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Bloquer la prolongation des horaires d’ouverture des magasins : une campagne syndicale dans le tertiaire

Chapitre 3 Une féminisation en demi-teinte

Analyser la féminisation à l’œuvre nécessite d’entrer concrètement dans les structures syndicales et voir comment ce processus prend forme. Pour aller au-delà de l’analyse transversale établie dans le chapitre précédent, nous partirons ici des observations de terrain et des entretiens menés pour effectuer une analyse localisée et comparée de la féminisation de l’espace syndical bâlois. Cette approche nous permet de réfléchir aux jeux d’échelle, c’est-à-dire d’observer des variations d’une échelle à l’autre et de saisir les traits communs ou les différences entre les syndicats. L’analyse localisée ne consiste pas à dégager les seules spécificités locales, mais de rendre compte des processus plus généraux à l’œuvre derrière la féminisation qui la rendent possible ou la limitent. Dans cette perspective, le local constitue le cadre de la recherche et non son objet et nous renseigne tant sur des processus spécifiques que généraux (Sawicki 1997). Ainsi, « ni simple lieu de vérification d’observations générales selon une optique illustrative, ni manifestation d’un particularisme local irréductible selon une perspective monographique, le terrain de recherche conjugue une spécificité propre et des processus nationaux » (Mischi 2010, 25). Loin de s’en tenir au local, l’approche localisée constitue dès lors un moyen d’analyser l’intrication avec les autres niveaux d’analyse (régional, national, voire international), de réfléchir aux circulations entre ces derniers et de traiter de questions spécifiques relevant de ces « jeux d’échelle » (Revel 1996, cité par Masclet 2017, 44). Elle permet d’entrer au cœur du fonctionnement des organisations qui n’est pas neutre. Joan Acker conceptualise dans un article de 1990 les dimensions permettant de saisir le fonctionnement genré des organisations (Acker 1990). L’élément clé est le fait de ne pas partir du principe que, si elles le font également, les organisations ne font pas que reproduire des inégalités préexistantes, elles contribuent aussi à en produire. En effet, la division sexuée du travail, y compris entre le travail rémunéré et non rémunéré, est en partie créée par les pratiques organisationnelles. En outre, les inégalités de revenus et de positions entre hommes et femmes dans les organisations sont aussi partiellement créées dans les processus organisationnels. Dans un texte plus récent, Acker étend d’ailleurs son analyse en conceptualisant les « régimes d’inégalités » comme étant des « pratiques, processus, actions et significations imbriquées subtilement et qui produisent et maintiennent les inégalités de classe, de genre et de race dans des organisations spécifiques » (Acker 2006, 443). Elle traite cette fois de manière intersectionnelle les

inégalités liées à la classe, au genre, à la « race » et à la sexualité. Ces processus organisateurs entremêlés, produisent des modèles complexes d’inégalité qui varient d’une organisation à l’autre. Pour analyser ces régimes d’inégalités, les dimensions clés sont l’analyse du degré de hiérarchie et de la répartition du pouvoir, la division sexuée et racialisée du travail, le degré d’inégalité salariale et la dureté des différences de pouvoir. Des éléments tels que la petite taille de l’organisation (Kirton 2018), la décentralisation des structures (Cobble 1990), un fonctionnement démocratique qui s’appuie sur la base (McBride 2001) ont pu dans d’autres recherches être des éléments encourageant la participation des femmes, dans un contexte situé. C’est le cas également de la présence de politiques d’égalité dans l’organisation et des cas où les femmes syndicalistes développent une capacité d’agir via les groupes non-mixtes (Briskin 2006).

À partir de l’approche d’Acker sur les régimes d’inégalité, nous nous centrons ici sur le fonctionnement genré des organisations pour analyser la féminisation en cours des organisations syndicales bâloises. Malgré l’importance d’une analyse croisée entre les rapports sociaux de sexe, de race et de classe, notre dispositif méthodologique, nos questionnements durant l’enquête et nos cadres d’analyse ne nous permettent pas le faire sérieusement ici. Nous chercherons donc à comprendre dans ce chapitre comment le processus de féminisation des syndicats se concrétise d’une organisation syndicale à l’autre. Comment le fonctionnement et les cultures organisationnelles jouent-ils un rôle dans ce processus ? Existe-t-il un lien entre la féminisation des adhérent×e×s et l’existence de groupes femmes institutionnalisés et actifs dans les syndicats ? Dans une première section, nous verrons la manière dont cette féminisation relative des effectifs se répercute dans les organisations. Au-delà des discours d’institution et des politiques de quotas annoncées, quelle place occupent réellement les femmes dans les organisations ? Le plafond de verre reste-t-il difficile à briser ? Sont-elles présentes dans les structures dirigeantes et les postes qui comptent ? La littérature anglo-saxonne et francophone avance que si le marché du travail formel et rémunéré et les bases syndicales se sont largement féminisés, les instances syndicales, les cultures organisationnelles et les agendas des syndicats sont toujours largement centrés sur les hommes1. Dans une seconde

1Pour la France, voir en particulier le rapport de Josette Trat et Marie Zylberberg-Hocquard 2000, le numéro

de la revue Travail, genre et société sur « Genre, Féminisme et Syndicalisme » dirigé par Cécile Guillaume, Sophie Pochic et Rachel Silvera en 2013, ou l’état de la littérature francophone faite par Dunezat 2006. Pour le Royaume-Uni, voir en particulier : (Ledwith, Sue et al. 1990; Briskin 1990; Cockburn 1991; Colgan, Fiona et Ledwith 1996; Colgan et Ledwith 2002b; Dorgan et Grieco 1993; Franzway 2000; Kirton 2006b; Kirton et Healy 1999; Munro 1999).

section, nous nous intéresserons de près à l’analyse des groupes femmes dans l’espace