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Le panorama actuel des structures femmes :

Section 3 Des politiques volontaristes de féminisation

Un tournant important de l’histoire syndicale suisse est l’investissement volontariste du secteur tertiaire par les syndicats du privé, secteur jusque-là peu organisé syndicalement. En plaçant au centre de leur politique la figure de l’ouvrier qualifié, masculin et exerçant une activité rémunérée tout au long de sa vie (Boillat et al. 2006, 184). Comme le dit Acker dans son analyse sur le fonctionnement genré des organisations, « le travailleur désincarné qui fait le job abstrait qui se rapproche le plus d’un vrai travailleur est le travailleur masculin dont la vie est centrée sur son travail à plein temps toute sa vie, pendant que sa femme ou une autre femme s’occupe de ses besoins personnels et de ses enfants. Alors que les réalités de la vie dans le capitalisme industriel n’ont jamais permis à tous les hommes de vivre cet idéal, c’était le but pour les syndicats et la représentation du travailleur dans les théories économiques et sociales » (Acker 1990, 149). Les syndicats restent en effet longtemps détournés des salarié×e×s du tertiaire, majoritairement des femmes travaillant à temps partiel.

Cette stratégie trouve ses limites face à la diminution de l’activité dans l’industrie (de 46 % en 1970 à un peu moins de 24 % en 2005) et la construction, avec comme corollaire une chute du nombre de syndiqué×e×s. À partir des années 60, l’idée d’augmenter le taux de syndicalisation grâce aux femmes fait son chemin (Gül 2004, 95), en particulier dans des syndicats implantés historiquement dans ces secteurs masculins. Ces syndicats attendent pourtant de nombreuses années avant d’agir concrètement. Le manque d’ancrage dans les secteurs féminisés est également un frein à la féminisation des structures dans d’autres contextes, comme au Canada (Bilge, Gagnon, et Quérin 2006). En France, des chercheuses constatent aussi la faiblesse historique de l’implantation des organisations syndicales dans les bastions féminins (Silvera 2006) et les difficultés des syndicats à prendre en charge les questions et revendications spécifiques des femmes (Maruani 2007). Ce n’est que dans les années 2000 que la représentation des femmes s’améliore grâce à des stratégies de recrutement ciblées dans les secteurs féminisés et à des politiques d’égalité interne volontaristes (Guillaume 2018, 6). Ce tournant n’est donc pas spécifique à la Suisse. Au Québec aussi, l’avenir du syndicalisme « repose sur la syndicalisation des salarié×e×s du secteur tertiaire privé (largement sous-syndiqué et fortement féminisé), les organisations syndicales québécoises n’ont pas d’autre choix que de se décliner au féminin » (Bilge, Gagnon, et Quérin 2006, 14). Kirton et Healy affirment

aussi concernant le Royaume-Uni qu’il « est incontesté que la survie des syndicats dépend de l’élargissement des domaines de recrutement traditionnels pour intégrer le secteur des services en général et pour augmenter la proportion des femmes dans les syndicats (Kirton et Healy 1999, 31). Outre la question du secteur tertiaire, au Canada, aux USA, au Royaume-Uni et en Australie, la plupart des syndicats « se sont activement saisis des questions d’égalité dans une stratégie de resyndicalisation à destination des femmes et des groupes minoritaires » (Guillaume, Pochic, et Silvera 2013, 30). En France, des politiques de féminisation des syndicats existent (Trat et Zylberberg-Hocquard 2000), mais la question est rattachée à la volonté de syndicalisation de manière plus tardive, et est appliquée de manière plus formelle, moins politique et très variable selon les syndicats (Guillaume, Pochic, et Silvera 2013). Ainsi, alors que la féminisation des syndicats a été pendant longtemps timide, « à un moment où les syndicats se posent de plus en plus la question de leur influence décroissante, de la faiblesse de leurs effectifs, l’adhésion des femmes devient un problème crucial, d’autant qu’elles sont les principales responsables de la croissance du salariat » (Zylberberg-Hoquart 2011, citée par Mathieu 2011, 119). Dans cette dernière section, nous nous attacherons donc à analyser comment les syndicats du privé en Suisse réagissent à ces pertes d’effectifs par des stratégies d’une part de fusion, mais surtout et c’est ce qui nous intéresse ici, de syndicalisation des femmes et du secteur tertiaire. Ainsi, les batailles des femmes syndicalistes trouvent un écho en partie favorable dans un contexte où la syndicalisation des femmes est devenue une réelle nécessité.

3.1 Des bastions syndicaux en perte de vitesse

À partir du milieu des années 70, des changements structurels importants touchent le tissu économique suisse. Le changement le plus marquant est le déclin de l’agriculture qui a très largement perdu la place qu’il occupait autrefois (voir Figure 4). Le secteur industriel, qui employait encore près de la moitié des personnes actives occupées1 dans

les années 1960, n’en compte plus que le quart à la fin des années 19902.

1 Nous mettons cette terminologie en italique car il s’agit de celle utilisée par l’OFS pour parler des

personnes exerçant une activité lucrative.

Figure 4: Personnes actives occupées par secteur 1850-1990

Source : 150 ans d’histoire statistique, OFS 1998

Le recul du secteur secondaire s’explique surtout par la progression très forte de l’activité professionnelle dans le tertiaire. En effet, les emplois dans le secteur tertiaire se développent fortement dès les années 1960. En 2015, ce sont 75% des personnes actives

occupées qui travaillent dans le secteur tertiaire (21% dans le secondaire). La perte

d’emplois dans le secteur secondaire doit toutefois être nuancée, car en nombre absolu, le nombre de personnes actives occupées dans le secteur secondaire est stable depuis environ 20 ans, comme on le voit dans la Figure 5, ci-dessous.

Etat fédéral suisse: 150 ans d’histoire

Vom Bauerngut über die Baumwollfabrik zum Bürobetrieb

Eine zentrale Bedingung langfristigen Wirtschaftswachstums stellte im 19. und 20. Jahrhundert zweifellos der Wandel in der Beschäftigungsstruktur dar (Grafik 10). Zwar sind die abgebil- deten Zahlen ein Stück weit zu relativieren, indem auf die fliessenden Übergänge zwischen den drei Sektoren aufmerksam gemacht wird und auf den Umstand, dass die amtliche Statistik die Dienstmädchen in Privathaushalten bis 1930 nicht als Erwerbstätige anerkannt hat,

ebensowenig wie die Teilzeit- arbeitenden bis 1960 und die Hausfrauen bis heute. Den- noch wird deutlich, dass sich das Erwerbsleben im Verlauf der letzten 150 Jahre von Grund auf verändert hat. So büsste die Land- und Forst- wirtschaft ihre vormals be- herrschende Stellung vollstän- dig ein; von fast 60% um die Mitte des 19. Jahrhunderts sank ihr Anteil am Erwerbs- tätigentotal über 30% um 1900 und 11% um 1960 auf weniger als 5% um 1990 ab. Bereits zu Beginn der 1880er Jahre wurde sie vom Zweiten Sektor und kurz nach der Jahrhundertwende dann auch vom Dienstleistungsgewerbe

überholt. Seit der Jahrhundertwende wächst allerdings der Dritte Sektor schneller als der Zweite; 1970 beschäftigten beide Sektoren erstmals ungefähr gleich viele Personen. Heute be- ziehen weit über drei Fünftel der Erwerbstätigen ihr Einkom- men in einer Branche des Dritten Sektors. Auf einen kurzen Nenner gebracht, vollzog sich im späten 19. Jahrhundert der Übergang von der Agrar- zur Industriegesellschaft, während im späten 20. Jahrhundert die Industrie- der Dienstleistungsgesell- schaft gewichen ist.

Produktiviätsschub im Agrarsektor

Obschon zahlenmässig kaum noch ins Gewicht fallend, pro- duzieren die Bauern heute erheblich mehr als im vergangenen Jahrhundert. In Grafik 11 kann verfolgt werden, welche Be- reiche des Agrarsektors langfristig expandiert haben und welche geschrumpft sind. Zur ersten Gruppe rechnen in erster Linie die Fleisch- und Milchwirtschaft: Es wird heute mehr als sechs mal so viel Fleisch und mehr als dreieinhalb mal so viel Milch hergestellt wie in den 1860er und 70er Jahren. Allerdings ist beim Fleisch die Entwicklung uneinheitlich verlaufen: die mit Abstand massivste Ausdehnung hat die Schweinefleisch- produktion erfahren; an zweiter Stelle folgt die Rind- und Kalbfleischproduktion. Entsprechend hat sich seit damals der Schweinebestand auf das Sechseinhalbfache, der Rinder- und Kälberbestand auf das Zweieinhalb- bis Dreifache und der Kuhbestand auf das Anderhalbfache erhöht, während der Kleinviehbestand stark abgenommen hat. Der Rückgang des Pferdebestandes ist primär auf die Modernisierung der Eisen-

Le travail de la terre cède la place au travail en fabrique, puis au travail de bureau

L’évolution de la structure du monde du travail constitue un aspect essentiel de la croissance économique du 19e et du

20esiècle (graphique 10). Les chiffres dont nous disposons en ce

domaine doivent être relativisés, d’une part parce que les limites entre les trois secteurs de l’économie sont mouvantes, d’autre part parce que la statistique officielle, jusqu’en 1930, ne con- sidérait pas comme personnes actives les servantes employées dans un ménage privé, de même qu’elle a ignoré jus- qu’en 1960 les personnes tra- vaillant à temps partiel et jus- qu’à aujourd’hui les femmes au foyer. Il apparaît néan- moins que le monde du travail s’est profondément modifié au cours des 150 dernières années. L’agriculture a perdu la place prééminente qu’elle occupait autrefois; les paysans, qui représentaient 60% de la population active au milieu du 19e siècle, n’en constituaient

plus que 30% en 1900, 11% en 1960 et moins de 5% en 1990. Dès le début des années 1880, l’agriculture est dépas- sée par le secteur secondaire et, peu après le tournant du siècle, par le secteur tertiaire. Depuis le début du 20esiècle, ce dernier s’accroît plus rapide-

ment que le secteur secondaire; en 1970, ces deux secteurs emploient pour la première fois à peu près le même nombre de personnes. Aujourd’hui, bien plus de trois personnes actives sur cinq travaillent dans le secteur tertiaire. On peut dire, en rac- courci, que la fin du 19esiècle marque le passage de la société

agricole à la société industrielle et la fin du 20esiècle le passage

de la société industrielle à la société des services.

Essor de la productivité dans l’agriculture

L’agriculture produit aujourd’hui beaucoup plus qu’au siècle passé, bien que le nombre de paysans ait très fortement dimi- nué. On peut voir dans le graphique 12 quels secteurs de l’agri- culture se sont développés à long terme et lesquels ont régressé. La production de viande et de lait fait partie des premiers: l’agri- culture produit aujourd’hui six fois plus de viande et trois fois et demi plus de lait que dans les années 1860 et 1870. Mais l’évo- lution n’a pas été semblable pour toutes les viandes: la produc- tion de viande de porc s’est développée le plus massivement, sui- vie de la production de bœuf et de veau. On dénombre aujour- d’hui six fois et demi plus de porcs qu’au siècle dernier, deux fois et demi à trois fois plus de boeufs et de veaux, une fois et demie plus de vaches, mais beaucoup moins de petit bétail. Le recul de l’effectif des chevaux est dû principalement à la modernisation des chemins de fer et au développement des transports routiers. La production de pommes de terre fourragères, qui avait fortement augmenté dans l’entre-deux-guerres et après la guerre,

150 Jahre schweizerischer Bundesstaat

BFS OFS UST

Erwerbstätige nach Sektoren 1850–1990 Personnes actives occupées par secteur

G 10 Sektoren / Secteurs: 1 2 3 1850 1870 1888 1910 1930 1950 1970 1990 0% 10% 20% 30% 40% 50% 60% 70% Bundesamt für Statistik (VZ) Of

Figure 5: Personnes actives occupées1 par secteur économique en millions.

Source : Mémento statistique de la Suisse 2017 (OFS)

Le ralentissement de la croissance économique, à partir des années 90, la progression du chômage et le rejet de l’entrée dans l’Espace économique européen provoquent une crise conjoncturelle qui touche de plein fouet les syndicats de l’industrie et de l’artisanat (Oesch 2008) touchant directement les bassins traditionnels des syndicats. Un livre retraçant la construction d'Unia indique que, durant la crise des années 1990, « 40% des emplois ont disparu dans la construction, des dizaines de milliers de saisonniers ont dû rentrer dans leur pays d’origine2 »3. En fonction du tissu régional,

certaines sections syndicales sont encore plus touchées que d’autres. Un syndicaliste du Tessin raconte :

« Entre 1994 et 1997, nous avons perdu 56 % des travailleurs, de la main-d’œuvre dans le bâtiment et 48 % dans l’artisanat (…) nous sommes passés de 13’500 adhérents à 10’000, nous sommes même passés sous les 10’000, mais politiquement, nous avons maintenu le chiffre de 10’000, parce qu’autrement, psychologiquement, pour les collaborateurs aussi, ça aurait été très dur. En fait, je m’en souviens encore, j’ai inventé un chiffre : 10 047 adhérents » (Pietro Conti, secrétaire syndical, Unia Tessin).

Dans d’autres pays aussi – Hongrie (Pochic et Guillaume 2010), France (Guillaume 2007), Royaume-Uni (Kirton et Healy 1999) – les effectifs syndicaux chutent. Si la perte d’effectifs est moins importante en Suisse que dans d’autres pays industrialisés

1 Depuis 1975 respectivement 1991, nouvelle méthode de calcul de l’OFS.

2 Une partie sont retournés dans leur pays d’origine mais d’autres sont restés et se sont reconvertis dans

d’autres secteurs.

3 Andreas Rieger, « Paysage syndical modifié en profondeur », in Une nouvelle dynamique syndicale, Dix

ans d’Unia, Rotpunktverlag, Zurich, p. 13.

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Personnes actives occupées selon le type d’autorisation et le sexe

en milliers 2e trimestre 1991 2000 2005 2010 2015 2016 Total 4 101 4 074 4 188 4 553 4 954 5 036 Suisses 3 050 3 105 3 130 3 301 3 452 3 493 Etrangers 1 051 969 1 058 1 252 1 502 1 543 Autorisat. d’établissement 551 588 576 624 721 746 Autorisation de séjour 177 181 235 341 410 417 Saisonniers 1 85 25 Frontaliers 183 140 176 228 300 310

Autorisat. de courte durée 21 20 53 42 46 44

Autres étrangers 34 15 18 17 26 26

Hommes 2 406 2 302 2 321 2 511 2 696 2 739

Femmes 1 694 1 772 1 867 2 042 2 258 2 296

1 L’autorisation de séjour pour saisonniers n’est plus délivrée depuis le 1.6.2002