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L’entrée sur le terrain à Unia se passe facilement. Unia est un syndicat dont la structure actuelle est récente. Il est le résultat en 2005 de plusieurs phases de fusion et en particulier, du rapprochement des deux grands syndicats de l’USS : la Fédération suisse des travailleurs de la métallurgie et de l’horlogerie (FTMH) et le Syndicat Industrie et Bâtiment (SIB). Il est le plus grand syndicat en Suisse avec près de 200’000 membres en 2014. Sa structure est divisée principalement en quatre secteurs : bâtiment, arts et métiers, industrie et secteur tertiaire privé. Avec près de 12'000 membres dans la région et plus de 40 salarié×e×s à Bâle, un guichet avec une permanence syndicale et juridique et une caisse de chômage, le syndicat Unia Nord-Ouest de la Suisse est une organisation de taille. Le chiffre d’affaires régional s’élève à plus de 5 millions et les locaux occupent plusieurs étages du bâtiment. Le travail y est beaucoup plus divisé et spécialisé.

Je connais déjà de vue de nombreuses personnes rencontrées dans les premiers mois d’enquête à Bâle lors de manifestations publiques. La discussion avec les responsables de la région m’ouvre la possibilité de formaliser l’enquête par la réalisation d’un stage dans tous les secteurs et services du syndicat. Les stages sont fréquents à Unia et ils permettent souvent à l’organisation de recruter de futures secrétaires syndicaux×ales. Sans l’avoir perçu comme tel au départ et sans que cela ne soit évoqué durant l’enquête bâloise, je pense avoir été perçue par les responsables syndicaux×ales d’Unia comme une potentielle recrue à engager. L’habitude du syndicat d’avoir des stagiaires et mon profil, très similaire à celui des autres femmes secrétaires syndicales de la région, ont sans doute facilité l’entrée sur le terrain. Cette perception s’est précisée deux ans plus tard lorsque j’ai demandé un entretien au responsable des ressources humaines de la centrale d’Unia à Berne : celui-ci a accepté de m’accorder un entretien en souhaitant toutefois en retour m’interviewer pour une potentielle future embauche. Auparavant, lors du Congrès des

femmes d’Unia à Lugano, une secrétaire syndicale dont j’étais proche sur le terrain me dit qu’à la fin de ma thèse les syndicats « allaient se battre » pour m’engager. De la même manière en retour, je me suis toujours senti « comme un poisson dans l’eau » durant le stage à Unia, pendant le travail de terrain ou lors d’événements de sociabilité : je l’explique tant par mon profil sociologique, très similaire à celui de la plupart des secrétaires syndicaux×ales que par une certaine familiarité avec les savoir-être et savoir- faire militants, liés à mes propres engagements associatifs et syndicaux. Parmi les idéaux- types analysés dans le livre SynEga, je corresponds assez précisément au profil de nombreuses femmes recrutées par Unia : non issues des branches professionnelles organisées, engagées plutôt à la sortie d’études universitaires, « leur socialisation, en lien avec la profession et la position de classe des parents, leurs sensibilités aux valeurs de la gauche et leurs éventuels engagements syndicaux, associatifs ou partisans, contribuent à forger des dispositions à se tourner vers le métier de secrétaire, renforcées le plus souvent par le fait d’entamer des études universitaires en sciences humaines et sociales (d’où d’éventuelles rencontres marquantes tant de professeur×e×s que de camarades politisé×e×s). Mais aussi des expériences de malaise liées au déplacement dans l’espace social et entretenues par la contrainte d’avoir à travailler pour financer tout ou une partie de ces études. D’où une première expérience du travail dans des emplois précaires, la plupart du temps dans le secteur tertiaire privé (vente, services à la personne, etc.) où les conditions autant que les salaires sont propices à nourrir un certain sentiment d’injustice simultanément aiguisé par les différences ressenties d’avec les étudiant×e×s issu×e×s des milieux favorisés ». (Fillieule, Monney, et Rayner 2019, 101). Ces profils d’étudiant×e×s politisé×e×s dans des organisations de gauche ou d’extrême gauche ou dans les associations estudiantines et auxquels je corresponds sont particulièrement fréquents à Unia, plus que dans les autres syndicats. Ces engagements se renforcent même au moment où l’organisation a instauré des quotas stricts dans le recrutement des permanent×e×s. La sursélection sociale des femmes secrétaires syndicales correspond d’ailleurs à des processus analysés dans d’autres professions typiquement masculines (Pruvost 2005). À Bâle, ces profils sont particulièrement nombreux.

Au total, j’ai effectué un travail de terrain beaucoup plus approfondi et réalisé un nombre supérieur d’entretiens à Unia. Lors de la discussion avec les responsables de la région évoquée ci-dessus, la possibilité de faire un stage et d’être présente au quotidien dans le travail syndical a rendu possible une enquête plus riche et approfondie que dans

les deux autres syndicats. En résumé, pendant plusieurs mois, j’ai participé au travail quotidien des syndicalistes, aux réunions du GI Femmes, à l’assemblée des délégué×e×s régionales, au comité et à différentes réunions de groupes professionnels. J’ai suivi plusieurs campagnes syndicales et participé également à trois Congrès d’Unia1 et à des

moments de sociabilité, notamment lors des apéritifs de départ de syndicalistes de la région. Le point d’orgue a été le stage intensif d’observation effectué fin 2013. Alors que le reste du temps, les moments d’enquêtes étaient fréquents, mais plus espacés, j’ai participé à ce moment-là au travail quotidien du syndicat tour à tour dans chaque secteur (construction et de l’artisanat, tertiaire, industrie) et dans le service interne (gestion administrative des membres, conseils juridiques, guichets et caisse de chômage du syndicat). Combinés à ces multiples observations de terrain et à deux entretiens informatifs, j’ai mené vingt-deux entretiens approfondis, essentiellement avec des secrétaires syndicaux×ales (actuel×le×s ou passé×e×s) et avec des militant×e×s d’Unia dans la région.

Finalement, j’ai l’impression durant l’enquête à Unia d’avoir davantage porté la casquette de stagiaire que celle de chercheuse. Cette proximité avec le terrain contraste avec les difficultés d’accès à l’enquête au sein du syndicat Syna.