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L’histoire de la prison fait l’objet d’une riche littérature247. Il n’est dès lors pas dans notre intention de décliner ici une historiographie exhaustive de cette institution. Nous nous contenterons simplement de rappeler que l’enfermement fut jusqu’au siècle des Lumières réservé aux mauvais payeurs et aux mendiants - aux pauvres d’entre les pauvres - ainsi qu’aux étrangers, aux prisonniers de guerre ou encore aux condamnés à mort graciés248. Elle était pour les uns un moyen de les maintenir à la disposition de la cour avant leur procès, et pour les autres la traduction de la volonté du souverain, via la lettre de cachet249.

La prison trouve donc sa raison d’être pénale sous la plume de quelques philosophes éclairés250. Le marquis Cesare BECCARIA251 fut le premier à l’invoquer en remplacement de la

peine capitale, considérée comme inutile, non exemplaire et pas nécessaire252. Elle répondait à l’obligation de punir en privant l’homme de sa liberté, nouvellement élevée au rang de « bien le plus précieux »253. La peine d’emprisonnement consécutive à une condamnation pénale est alors considérée « comme une alternative humanitaire à la peine de mort et aux

châtiments corporels »254.

Jusqu’au milieu du vingtième siècle, la prison pour peine « se suffit à elle-même »255 et ne fait que rarement l’objet d’une attention particulière, sinon au travers des visites et des études consécutives de certains visionnaires humanistes, tels que l’anglais John HOWARD, High

Sheriff du comté de Bedford256. Elle est un lieu particulièrement fermé, au sein duquel

247

Voir exemple DEYRON (1975);PERROT (1980);PETIT (1990); PETIT/CASTAN/FAUGERON/MICHEL/ZYSBERG

(1991). Pour une lecture historique de l’institution carcérale à-travers le prisme de ses différentes réalisations architecturales, cf. ROTH/ROBERT (1980). Pour des références historiques sur l’emprisonnement tel qu’il est conçu notamment en Suisse romande entre la fin du dix-huitième et le début du vingtième siècle, cf. notamment BOLLE (1973) pour le canton de Neuchâtel ;ROTH (1981) pour le canton de Genève etANSELMIER (1983 ; 1993) pour le canton de Vaud.

248 COMBESSIE (2004), pp. 7s. 249 CASTAN (1984), pp. 31-35. 250 SELLIN (1967),p.100;DUPRAT (1980), pp.66-68. 251

Sur l’œuvre et le rayonnement de BECCARIA, on lira avec intérêt PRADEL (1991), en particulier pp. 24-39; PORRET (2003) et les textes le concernant rassemblés dans l’ouvrage collectif dirigé par ce dernier : PORRET

(1997).

252

Avec son traité intitulé « Des délits et des peines », publié en 1764. Cf. BECCARIA (rééd. 1991). Sur les raisons invoquées par BECCARIA dans son traité pour substituer l’emprisonnement à la peine de mort, cf. SELLIN

(1967),pp. 101-103. 253 JACQUARD/AMBLARD (1993), p. 154. 254 LEMIRE (1993), p. 61. 255 LEMIRE (1993), p. 62. 256

Sur la vie et l’œuvre de HOWARD, cf. notamment KREBS (1978);RADZINOWICZ (1978)et CARLIER/PETIT in HOWARD (trad. nouvelle et éd. critique de 1994), en particulier pp. 23-43 et pp. 539-544.

survivent des détenus issus des classes dites « laborieuses et dangereuses »257 et/ou du « grand renfermement »258, réifiés et tributaires de l’arbitraire de l’administration.

C’est seulement à l’issue de la deuxième guerre mondiale que l’institution carcérale connaît en Europe de sérieux bouleversements. A la faveur des revendications de ceux qui l’ont connue sous l’occupation, une réflexion est entamée sur le statut des personnes incarcérées et sur leurs conditions de détention259. De vastes projets de réforme sont entrepris et certains aboutissent260. Progressivement, l’institution carcérale s’ouvre sur l’extérieur261, se « décloisonne »262 et « s’humanise »263, notamment sous l’impulsion d’instruments supranationaux264. Des droits subjectifs sont reconnus aux détenus265, leur sort est sensiblement amélioré et le pouvoir discrétionnaire de l’administration pénitentiaire se voit partiellement codifié266. De nouveaux professionnels pénètrent l’enceinte de la prison pour prêter main forte à l’œuvre de « (ré)éducation » désormais assignée à la prison et des peines alternatives à l’incarcération sont recherchées, parfois même mises en oeuvre.

Durant deux décennies, les taux d’incarcération restent stables, tant sur le vieux que sur le nouveau continent. Cette tendance va néanmoins très rapidement s’inverser, des deux côtés de l’Atlantique267. Dès la fin des années septante en effet, plusieurs gouvernements adoptent notamment une politique d’incarcération et d’allongement des peines quasi systématique268,

257

IGNATIEFF (1984),p.12.

258

En France en effet, la peine d’emprisonnement correctionnel du Code Napoléon se substitue aux anciennes pratiques d’enfermement des pauvres, des vagabonds, des prostituées et des aliénés dans les Hôpitaux Généraux et les dépôts de mendicité. Sur ce point, cf. notammentFOUCAULT (1975); FAUGERON/LE BOULAIRE (1992), pp. 12s; MARCHETTI (1997), pp. 25ss et SENON (1998a), pp. 162s.En Grande-Bretagne, une majorité des détenus provient des Working Houses.

259

FAVARD (1987), pp. 15s; O’BRIEN (1995), p.218;REYNAUD (1995), pp. 25s;BOLLE (2001), p. 154.

260

Par exemple en France, la réforme AMOR de 1945, profondément inspirée des travaux de CANNAT (1942 ; 1949) et dont le mouvement de la Défense sociale nouvelle de Marc ANCEL (rééd.1981) s’inscrira dans la continuité (ANCEL (1959), pp. 301-305), ainsi que la réforme LECANUET, en 1975. Toutes deux ont néanmoins été freinées par une série d’obstacles, d’ordre idéologique et structurel notamment, tel que le relèvent SEYLER

(1980) et FROMENT (1994). Ce dernier en particulier rend compte du trouble qui caractérise à cette époque les politiques dans leurs tentatives de légitimation de l’institution carcérale. En Suisse, il s’est agi de la révision de 1971 : cf. CONSEIL FEDERAL, Message à l’appui d’un projet de loi révisant partiellement le code pénal du 1er mars 1965 ; FF 1965 I 569.

261

SEYLER (1985) parle d’« affaiblissement de la clôture ».

262

SYR (1990), pp. 116ss; FAVARD (1995), p. 190; BLANC (1998); COMBESSIE (1996a) et (2000), p. 69.

263

GARAPON/SALAS (2001),p.165.Sur les limites de ce processus d’« humanisation », cf. SYR (1991), pp. 74- 78.

264

A commencer par l’Ensemble des règles minima pour le traitement des détenus, adopté par le premier Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants le 30 août 1955 à Genève.

265

DAGA (1992), p.162.

266

Tel est le cas par exemple en France en matière disciplinaire. A ce propos, voir CÉRÉ (1994).

267

Sur les raisons historiques, politiques, socio-économiques et/ou pénologiques de ce renversement de tendance, en particulier aux Etats-Unis, en Angleterre et en France, lire notamment MATHIESEN (1990); WACQUANT (1999); GARLAND (2001); CHRISTIE (2003) et la revue de littérature très complète de HUDSON

(2002) sur la peine et le contrôle social. Pour des cas d’étude intéressés aux effets de changements politiques majeurs (décolonisation, fin de l’apartheid, chute de l’ex-URSS, réunification allemande, etc.) sur les pratiques et politiques d’enfermement, cf. ARTIERES/LASCOUMES (2004).

268

Cf. notamment TUBEX/SNACKEN (1995), lesquelles démontrent entre autre le mécanisme d’allongement des peines pour les auteurs d’infractions qualifiées de graves et les récidivistes. Voir également les « chroniques

statistiques » publiées dans les Bulletins d’information pénitentiaire - désormais Bulletins d’information pénologique - du Conseil de l’Europe de Pierre TOURNIER, qui fut responsable des programmes européens SPACE I et II (Statistique Pénale annuelle du Conseil de l’Europe). Les enquêtes 2002 et 2003 SPACE I ont été

de telle sorte qu’au début du vingt-et-unième siècle, la privation pénale de liberté demeure la peine de référence dans de nombreux pays269.

2.2 Fonctions de la peine privative de liberté et finalités attribuées à