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Introduction de la première partie

Section 1 : Un syndicalisme de négociation et

1.1 Un syndicalisme de négociation

Ce qu’est un syndicat et ce que signifie être syndiqué·e prend un sens fort variable selon les pays et selon les syndicats. Définir précisément ce qu’est un syndicat est périlleux, car comme le relevait Richard Hyman, « dans tout syndicat, on trouve des opinions opposées sur sa raison d’être, ses objectifs prioritaires, les formes d’action appropriées, le modèle souhaitable pour les relations internes » (Hyman 1998, 47).

Ainsi, bien qu’elle ne soit pas partagée par tou×te×s, l’idéologie du « partenariat social » imprègne fortement les fédérations syndicales suisses. Le niveau de conflictualité est très bas en comparaison internationale. À titre d’exemple, selon Daniel Oesch (Oesch 2010), dans les années 1970-1990, le nombre de jours de grève par salarié×e est plus bas en Suisse que dans n’importe quel autre pays d’Europe de l’Ouest. Ce qui n’a pas toujours été le cas, en particulier avant la Première Guerre mondiale et à la fin de celle-ci. Il est commun que l’on évoque, à propos de la Suisse, un régime dit de « la paix du travail »1 1 Ce qu’on nomme la paix du travail « n’est pas une loi qui interdit la grève, mais un accord entre le patronat

et les syndicats, inclus dans une convention collective de travail (CCT), un accord qui a d’ailleurs mis du temps pour être étendu à la plupart des CCT » (Valsangiacomo, Heimberg, et Clavien 2012, 6). La « paix du travail » a son origine dans la convention signée le 19 juillet 1937 par les dirigeants de quatre syndicats ouvriers et ceux de l’Association patronale suisse de l’industrie des machines (ASM) instituant une procédure de négociation paritaire, une « solution à l’amiable des différends et des conflits ». Cette institutionnalisation des consultations entre syndicats et organisations patronales fut une forme de riposte à la grève générale de 1918 (Jost 2001, 69). Oubliés de l’historiographie et de l’histoire du pays, ces conflits de travail donnent parfois lieu à l’intervention de l’armée, très répressive envers les manifestations de gauche (13 personnes sont tuées dans la fusillade de Plainpalais à Genève en 1932 (Batou 2012)). Si le

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qui interdirait tout recours à la grève. C’est là une simplification qui constitue un mythe propre à invisibiliser les conflits sociaux du passé et, partant, du présent.

Toutefois, la conflictualité augmente à nouveau à partir des années 2000. Avec la crise économique des années 1990, les grèves redeviennent d’actualité, mais elles restent toutefois très rares, très localisées et de très courte durée. Cette absence de grève en Suisse n’est pas sans lien avec l’absence de conscience de classe, car celle-ci se construit aussi dans l’action : dans le cadre d’une présentation les travaux de Rick Fantasia, Daniel Céfaï affirmait que « la grève est un opérateur de mutualité et de solidarité. Elle engendre des identités collectives en ce qu’elle fait prendre conscience des incompatibilités d’intérêts entre groupes et redessine la carte des allégeances en termes de conflit de classe. Elle recompose les sensibilités morales : s’identifier au collectif des grévistes, c’est aussi ressentir du mépris ou du dépit vis-à-vis des briseurs de grève, être remonté contre l’agressivité des patrons et des policiers, afficher la fierté d’être des travailleurs et de tenir ensemble contre l’adversité, éprouver de la compassion et accomplir des gestes d’entraide dans des situations qui d’ordinaire sont gérées individuellement » (Fantasia 1988, 180 cité par Cefaï 2007, 508). Finalement, en comparaison internationale, le système de négociation suisse reste parmi les plus consensuels.

En Suisse, les espaces politiques et syndicaux ne sont pas complètement différenciés. Les syndicats ont été intégrés au processus décisionnel politique. Les années suivant la Grève générale de 1918 sont marquées par une logique d’intégration informelle de certains syndicats au sein des commissions extra-parlementaires1 : « afin d’éviter une

reproduction des conditions sociales et politiques qui ont provoqué la grève générale de 1918, les élites dirigeantes adoptent vis-à-vis du mouvement ouvrier une tactique de "répression / cooptation", consistant à marginaliser les syndicats à vocation

niveau de conflictualité des quelque trente ans qui précèdent le premier conflit mondial est comparable à celui des États voisins (Hirter 1988; Habersaat-Ory 1988), c’est surtout après 1946 que le recours à la grève se raréfie (Guex et Schnyder Burghartz 2001).

1 Frédéric Rebmann explique que « les commissions extra-parlementaires (CEP) sont des instances

administratives chargées de tâches consultatives ou exécutives pour le compte du gouvernement et composées essentiellement de personnes extérieures à l’administration fédérale » (Rebmann 2011). A la croisée des logiques d’expertise et de représentation, « en tant que comités d’experts, les CEP représentent en effet pour les autorités fédérales, dont l’appareil administratif est faiblement doté, un vecteur d’acquisition de compétences et de capacités d’analyse à moindre coût. Toutefois, en étant partiellement composées de représentants d’organisations privées, les CEP incarnent également une des principales instances néocorporatistes du système politique suisse, car elles permettent aux principaux groupes d’intérêts d’être représentés au sein de la sphère administrative et de faire valoir leurs intérêts au sein de la phase pré-parlementaire du processus de décision » (Rebmann 2011).

révolutionnaire et à intégrer les courants les plus modérés » (Rebmann 2011). Les syndicats restent largement minoritaires face aux intérêts du « bloc bourgeois » (l’association tactique des élites de la droite radicale, libérale, démocrate-chrétienne et agrarienne) et c'est une constante pendant l’essentiel du 20e siècle : le grand patronat

industriel d’exportation est l’association dotée de la plus grande capacité d’influence politique en Suisse (Guex 2003, 542). Aujourd’hui encore, les permanent×e×s de certaines grandes fédérations ou des faîtières font partie des commissions extra-parlementaires. Certain×e×s cumulent en outre leur fonction syndicale avec des mandats politiques dans les instances fédérales, cantonales ou communales, dans les rangs généralement du Parti socialiste suisse et des Verts à l’USS, et des démocrates-chrétiens à Travail.Suisse.

Dans les répertoires d’action propres au système politique suisse, on évoquera la possibilité pour les organisations syndicales de lancer des référendums1 contre un

changement de loi, permettant alors une votation populaire sur le sujet. Plusieurs projets importants comme les réformes du système de retraite en 2004 et 2010 ont ainsi pu être bloqués, du moins temporairement. Toutefois, cette intégration des syndicats à la régulation des relations de travail et, plus généralement, au néocorporatisme de tendance libérale qui prévaut en Suisse (Mach 2015, 64) a beaucoup contribué tant à leur bureaucratisation qu’à leur neutralisation.

1.2 Des professionnel×le×s et des adhérent×e×s

On trouve principalement quatre catégories d’acteur×trice×s syndicaux×ales : les adhérent×e×s, les militant×e×s et les permanent×e×s qui se divisent en un pôle administratif et un pôle syndical.

Premièrement, les membres cotisant·e·s. On est très loin dans les syndicats en Suisse d’un « recrutement sélectif » (Bevort 1994) et d’une conception militante de l’adhésion syndicale. Il n’y a aucun préalable idéologique ou politique à l’adhésion syndicale. Adhérer dans un des trois syndicats ne signifie pas y militer. La majorité des membres de ces syndicats ne militera jamais sur son lieu de travail, mais bénéficiera simplement des informations syndicales et de l’appui du syndicat en cas de difficultés. Les membres cotisants reçoivent ainsi des informations syndicales, sont invité·e·s à

1 Un référendum nécessite de récolter 50'000 signatures en 100 jours pour soumettre au vote une loi ou un

participer à des assemblées générales de leur section, région ou de leur lieu de travail (mais ne viennent souvent pas). Les membres cotisants peuvent solliciter le secrétariat avec des questions concernant les conditions de travail, ou demander de l’appui, syndical ou juridique, en cas de conflit au travail ou avec une assurance sociale. L’affiliation offre la possibilité de suivre des formations proposées par l’institut Movendo pour l’Union syndicale suisse, et Arc pour Travail.suisse.

Loin d’un modèle de « syndicalisme sans adhérent×e×s » (Rosanvallon 1988), l’importance pour les organisations d’avoir un nombre élevé de membres est liée à la nécessité financière que représentent les adhésions. Cette nécessité varie d’une organisation à l’autre. Le Tableau 6 résume trois éléments importants1 : d’un côté, le pourcentage des recettes que représentent les cotisations syndicales et les indemnités de gestion (tirées de la gestion des conventions collectives notamment), de l’autre, le pourcentage que représentent les charges salariales du personnel des syndicats.

Tableau 6: Le financement des syndicats en 2014

UNIA SYNA SSP

% des recettes issues des cotisations syndicales 43% 57% 80%

% des recettes issues des indemnités de gestion et autres 57% 43% 20%

% des dépenses représentées par les salaires du personnel 66% 58% 60%

Sources : rapports d’activités et informations des organisations

Au SSP, selon le rapport des comptes de 2014, les cotisations des adhérent×e×s représentent 80% des recettes annuelles (+ de 13 millions de francs). Seulement 10% des recettes proviennent des contributions professionnelles (mandats, gestion des commissions paritaires, etc.) et 10% sont des recettes diverses. Les salaires du personnel constituent environ 60% des dépenses. À Unia, les proportions sont différentes. D’après le rapport d’activité 2012-2016, les cotisations des membres ne représentent que 43% des recettes de l’organisation. Elles rapportent 62 millions par an. Ce sont les indemnités de gestion de la caisse de chômage et fondation FAR2, la gestion des caisses paritaires et l’exécution des CCT qui rapportent 74.7 millions. Une partie des recettes provient finalement des rendements et placements. Ainsi, les cotisations des membres ne suffisent

1 La comparaison doit se faire avec prudence, car Unia et Syna gèrent des caisses de chômage qui génèrent

des recettes dans la mesure où leur financement est garanti par la loi, mais également des dépenses en personnel. Les données ne sont pas assez détaillées pour que nous puissions distinguer cet aspect du reste.

pas à financer le coût des salaires du personnel qui s’élève à plus de 100 millions par an (66% des dépenses). Les cotisations à elles seules ne permettent donc pas de financer l’ensemble des coûts représentés par les salaires du personnel d’Unia, pouvant placer le syndicat dans une situation délicate si les autres rentrées stoppaient (et en particulier le renouvellement des conventions collectives). À Syna, les données des comptes ne sont pas publiques, mais l’organisation nous a communiqué que les cotisations syndicales représentent 56.57% et les indemnités de gestion 43.14% des recettes du syndicat. Les charges en personnel constituent quant à elle 57.78% des charges totales.

Une partie des membres cotisant×e×s d’Unia, du SSP et de Syna deviennent ce qu’on peut qualifier de membres actif×ves appelé×e×s couramment dans le langage des syndicalistes les militant×e×s. D’autres sont des délégué×e×s syndicaux×ales ou des personnes de confiance dans leur entreprise, un mot utilisé à Unia. Les militant×e×s sont à la fois les personnes actives syndicalement dans les instances décisionnelles internes des syndicats (comités, groupes d’intérêt, etc.), mais elles peuvent également être élu×e×s ou jouer le rôle de délégué×e×s syndicales sur leur lieu de travail (diffusion de tracts et journaux, mobilisations). Dans une minorité d’entreprises et de lieux de travail, certain×e×s sont élu×e×s dans une commission du personnel. Le système d’élection du personnel est toutefois très limité en Suisse. Elles existent dans un nombre infime d’entreprises, ont peu de poids et les élections n’ont pas d’influence sur les finances des sections syndicales ou sur leur légitimité à négocier dans une entreprise. Antoine Bevort évoque dans son analyse que « la puissance d’un syndicat ne repose pas tant sur le nombre des adhérent×e×s que sur celui des militant×e×s » (Bevort 1994, 119). En Suisse aussi le nombre d’adhérent×e×s ne dit pas grand-chose des capacités des syndicats à se mobiliser. Ce sont effectivement les militant×e×s qui sont les personnes déterminantes en cas de mobilisation collective ou pour peser dans des négociations dans un secteur ou dans une entreprise. Or, sans pouvoir le chiffrer pour l’ensemble de la Suisse, le nombre de militant×e×s régulier est très faible dans les syndicats.