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Introduction de la première partie

Section 2 Des groupes femmes et des quotas dans les syndicats

Notre conception de la féminisation ne s’arrête pas à l’analyse d’un pourcentage. Pour comprendre la place que prennent les femmes dans les syndicats, nous analyserons le rôle joué par des syndicalistes féministes et les groupes femmes non mixtes au sein des organisations. Les historiennes Mahaim et Gaillard-Christen affirment à ce sujet que « le taux de syndicalisation des femmes dans les fédérations affiliées à l’Union syndicale suisse augmente durant les périodes où une politique féminine dynamique est menée » (Mahaim et Gaillard-Christen 2000, 128). Or les politiques de féminisation et d’égalité sont essentiellement menées par quelques responsables femmes ou égalité, féministes, et par des groupes d’intérêts non mixtes créés dès les années 1940 dans une partie des syndicats en Suisse. Comme dans d’autres pays, ces groupes vont pousser les syndicats à mener des politiques d’égalité externes, mais « ces groupes vont [aussi] se battre pour mettre des représentant×e×s dans des positions officielles » au sein des organisations syndicales (Ledwith, Sue et al. 1990, 2). De manière plus générale, « si le syndicalisme est historiquement peu ouvert aux femmes, les recherches ont montré le rôle clé des militantes féministes (souvent rattachées à des mouvements féministes) de la deuxième vague (Colgan, Fiona et Ledwith 1996; Le Brouster 2006). En France comme en Angleterre, elles ont obligé les organisations à se positionner sur des questions féministes et à les mettre à l’agenda (avortement en France, equal pay en Angleterre), et à penser des dispositifs d’intégration des femmes » (Guillaume et Pochic 2010b, 15) dans les structures. Kirton et Healy montrent le rôle des responsables syndicales femmes dans le processus de féminisation des syndicats au Royaume-Uni, permettant de redresser au moins en partie le déclin de leurs membres (Kirton et Healy 1999). D’autres recherches indiquent la nécessité de créer une image « women-friendly » et de créer un environnement qui reflète certaines valeurs, préoccupations et certains besoins des femmes (Cockburn 1991; Heery et Kelly 1988; Cunnison et Stageman 1995). Pour ce faire, les femmes doivent être représentées à tous les échelons des structures syndicales (Cockburn 1991). En Suisse, le rôle des commissions femmes non mixtes semble essentiel aussi pour l’obtention par des femmes de postes dirigeants. Par exemple, à la FTMH, la première femme présidente, Christiane Brunner, a accédé à ce poste après avoir

occupé celui de première secrétaire aux femmes et avoir dirigé le département « Femmes au travail » au sein du secrétariat central du syndicat.

2.1 Des groupes femmes et des secrétaires pour les appuyer

Au sein de l’Union syndicale suisse, la première tentative de mise en œuvre d’un secrétariat pour les ouvrières donne lieu à l’engagement de la première secrétaire femme, Margarethe Faas-Hardegger, au tout début du siècle. Quelques années plus tard, ce secrétariat est supprimé et ce n’est qu’au milieu du siècle que des structures femmes voient le jour, cette fois directement dans les fédérations.

La Fédération des travailleurs du commerce, des transports et de l’alimentation, syndicat où les femmes constituent plus du quart des adhérent×e×s en 1959, fait office de pionnière puisqu’elle dispose de conférences féminines ancrées dans ses statuts depuis leur congrès de 1945 déjà1. Au SSP, les premières conférences féminines se réunissent

dès les années 1950. À l’origine, la Conférence nationale des femmes du SSP émerge de la réunion d’une centaine d’avant-gardistes en marge du syndicat. Ce sont elles qui l’organisent dans les années 1950 sous le label « Salaire égal pour travail égal entre hommes et femmes »2. À l’USS, la première conférence féminine se réunit en 1953

(Mahaim et Gaillard-Christen 2000, 153). Ces initiatives restent toutefois le fait de quelques femmes militantes : « Si l’on considère le mouvement syndical suisse dans son ensemble, on constate qu’il ne déploie pas une activité systématique en faveur des

femmes ; pour l’essentiel, l’action syndicale parmi les femmes demeure le fait de quelques

militantes »3.

En 1959, un événement marquant de la vie politique suisse va donner un nouvel élan à l’organisation des femmes dans les syndicats. Le refus en votation du suffrage féminin au niveau fédéral est vécu comme une humiliation et la nécessité de mieux s’organiser est exprimée par des syndicalistes. Maria Alt écrit ce sujet : « Au lendemain de l’issue décevante du scrutin populaire sur le droit de vote de la femme sur le plan fédéral, le Comité syndical a décidé, ce printemps, de la construction d’une Commission

féminine syndicale. En effet, cette votation a démontré la nécessité d’un organe groupant

1 Source : Maria Alt, 1959, « La position de la femme dans le mouvement syndical suisse », Revue syndicale

suisse : organe de l’Union syndicale suisse, 51e année, N°11, pp. 321-325. 2 Fluder, 1996, p. 230.

les représentantes des femmes syndiquées et voué à la défense de leurs intérêts. Nous espérons que cette commission contribuera de manière efficace à améliorer le degré d’organisation des travailleuses et leur condition et à renforcer le mouvement syndical dans son ensemble »1. Les deux premières présidentes de la commission féminines de

l’USS, Edith Nobel-Rüefli (1958-1970) et Maria Zaugg-Alt (1970-1977) sont toutes deux issues de la FCTA, qui a déjà depuis plusieurs années une secrétaire féminine et des directives relatives à l’action syndicale parmi les femmes. Les militantes de la FCTA semblent donc jouer un rôle moteur dans la mise en place de structures féminines à l’USS. La FCTA a « des conférences féminines qui examinent régulièrement les problèmes qui concernent directement les ouvrières et les employées ». C’est également sur proposition de la FCTA que « l’Union syndicale a convoqué plusieurs conférences des femmes syndiquées pour étudier les moyens de promouvoir la réalisation du postulat de l’égalité de rémunération »2. Après ces multiples initiatives, parfois encore peu formalisées, c’est

en 1962 que se réunit le premier Congrès des femmes de l’USS les 3 et 4 mars à Berne. Comme le montre l’encadré ci-dessous, qui donne les intitulés des Congrès des femmes de l’USS et leur thématique principale, les sujets de ce premier congrès sont la Loi sur le travail (un projet de loi était en discussion au Parlement), la protection de la maternité et le travail syndical des femmes en Autriche. Tout d’abord, espacés dans le temps, ce n’est qu’à partir de l’engagement, en 1981, d’une secrétaire aux questions féminines en la personne de Ruth Dreifuss – et probablement de l’inscription de cet organe dans les statuts – que le Congrès des femmes se réunira plus fréquemment pour atteindre le rythme actuel des 4 ans.

1 Source : Ibid p. 324. 2 Source: Ibid, p. 324.