1995 : 76)

À notre avis, le projet de traduction peut entrer en résonance avec les motivations du traducteur : les raisons qui l’ont incité à traduire une œuvre ou un texte spécifique, à savoir

les catalyseurs politiques, culturels, économiques, idéologiques et personnels. Selon Plassard, la notion d’horizon traductif permet de placer le lecteur et le lecteur-traducteur au centre de la traduction :

[L’horizon traductif] situe la traduction du côté des lecteurs dont le traducteur fait à la fois partie, en tant, en quelque sorte, que prototype — il est à la fois archilecteur de l’original et premier lecteur de la traduction —, mais aussi en fonction desquels il écrit. (Plassard, 2007 : 154)

L’horizon traductif est donc cet ensemble de critères culturels, langagiers, littéraires et historiques qui caractérisent la société dans laquelle le traducteur évolue. Cependant, selon Berman (1995 : 80), il n’en demeure pas moins que cet horizon garde une double fonction ou nature, car tout en ouvrant un espace pour une marge de manœuvre, il tend également à clore cet espace dans la mesure où le traducteur est également co-auteur. Folkart souligne cette idée en affirmant que « si la re-création peut être envisagée comme la forme la plus raffinée du mimétisme, elle ne reste pas moins déterminée par l’original ». Il n’est pas possible de nier le lien entre un texte traduit et le texte « générateur » (Folkart, 1991 : 419). Néanmoins, même si l’on part du postulat selon lequel toute traduction est générée par un texte qui la précède, cela n’écarte, en aucun cas, le génie du traducteur. En ce sens, Jean-Claude Beacco explique très justement que

[p]our traduire, il importe certes de maîtriser deux langues mais cela ne suffit pas. Encore faut-il être capable de comprendre, de combler ses lacunes, de dominer l’outil d’expression, de s’adapter à un public et, à tout moment manifester un sens critique. Autant de compétences qui constituent le noyau dur de l’activité traduisante […]. (Beacco, 2016 : 92)

Les compétences du traducteur dépassent un simple savoir-faire linguistique. Selon nous, le traducteur agit souvent d’une façon ingénieuse pour transmettre et adapter

« l’expression » de l’auteur source à un lecteur cible. Il négocie une transaction pour établir un lien entre deux mondes étrangers l’un à l’autre en créant une passerelle inédite entre l’auteur (dont l’œuvre est a priori inaccessible) et le lecteur. Par ailleurs, il s’engage dans un jeu dont le pari est incertain, à savoir, transmettre le texte source par sa propre voix. En effet, le style du traducteur doit correspondre en divers points à la voix ou aux voix émanant du texte de départ. Parler des voix ici ne peut que faire écho à la notion de polyphonie de Bakhtine (1978).

Nida et Taber expliquent que traduire est l’acte de reproduire un texte équivalent dans la langue cible en termes de sens et de style : « [t]ranslating consists in reproducing in the receptor language the closest natural equivalent of the source-language message, first in terms of meaning and secondly in terms of style » (Nida et Taber, 1969 : 12). Ainsi, il s’agit de trouver un équivalent du message de la langue de départ dans la langue d’accueil en préservant le sens de l’œuvre originale et son style. Nida et Taber évoquent deux niveaux d’équivalence, à savoir sémantique et stylistique. Cela représente le point de départ de notre réflexion pour entamer la partie qui suit portant sur le style du traducteur et le style en traduction. Nous consacrerons également la Section 4 de notre thèse à l’équivalence en traduction dans la théorie et au niveau de la pratique.