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Bloquer la prolongation des horaires d’ouverture des magasins : une campagne syndicale dans le tertiaire

Encadré 11: La féminisation du comité central d'Unia

L’analyse de la féminisation de l’instance exécutive nationale fait ressortir des enjeux de pouvoir plus complexes que ce que le Tableau 21 montre a priori.

Tableau 21: Pourcentage de femmes au CoDir et au comité central d'Unia

UNIA %F 2008 2012 2016

Codir 18% 38% 40%

Comité central 33% 33% 46%

Source : rapports d’activité Unia 2005-2016, nos calculs

Ce qui change ces dernières années, plus que le pourcentage de femmes qui augmente, c’est la provenance (en termes de groupe syndical) des délégué×e×s. Durant les premières années d’existence d’Unia, les femmes élues au comité central l’étaient essentiellement à travers les groupes d’intérêts (Femmes, migration, jeunes, retraité×e×s). Les délégué×e×s des régions comptaient alors 16 hommes et 4 femmes, et les secteurs étaient exclusivement représentés par des hommes, y compris le tertiaire. La situation reste ainsi jusqu’en 2012. Or, le poids des groupes d’intérêts et la légitimité qu’ils donnent sont moindres que celle des secteurs. Ce n’est qu’à partir de la dernière législature, allant de 2012 à 2015 et donc après notre enquête, que le taux de femmes augmente significativement, mais surtout que les femmes sont déléguées également des régions et de certains secteurs.

« Mon talent, c’est les gens », portrait de la première femme présidente

d’Unia NWS

Pour terminer cette présentation d’Unia, nous souhaitons retracer le parcours de la première femme présidente de la région en 2011. Son parcours est extraordinaire, au sens où elle est une pionnière parmi les présidences de région. Il donne de la chair à la

1En plus des délégué×e×s, on compte également 14 secrétaires syndicaux (6 hommes et 8 femmes – 57% de

compréhension de la carrière syndicale militante1 et illustre plusieurs dynamiques

permettant de comprendre la féminisation en cours des organisations, nous y reviendrons. Lydia Hauptmann est née en 1962 dans un village de la campagne bâloise. Aînée d’une famille de trois enfants, elle grandit dans un modèle familial « classique ». Réussissant bien à l’école, elle commence des études gymnasiales. Les rapports difficiles avec ses parents et son besoin d’autonomie financière la poussent à stopper net le gymnase après seulement une année. Elle travaille alors dans une assurance et fait l’école de commerce en parallèle. Partie en Angleterre à la fin de sa formation, elle souhaite trouver un poste où elle utilise l’anglais. Elle est engagée dans une grande entreprise pharmaceutique en tant qu’assistante administrative en 1984 à 22 ans. Grâce à une formation continue certifiante, elle y obtient 7 ans plus tard un nouveau poste à 30 ans, dans la planification financière et le contrôle des finances. Dans son nouveau département, elle entre en contact avec un groupe de femmes engagées, dont la cheffe du personnel avec qui elle travaille fait partie. Principalement constitué de femmes cadres, leur activité consiste à organiser ensemble des repas de midi entre femmes, des plateformes de réseautage. Même si Lydia Hauptmann leur dit qu’elles sont « un club de débat élitiste » qui ne représente pas l’ensemble des femmes de l’entreprise qui a des ouvrières de la production, elle choisit d’y participer. Elles mettent en place un système d’évaluation des postes pour contrôler l’égalité salariale entre femmes et hommes dans l’entreprise et dans lequel elle s’engage en temps qu’évaluatrice2. C’est à travers ces

activités qu’elle rencontre des personnes actives à la commission du personnel, dont Klaus Lindner, futur responsable régional du syndicat.

En 1998, Lydia Hauptmann travaille déjà depuis 14 ans dans l’entreprise. Le contexte change. L’entreprise fusionne avec un autre poids lourd de la chimie et des sciences de la vie3. Klaus Lindner4, président de la commission du personnel, membre et

actif au syndicat, lui propose de se présenter à la commission du personnel sur la « liste

1 Ces carrières ont été laissées de côté dans le livre SynEga qui s’est essentiellement focalisé sur les carrières

syndicales professionnelles.

2 La moitié des évaluateurs et évaluatrices représentent le côté employeur et la moitié les employé×e×s. 3 La création de Novartis constitue, à cette époque, la plus grande fusion d’entreprise jamais réalisée au

monde.

4 Klaus Lindner a été président de la commission du personnel de la Ciba. Il était aussi membre du SIB et

militant au syndicat. Au moment de la fusion vers Novartis, il n’est pas réélu en tant que président de la commission du personnel alors que cela constitue une bonne partie de son travail en raison des décharges syndicales. Il part alors travailler en tant que secrétaire syndical au SIB.

indépendante »1 où sont également les délégué×e×s syndicaux×ales2. Elle accepte et est élue

avec un « résultat brillant »3. Pour assurer son mandat à la commission du personnel, elle

est exemptée à 30% de son travail4.

Lydia Hauptmann s’engage donc très activement dans la commission du personnel. Elle est réélue en 2001 et en 2004, année où la liste indépendante remporte même plus de sièges (ils ont 7 sièges sur 11) que l’association du personnel de l’entreprise. Elle est également élue au comité d’entreprise européen. Toujours pas affiliée au syndicat, elle l’explique par le fait qu’elle ne souhaitait pas devenir membre sans pouvoir s’engager activement et estime ses chances d’élection meilleure sans être membre du syndicat. Elle apprécie le fait que personne au SIB n’ait fait pression pour qu’elle devienne membre. En 2004, après trois campagnes où elle est soutenue par le SIB, elle finit par y adhérer. En 2007, sa liste gagne encore une fois les élections à la commission du personnel. Elle y est élue présidente5 et est donc désormais déchargée à

70% de son travail. Elle cumule les mandats en étant élue également en 2007 au conseil de fondation de la caisse de chômage et de la caisse d’assurance des entreprises de la chimie bâloise (jusqu’en 2011) ainsi qu’au conseil de fondation de la caisse de pension de l’entreprise6.

1 Deux listes s’affrontent : la liste des indépendant×e×s et celle de l’association des employés de Novartis

(NAV). Association créée pour concurrencer et affaiblir les syndicats, elle est dépendante financièrement de l’entreprise.

2 C’est d’ailleurs le syndicat qui finance la campagne (tracts).

3 Il y a deux commissions du personnel : une pour les employé×e×s en contrat individuel et une pour les

employé×e×s de la CCT. Lydia Hauptmann est dans celle des employé×e×s en contrat individuel ce qui représente à Novartis plus de 6'500 personnes. Avant, les élections avaient lieu tous les 3 ans, maintenant tous les 4 ans. Les délégué×e×s du personnel à la CCT peuvent faire du travail pour le syndicat dans leur temps de travail pour la commission du personnel car c’est permis dans la CCT, mais chez les employé×e×s en contrat individuel « ce n’est pas bien vu » de faire du travail pour le syndicat pendant son temps de travail professionnel. Le travail que fait Lydia Hauptmann pour le syndicat est donc effectué durant son temps libre. A part en 2008 où elle participera aux négociations de la CCT en tant que représentante des contrats individuels dans une optique d’élargissement de la CCT aux contrats individuels. Là, le temps qu’elle passe dans les négociations, avec le « chapeau Unia », elle le prend sur son temps de travail Novartis (plus de 100 heures de négociations). Elle y participe à nouveau en 2012, où elle est élue par le comité de la branche au niveau national.

4 Les fonctions de délégué×e× s du personnel ou de président×e de la commission du personnel sont des

fonctions définies à Novartis avec un salaire défini. Échelon 7 comme délégué×e, échelon 8 comme président×e (sur 10 échelons). Dans sa fonction dans la finance, Lydia Hauptmann est de toute manière déjà à l’échelon 8 donc elle y reste (il n’est pas possible de dévaluer le salaire) par contre, pour les employé×e×s de la production, être élu×e×s dans la commission du personnel peut représenter une hausse de salaire importante.

5 En tant que présidente : 70% exemptée de son travail à Novartis.

En 2010, douze ans après sa première élection, la liste indépendante devient la liste « UniaPlus ». D’après elle, dans le milieu des salarié×e×s de l’entreprise, le syndicat représente un « drapeau rouge ». La liste perd les élections. Avec 4 sièges sur 11, cette défaite lui coûte son siège de présidente, fonction qu’elle appréciait énormément et qu’elle souhaitait continuer à exercer. Elle vit très mal cette défaite et se dit « complètement abattue ». Soutenue tout de même par plus de 1'000 personnes, elle décide de continuer le travail, car elle reste élue à la commission du personnel et déléguée au comité d’entreprise européen, ce qui l’exempte tout de même à 50% de son travail1.

Dès son adhésion au SIB en 2004, une année avant la fusion vers Unia, la représentante du GI femmes, Eva Leto, lui propose de venir à une séance. À partir de ce moment, l’engrenage de l’engagement syndical se met en route :

« D’un jour à l’autre, à peine je participais à la première séance du GI Femmes que je suis quasiment devenue présidente du groupe et ensuite… aussi au niveau national de la commission femmes d’Unia et ensuite toujours plus avec aussi le secteur de l’industrie. Oui parce que Novartis appartient au secteur de l’industrie, alors là, j’ai été au comité régional de la chimie, dans le comité national de la chimie ».

Elle constate que partout où il faut s’engager bénévolement pour le bien commun, il est difficile de trouver des gens : « si tu te montres disponible, ce que j’ai fait, tu entres

rapidement dans beaucoup d’instances ». Cinq ans après son adhésion au syndicat, après

les instances femmes et de l’industrie, elle est élue au comité régional d’Unia NWS et à l’Assemblée des délégué×e×s nationale en 2009. À ce moment, le président de la région est gravement malade. À sa demande, elle accepte de devenir sa suppléante. Lydia Hauptmann dirige les séances du comité et de l’assemblée des délégué×e×s régionales. Elle est ensuite officiellement élue vice-présidente. Plus d’une année après, le président démissionne en raison de ses problèmes de santé et on lui propose de reprendre la présidence. Elle accepte, mais souhaite une autre candidature face à elle pour que les délégué×e×s puissent réellement choisir. Une personne se présente le soir de l’assemblée, mais « sans aucune chance, s’étant présenté le soir même ». En juin 2011, Lydia Hauptmann est donc élue présidente de la région Nord-Ouest de la Suisse d’Unia. Elle est la première femme à occuper cette fonction dans la région. Elle reste également présidente du GI Femmes de la région.

À travers ce portrait, nous voyons que la féminisation d’Unia n’est pas qu’une question de quotas. Ce portrait permet en effet de mettre au jour plusieurs mécanismes d’une organisation longtemps très masculine. Lydia Hauptmann, une fois membre du syndicat, commence à s’impliquer d’abord dans les instances femmes de l’organisation. Les instances femmes apparaissent ainsi comme des lieux d’apprentissage du syndicalisme et comme des possibles tremplins pour prendre des responsabilités syndicales. L’importance de la sollicitation ressort à plusieurs reprises dans sa carrière en tant que déléguée du personnel et au syndicat. Celle-ci joue un rôle clé dans son engagement et sa prise de responsabilité. Pour finir, cette sollicitation entre en résonnance avec une appétence qu’elle a développée pour le syndicalisme, mais également une légitimité et un fort savoir-faire lié à son expérience de déléguée du personnel et présidente de la commission du personnel dans une des entreprises les plus importantes de la région. Lydia Hauptmann est une exception. Les présidentes sont extrêmement rares dans les régions d’Unia. Nous en avons retracé un aperçu à partir des rapports d’activité.

Tableau 22: Pourcentage de femmes présidentes de région ou de section

UNIA %F 2008 2012 2016

Présidence région 18%1 39%2 26%3

Présidence section 18% 11% 5%4

Source : rapports d’activité Unia 2005-2016, nos calculs

L’analyse du Tableau 22 met en évidence une féminisation timide des postes de présidence dans les régions. Moins de 20% de femmes sont présidentes de région en 2008 ce qui est peu, mais ce qui correspond au taux de syndicalisation des femmes. Ce pourcentage augmente ensuite très fortement pour redescendre à 26% en 2016. Ces données générales cachent d’autres enjeux. En regardant de près les données des rapports d’activités, en 2008, aucune femme n’est présidente seule (elles sont toutes en co- présidence)5. Lydia Hauptmann fait donc partie des pionnières en 2012, date à laquelle la

plupart des femmes comptées sont en co- ou vice-présidence. Au niveau de présidences

1 Dont 3 hommes et 3 femmes en co-présidence (HH, FF, HF).

2 Dont 1 homme et 3 femmes co-président×e×s (HF, FF), ainsi que 3 hommes et 3 femmes vice-président×e×s. 3 Dont 2 hommes et 2 femmes co-président×e×s (HF, HF), ainsi que 5 hommes et 1 femme vice-président×e×s

(3 hommes dans la même région).

4 Dont 1 homme et 1 femme co-président×e×s.

des sections d’Unia, le taux de femmes reste extrêmement faible et diminue fortement jusqu’à atteindre 5% en 20161.

Finalement, au terme d’une quinzaine d’années d’existence, Unia est parvenu, dans un contexte par ailleurs favorable, à construire une organisation où la place des femmes augmente continuellement, en particulier dans les postes salariés qui ont du poids dans le quotidien du travail syndical, largement professionnalisé. Par le recrutement de militantes politiques ou associatives, souvent diplômées universitaires, le profil du syndicaliste a changé ces dernières années et aujourd’hui « la figure du permanent s’incarne aussi dans l’étudiant×e fraichement diplômé×e et ouvre la possibilité de carrières féminines auparavant quasiment impensables » (Monney, Fillieule, et Avanza 2013, 40), le cursus honorum du syndicaliste ouvrier se déclinant clairement au masculin (Contrepois 2006). Derrière cette féminisation en cours, nous soulignons toutefois que la diversité des postes occupés répond toujours à des logiques genrées. Ce sont presque exclusivement des femmes qui occupent les postes administratifs (nous y reviendrons) et la féminisation des postes de secrétaires syndicaux×ales suit une logique ségrégée, où les femmes s’orientent et sont orientées surtout dans le secteur tertiaire, qui, pour différentes raisons, a moins de poids dans l’organisation. Derrière la féminisation des postes salarié×es, l’enquête sur le long court permet en revanche de mettre en lumière une réalité particulièrement présente à Unia, celle d’un turn-over important des secrétaires syndicaux×ales. Il s’élève chaque année à plus de 20% dans la région (entre 2005 et 2011, à la seule exception de 2009 où il est de 6%). Neuf ans après le début de l’enquête, une infime partie des secrétaires syndicaux×ales que j’ai interviewé×e×s travaillent encore là- bas.

En revanche, et contrairement aux conclusions de l’enquête nationale, à Bâle, les postes de responsables, salarié×e×s ou militant×e×s sont assez féminisés. Contextualisées, les accessions des femmes à ces postes ont souvent lieu à la suite d’événements « extraordinaires ». Cette féminisation prend place dans une organisation régionale qui a une commission femmes non mixte particulièrement active et qui fonctionne comme un véritable groupe d’intérêt et d’empowerment comme nous le verrons dans la seconde section du chapitre. Malgré des responsables femmes dans de nombreux postes et une politique de quotas particulièrement appliquée dans le recrutement des permanent×e×s, les

1 Toutes les régions d’Unia ne sont pas sous-divisées en section. La région Nord-Ouest de la Suisse n’en a

instances militantes restent peu féminisées et la région a même du mal à respecter les quotas dans les instances décisionnelles composées de militant×e×s. Nous constatons ainsi qu’une politique de quotas ne peut s’appliquer de la même manière aux permanent×e×s et aux militant×e×s. Pour commencer, les bassins de recrutement des militant×e×s sont directement et uniquement les membres, et donc un nombre très restreint de femmes, qui par ailleurs cumulent souvent des responsabilités familiales en plus de leur travail rémunéré. Les secrétaires, elles, peuvent être recrutées dans un bassin plus large, et notamment dans les cercles militants gravitant autour des syndicats et parmi des jeunes femmes dont la disponibilité biographique demeure plus élevée, principalement en raison de leur âge. Ensuite, les responsables peuvent faire appliquer une politique de quotas lors des engagements salariés, car c’est principalement elles et eux qui auditionnent et choisissent les permanent×e×s dans la région. La même autorité s’applique, en raison des liens hiérarchiques, sur les promotions de secrétaires dans des postes à responsabilité. Or, ce n’est pas le cas auprès des militant×e×s où la politique de quotas ne peut être appliquée de manière hiérarchique, mais où une véritable transformation de la culture organisationnelle doit être menée pour que davantage de femmes s’engagent dans les instances et prennent des responsabilités.

1.3 Syna, un syndicat à l’entre-soi masculin

Loin de la Maison des syndicats et des deux premières organisations étudiées, nous nous rendons à l’autre bout de la ville dans les locaux du syndicat interprofessionnel Syna, membre de la faîtière Travail.Suisse, situés dans une petite maison, dans un quartier plutôt résidentiel derrière le zoo de Bâle. D’une taille analogue à celle du secrétariat du SSP, ce sont cinq personnes qui travaillent au secrétariat de Syna. Nous sommes accueillis à l’entrée par un petit guichet derrière lequel se trouve une femme, Claudia Weber, la secrétaire administrative de la région. Dans les autres bureaux du rez-de-chaussée et à l’étage, contrairement aux autres syndicats étudiés dans la région, ce ne sont que des hommes qui occupent les postes de secrétaires syndicaux.

Malgré la taille restreinte de l’équipe, on trouve à Syna une structure plus hiérarchique qu’au SSP avec, dans chaque région, un×e responsable d’équipe. Les salarié×e×s du syndicat sont tous engagé·e·s à temps plein, y compris la secrétaire administrative. C’est Andreas Steiner, également responsable du secteur tertiaire, qui