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Corpus, méthodologie et analyse :

5. Méthodologie : analyse de The Rainbow et ses traductions françaises

5.3 Une méthode combinée

Nous pensons que les données quantitatives récoltées lors de l’analyse de notre corpus (les exemples, la fréquence des mots, leurs occurrences dans le texte) et l’analyse qualitative (analyse des stratégies traductives, du contexte, de la réception) sont deux outils complémentaires pour dévoiler les convergences et les divergences entre la métaphore corporelle lawrencienne et sa traduction. En ce sens, l’analyse quantitative doit être suivie par une analyse qualitative pour que les données soient exploitables au mieux :

Statistics can be particularly interesting when interpreting results and can provide a welcome link between quantitative and qualitative empirical evidence as they help to focus on those uses or functions that trigger cross-linguistics problems. Yet, quantitative data by themselves do not supply applicable information. (Rabadán, 2008 : 111)

Ainsi, en combinant les deux méthodes, le chercheur se concentre sur les « utilisations » qui lui permettent de traiter divers aspects traductifs. Par exemple, une méthode combinée peut aider à comprendre les choix des traducteurs. Comme l’expliquent Paola Artero et Adriana Şerban (2014 : 7), il s’agit de recontextualiser la prise de décision du traducteur en la plaçant dans un espace plus large, espace qui prend en compte l’aspect socio-culturel, littéraire et esthétique de l’époque dans laquelle elle s’inscrit. Mais cette tâche n’est pas simple : « […] an individual translator’s experience and decision making still remain inaccessible to the researcher. [It] still operates like a ‘black box’ (Nida, 1964 : 145-147) in models of translation » (Tymoczko, 2014 : 167).

Une démarche combinée met en exergue la dis/continuité entre l’énoncé source et sa traduction ou ses traductions. Notre attention s’est portée sur ce point grâce à la réflexion de Michel Foucault, dans son livre L’Archéologie du savoir, qui éclaire la relation entre l’énoncé source et sa traduction :

Quand on utilise un énoncé pour en faire ressortir la structure grammaticale, la configuration rhétorique ou les connotations dont il est porteur, il est évident qu’on ne peut pas le considérer comme identique dans sa langue originale et dans sa traduction. En revanche, si on veut le faire entrer dans une procédure de vérification expérimentale, alors texte et traduction constituent bien le même ensemble énonciatif. (Foucault, 1969 : 137)

En ce qui concerne notre propre recherche, il est à rappeler que les travaux de Dorothy Kenny (2001) représentent un pilier dans l’exploration du style des traducteurs. Après avoir établi des listes de mots-clés, cette dernière a comparé des textes sources en allemand et leurs traductions anglaises en ciblant les variations au niveau du vocabulaire, à savoir le lexique et les collocations inhabituelles : « This study is also relevant for introducing the keyword method. Kenny generated separate keywords lists from both originals and translations and one for their English translations » (Pagano et al., 2017 : 58). Il convient de rappeler qu’une collocation est « la tendance de mots donnés à apparaître ensemble en discours » (Loock, 7 : 116). Federico Zanettin (2001), quant à lui, a également appliqué cette méthode sur un corpus parallèle bilingue composé de quelques romans de Salman Rushdie afin d’étudier les variations stylistiques au niveau des traductions italiennes. Un autre exemple serait celui des travaux de Bosseaux (2001) qui a comparé l’œuvre The Waves de Virginia Woolf (1931) et ses deux traductions françaises pour explorer la visibilité et l’invisibilité du traducteur. Michaela Mahlberg (2007) a également mené plusieurs travaux en ce sens pour explorer l’analyse du style d’écriture. Plus récemment, Lorenzo Mastropierro (2018) a étudié les variations du style en analysant un corpus composé de Heart of Darkness de Joseph Conrad (1902) et ses quatre traductions italiennes.

Nous retiendrons également cette méthode dans le cadre du présent travail, en tentant de contextualiser systématiquement l’emploi de chaque mot-clé sélectionné dans un espace

plus large, à savoir le texte et le contexte. En effet, l’identification de la métaphore s’inscrit dans un cadre macrotextuel qui dépasse le mot en tant qu’entité. Comme l’affirme Robert Larose ([1987] 1989 : 27), l’étude de la traduction exige que « les unités de traduction » soient « élevées au niveau macrotextuel » pour « s’inscrire dans une conception plus large de la segmentation des textes, qui ne doit pas être mesurée en termes de séquence linéaire puisque […] le sens d’un texte, pris globalement, dépasse celui des éléments langagiers qui le composent » (Larose, [1987] 1989 : 27). Par conséquent, nous prendrons en considération d’autres sources d’informations, à savoir la correspondance de D.H. Lawrence, le roman de la première traductrice, Albine Loisy, qui a été publié en 1943, les travaux critiques de la deuxième traductrice, Jacqueline Gouirand, ainsi que d’autres supports, notamment des extraits de journaux faisant référence aux traductions de l’œuvre de Lawrence seront cités. Nous pensons détecter, dans les différentes sources que nous dévoilerons au fur et à mesure de cette partie, de riches informations qui nous renseignerons davantage sur le style des traductrices. Avoir recours à ces supports supplémentaires est progressivement né d’un besoin de consolider notre réflexion : les premières questions ont donné lieu à des réponses, celles-ci ont provoqué d’autres questions. Nous avons parcouru certaines étapes avant d’entamer l’analyse microtextuelle.

Notre démarche s’est articulée selon les étapes suivantes : tout d’abord, nous avons effectué une lecture initiale de l’œuvre source et des deux traductions françaises pour avoir une vision globale des trois textes. La lecture de The Rainbow n’était pas une tâche facile. Pour cette raison, nous avons consulté l’œuvre plusieurs fois. Nous avons pris des notes et nous avons souligné les passages clés qui, de par leur ambiguïté, ont progressivement dévoilé l’esquisse du style lawrencien. Cette étape préliminaire a confirmé l’omniprésence de la métaphore dans le roman. Ensuite, il a été nécessaire de délimiter les contours du champ métaphorique dans le roman anglais : la métaphore corporelle s’est démarquée et

s’est presque imposée à nous. La prise de notes et les questionnements soulevés nous ont permis d’établir une première liste de mots-clés que nous avons regroupés dans le schéma suivant pour détailler les volets thématiques essentiels dans The Rainbow :

Figure 2 : Représentation schématique de la construction métaphorique dans The Rainbow

La construction métaphorique dans The Rainbow est similaire au fonctionnement d’un Cube Rubik dont le mécanisme interne demeure complexe : les métaphores tournent suivant divers axes tout en restant étroitement liées. Par exemple, les métaphores du sang renvoient souvent à la quête de mener une vie plus libre. Les métaphores de la mort sont liées à des passions dévorantes. L’être, quant à lui, n’est satisfait que si la perception qu’il a de son corps évolue. Mais ces différents thèmes métaphoriques établis sont en constant mouvement circulaire. Les personnages de The Rainbow sont prisonniers d’une sorte de « cercle vicieux », idée que nous détaillerons lors de notre microlecture.

Par la suite, nous avons consulté les deux traductions pour avoir un premier aperçu des stratégies traductives mises en place dans chaque passage métaphorique anglais choisi. Cela nous a permis de détecter les premières convergences et divergences entre le texte