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Bloquer la prolongation des horaires d’ouverture des magasins : une campagne syndicale dans le tertiaire

Encadré 10 Les ressorts d'une responsabilité de région bicéphale

Au moment de la fusion, la région est dirigée par un homme, Klaus Lindner. En 2006, aucune issue n’est trouvée pour apaiser les tensions entre les deux responsables administratives de l’ex-FTMH et de l’ex-SIB, qui doivent désormais travailler ensemble dans le nouveau syndicat Unia qui vient de fusionner. Pour sortir du conflit, chacune prend des responsabilités spécifiques et une autre syndicaliste, Beatrice Meng, devient responsable administrative de la région (droit de vote au comité directeur régional). Durant cette même année, Klaus Lindnert part de la région en plein burnout. C’est Carla Wiss, membre du comité directeur national chargée de la région qui le remplace en intérim. Mais l’ancien responsable régional décède abruptement une année après son arrêt maladie, à 54 ans. Carla Wiss reste ainsi cinq ans à la tête de la région. Durant cette période, elle assume un double mandat, qu’elle dit extrêmement lourd à porter. La responsable du personnel et de l’administration prend donc une place importante dans la direction de la région. Beatrice Meng développe son poste et reprend une partie du cahier des charges de la responsable de région. Elle explique : « comme Anna n’est

là qu’à 40% pour la région j’ai commencé à développer mon job ». Elle siège aussi dans

différents projets nationaux et commence à aller au comité central d’Unia, elle raconte :

« À un moment j’ai dit que ce n’est pas possible qu’il n’y ait personne de notre région dans le comité central ! Qui nous représente en fait ici ? Et du coup, en 2008 je crois, je suis allée au comité central sans droit de vote, pour que les informations arrivent dans la région » (Beatrice Meng, Unia)1.

Sans succès jusque-là, dès 2009, la région entreprend une deuxième vague de recherche active d’un×e responsable de région. Beatrice Meng explique les difficultés de recrutement à ce poste si spécifique, si lourd et si important : « On a vraiment fouillé tout le réseau bâlois. Et on a

approché des gens, mis au concours, fait appel à un chasseur de têtes, mais on n’a pas réussi ».

Carla Wiss continue donc à assumer partiellement le mandat à temps partiel. Elle hésite à reprendre le poste, mais change d’avis. Dans le courant de l’année 2010, elle affirme ne plus pouvoir assumer cette responsabilité de région ad intérim et souhaite terminer au plus tard en décembre. Un nouveau processus de recrutement démarre où des personnes du spectre de la gauche bâloise, des organisations à but non lucratif, des ONG et à l’interne sont abordées. Beatrice Meng se met à disposition pour assumer le mandat en co-responsabilité donnant lieu à des négociations compliquées avec la centrale qu’elle résume ainsi :

« Lors du premier processus de recrutement, j’ai dit que je me mettrai à disposition pour une « co » [responsabilité de la région]. Mais j’ai ensuite retiré ma candidature après trois mois. Lors du premier tour, j’avais reçu des signaux de la centrale indiquant que cela n’allait pas qu’une administratrice de région postule un poste de secrétaire régionale. Ensuite au second tour, parce qu’ils ne trouvaient personne, […] ils ont quand même réfléchi à cette option. Il y a

ensuite eu des entretiens avec moi, et ensuite lors de la deuxième fois j’ai à nouveau déposé ma candidature. Et ensuite, on a trouvé Adrian et c’est de cette manière que c’est arrivé et que je suis aujourd’hui co-secrétaire régionale ».

Une solution est finalement trouvée dans la région voisine d’Argovie avec l’embauche d’un secrétaire syndical d’Unia, Adrian Bloch, en février 2011. Beatrice Meng indique ne pas accepter qu’on la rétrograde : « Après 5 ans, je ne me laisse pas débarquer [de mon poste].

J’ai construit cette position et n’ai pas envie que d’un coup quelqu’un arrive et que je me retrouve à nouveau en dessous avec des compétences réduites ». Le fait d’avoir pris cette

responsabilité n’était pas un but en soi, mais lié au contexte organisationnel, elle raconte :

« Le fait d’avoir une direction ad intérim pendant toutes ces années n’était pas facile. C’est avoir quelqu’un et en même temps n’avoir personne. Et je dis toujours à ce sujet : le fait d’avoir moi-même pris mes fonctions est lié à la situation et non parce que je l’aurais vraiment voulu. C’est lié aussi à ma nature : je ne peux pas vraiment laisser les choses comme elles sont si je pense que cela ne va pas, mais une fois que je les ai [les responsabilités], je ne les rends pas (rire) ».

Beatrice Meng augmente son taux d’activité à 100%. À ce moment, c’est la seule région qui fonctionne avec ce type de répartition. Une ou deux autres régions ont aussi des coresponsables, mais ce sont des responsables syndicaux×ales de la mobilisation ou des responsables de section qui se partagent la responsabilité régionale. Or, dans la région Nord-Ouest de la Suisse, le partage se fait entre d’un côté, Beatrice Meng, qui prend en charge la direction administrative et du personnel du syndicat ainsi que la caisse de chômage, et de l’autre, Adrian Bloch, qui s’occupe de la mobilisation et donc de la politique et de la stratégie syndicale dans les secteurs et les branches. Les deux participent aux engagements du personnel : Adrian Bloch lorsqu’il s’agit d’engager des secrétaires syndicaux×ales, Beatrice Meng pour toutes les personnes engagées. Elle participe au plus tard au dernier tour d’entretien de tous les engagements de la région, car c’est elle qui signe les contrats. Elle est responsable du comité directeur et lui du comité et de l’Assemblée des délégué×e×s de la région. Dans la négociation avec la centrale, pour garder le poste de coresponsable de région, Beatrice Meng doit tout de même s’engager à prendre en charge une branche syndicale et elle est donc responsable du théâtre, un « secteur

un peu à part ».

La région Nord-Ouest de la Suisse est donc pilotée depuis 2011 par un duo. Ce sera le cas durant toute la durée de notre enquête de terrain. Ces postes sont de loin les postes les plus importants de la région. Dans les statistiques d’Unia, c’est d’ailleurs les

seuls postes considérés comme des postes de cadres supérieurs avec ceux du comité directeur national.

Concernant le comité directeur de la région, la féminisation est difficile à reconstituer, car les données sont disponibles seulement sur quelques années. Sa composition n’est pas totalement figée. Elle est régulièrement l’enjeu de grosses luttes internes sur qui a le droit d’y participer ou non. Il est en général constitué de la direction régionale, du ou de la présidence de région, des responsables de secteurs, de la direction de l’administration et de la caisse de chômage. En 2007, sur 8 personnes, ce sont 3 femmes (38%) qui y siègent. Le départ de la responsable du secteur tertiaire, à la suite d’un conflit avec Ana Sciola, réduit la composition à deux femmes en 2009. Elle n’est pas véritablement remplacée puisqu’une seule personne prendra alors la tête du tertiaire et de l’industrie, ce qui réduit à 7 le nombre total de membres du comité directeur. Dès 2009, le président (militant) de la région n’est plus mentionné parmi les membres du comité directeur dans le rapport d’activité1. Pour finir, en 2010, ce sont toujours 4

hommes et 3 femmes qui y participent et donc les femmes y sont 43%. Cette forte féminisation s’explique par le fait que l’administration est dirigée par une femme et que la direction ad intérim de la région est prise en charge par une femme, dans des circonstances particulières. Elle n’exerce en effet pas toutes les prérogatives habituelles puisqu’elle reste membre du comité directeur national et que ce double mandat rend impossible un investissement total dans la région.

Au moment de notre enquête, la répartition reste similaire à celle de 2011. L’équipe de l’industrie est très féminisée avec 4 femmes secrétaires, dont l’une est responsable du secteur, et deux hommes, dont l’un fonctionne de manière très autonome (nous ne le voyons jamais) sans participer aux séances d’équipes ou aux activités de la région. L’équipe du tertiaire reste également très féminisée avec deux secrétaires femmes et un homme. Le poste de responsable est vacant, mais sera repris en cours d’enquête par une femme, recrutée à l’extérieur de l’organisation. L’équipe de la construction et de l’artisanat reste durant toute l’enquête exclusivement organisée par des hommes secrétaires syndicaux.

À l’issue de cette analyse des postes de permanent×e×s, nous constatons un véritable processus de féminisation de l’appareil syndical d’Unia dans la région Nord-

1 Nous ne savons pas s’il n’est plus mentionné parce qu’il n’y participe plus ou si c’est un oubli dans le

Ouest de la Suisse. Il est particulièrement prononcé dans le secteur tertiaire et va même au-delà des quotas fixés à 40% et bien au-delà des taux de femmes syndiquées dans l’organisation. Les postes de direction se féminisent fortement dans la région et dans des circonstances particulières ; même la direction régionale est occupée par deux femmes, puis un homme et une femme.

Nous finissons ce tour d’horizon par les deux principales instances décisionnelles militantes de la région : le comité régional est l’instance exécutive qui réunit une vingtaine de militant×e×s des secteurs et des groupes d’intérêts de la région. Il se réunit plus fréquemment que l’Assemblée des délégué×e×s à laquelle sont également élu×e×s des délégué×e×s des secteurs et des groupes d’intérêts.

Tableau 20: Répartition hommes-femmes du comité régional d'Unia NWS (2005- 2011) H F Total % de femmes 2005 15 3 18 17% 2006 15 3 18 17% 2007 9 2 11 18% 2008 13 5 18 28% 2009 15 6 21 29% 2010 17 5 22 23% 2011 17 8 25 32%

Source : rapports d’activité Unia NWS de 2005 à 2011, nos calculs

L’analyse du Tableau 9Tableau 20 montre la féminisation en cours du comité régional d’Unia NWS. De 3 femmes élues en 2005, à seulement 2 en 2007, leur nombre augmente ensuite progressivement jusqu’à être 8 en 2011. Le comité passe donc de 17% à 32% de femmes en six ans. La féminisation de cette instance est influencée par l’augmentation du nombre de postes, car le comité régional passe de 18 à 24 sièges. Deux années clés nous frappent également : entre 2007 et 2008, la féminisation gagne 10 points. De la même manière, entre 2010 et 2011, elle progresse de 9 points. Or, ces deux années ne sont pas anodines par rapport aux mobilisations des femmes syndicalistes. 2008 est l’année du Congrès d’Unia lors duquel le GI Femmes s’est intensément battu pour imposer des quotas statutaires plus élevés dans les instances nationales (33%) et où la question de la participation des femmes était à l’ordre du jour. 2011 est une année particulière de mobilisation des femmes syndicalistes puisque le 14 juin 2011 a donné

lieu à des journées d’action et de mobilisation dans toute la Suisse. À Bâle, le GI femmes d’Unia et sa secrétaire étaient au cœur de cette mobilisation. C’est également l’année où la présidente du GI femmes, déléguée syndicale dans l’industrie, est élue en tant que première femme à la tête de la région Nord-Ouest de la Suisse d’Unia.

La deuxième instance militante importante de la région est l’assemblée des délégué×e×s qui se réunit deux fois par an. Elle donne les principales orientations et priorités syndicales. En 2008, la moyenne nationale dans les assemblées des délégué×e×s régionales est de 20% de femmes (fourchette allant de 13% à 30%). En 2012, dans la région, ce sont 20 femmes qui sont délégué×e×s sur 86, donc un taux de 23%. Trois ans plus tard, elles sont 19 déléguées, mais avec un nombre beaucoup plus bas de 64 délégué×e×s, donc 30%.

En comparaison aux autres régions d’Unia, nous constatons qu’en 2011, le Nord- Ouest de la Suisse a un des comités les plus féminisés alors qu’en 2015, c’est l’inverse. Au total, la région ne remplit jamais complètement les quotas1.

Pour en venir à l’enjeu de la participation à ces deux instances, contrairement au phénomène observé au SSP, la participation des femmes d’Unia au comité de région est inférieure au pourcentage de femmes élues. Par exemple, lors de la séance du 5 novembre 2012 – une séance importante, car elle sert de préparation au congrès –, ce sont douze hommes et quatre femmes qui y participent (et donc 25% de femmes). En plus des militant×e×s, les deux secrétaires de régions, Beatrice Meng et Adrian Bloch, sont là, Jonas Wende prend le procès-verbal et Eva Vogt est la seule secrétaire syndicale présente2.

Ensuite, les rapports d’activités postérieurs à notre enquête montrent que la féminisation du comité de région ne sera pas pérenne et se situera bien en dessous de la moyenne nationale. Par rapport au taux de participation à l’Assemblée des délégué×e×s, celui-ci est déjà bien plus faible de manière globale. Sur les 86 délégué×e×s élu×e×s, ce ne sont que 36 délégué×e×s qui participent à l’assemblée du 24 septembre 2012. Lors de cette séance, la candidate à la coprésidence nationale d’Unia Vania Alleva est invitée. Les femmes y

1 Tout comme cinq autres régions en 2011 Genève (AD), Vaud (CR et AD), Neuchâtel (CR et AD),

Fribourg (CR et AD), Tessin et Moesa (AD), Suisse du Nord-Ouest (AD) et quatre autres en 2015 Vaud (AD), Fribourg (AD), Neuchâtel (CR) Tessin et Moesa (AD), Suisse du Nord-Ouest (CR).

2 Elle est probablement la seule secrétaire présente car elle participe au congrès national contrairement à la

plupart des secrétaires syndicaux×ales de la région. L’impossibilité de participer au congrès national pour d’autres secrétaires causent d’ailleurs pour certain×e×s une grande frustration.

participent en plus grand nombre et elles constituent ce soir-là1 36 % des délégué×e×s à y

participer (sur 23% d’élues).