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2.2 Le secret de fonction "incarcéré"

2.2.2 Le secret de fonction sous l’angle du droit pénal fédéral

2.2.2.5 Révélation non-punissable

Il est des cas dans lesquels la révélation du secret de fonction n’est pas punissable, soit en vertu de l’article 320 ch. 2 CP, soit en vertu d’un fait justificatif général - prévu aux articles 32 à 34 CP - ou extralégal.

2.2.2.5.1 Fait justificatif spécial

L’article 320 ch. 2 CP dispose expressément d’une voie de levée du secret de fonction.

Autorisation de l’autorité supérieure

Dans les cas où le détenteur du secret estime qu’il doit le révéler, il lui incombe de saisir l’autorité hiérarchique supérieure, sans égard au fait qu’il ait ou non cessé son activité1006. Elle seule peut par écrit délier le fonctionnaire ou le membre d’une autorité de son secret de fonction1007, limitant si nécessaire son autorisation à certains faits et à un cercle restreint de personnes uniquement1008. L’autorité compétente et les critères sur lesquels elle fonde sa décision relèvent du droit qui la régit1009. Il s’agit généralement du chef du département dont relève l’agent public. Seul le détenteur du secret est en principe habilité à demander cette autorisation1010. La requête peut néanmoins être déposée par un service ou un office agissant dans l’intérêt public1011. Dans tous les cas, l’autorité compétente procède à une pesée des intérêts en présence. Si elle conclut à la levée, le détenteur du secret devra alors le révéler1012. Notons enfin que la terminologie adoptée à l’article 320 ch. 2 CP se révèle malencontreuse. La doctrine majoritaire substitue dès lors au terme « consentement »1013 celui d’« autorisation ». La notion de consentement est en effet retenue à mauvais escient en l’espèce puisqu’il ne peut émaner que de la personne physique directement concernée par les

1004 BUSER (1985), p. 57. 1005 ATF 123 IV 75, 77. 1006 ATF 123 IV 75, 77. 1007

OBERHOLZER inNIGGLI/WIPRÄCHTIGER (2003),p. 2052, n°13.

1008

LOGOZ (1956), p. 776, n°9.

1009

REINHARDT (1990), p. 55; CORBOZ (2002), p. 627, n°28; OBERHOLZER inNIGGLI/WIPRÄCHTIGER (2003),p. 2052, n°14. 1010 ATF 123 IV 75, 77. 1011 SCHULTZ (1979), p. 376; CORBOZ (2002),p. 627, n°28. 1012 GUILLOD/GIAUQUE (1999),p. 54. 1013

faits scellés par le secret. Une entité publique ne verse en effet pas son consentement, mais donne son autorisation. Celle-ci on l’a vu peut être générale ou partielle uniquement.

2.2.2.5.1.1.1 Obligation de témoigner en justice

L’autorisation de l’autorité intervient le plus souvent dans le cadre du témoignage en justice. Le membre d’une autorité et le fonctionnaire - fédéral, cantonal ou communal - ne peuvent en principe être entendus en tant que partie ou témoin dans le cadre d’un procès civil ou pénal, que sous réserve du « consentement » écrit de l’autorité supérieure. Cette autorisation est le résultat d’une pesée des intérêts en présence, à savoir, d’une part celui du service public concerné au maintien du secret et, d’autre part, celui de la justice à établir la vérité. Elle doit par conséquent être octroyée en toute connaissance de cause, en particulier quant aux circonstances entourant la révélation et son destinataire. L’autorisation est refusée uniquement si un intérêt privé et/ou public prépondérant prime in casu sur l’intérêt de la justice à la révélation1014.

S’agissant de la procédure civile, en droit positif1015 et comme le maintient l’avant-projet de Loi fédérale de procédure civile1016, le droit de la Confédération, respectivement celui des cantons1017 détermine les conditions de la levée du secret de fonction permettant à l’agent public de collaborer avec la justice. Si le fonctionnaire est délié de son secret de fonction, il se voit dans l’obligation de témoigner.

En procédure pénale fédérale, l’article 78 de la Loi fédérale sur la procédure pénale1018 dispose qu’« aucun fonctionnaire ne peut, sans le consentement de l’autorité supérieure, être

entendu comme témoin sur un secret qu’il détient en vertu de sa charge ni astreint à produire des documents officiels. Au surplus, les dispositions du droit administratif fédéral et cantonal sont applicables à cet égard ». A l’échelon cantonal et dans l’attente d’une procédure pénale

unifiée, les agents publics cantonaux doivent se référer au code de procédure pénale de leur canton1019.

1014

Cf. par exemple BJP 1/1981, n°39, p. 25, s’agissant des intérêts de l’Etat à la poursuite pénale.

1015

Cf. art. 42 ch. 3 de la Loi fédérale de procédure civile fédérale du 4 décembre 1947 (LPC ; RS 273). Il en va de même en procédure administrative en vertu de l’art. 16 de la Loi fédérale sur la procédure administrative du 20 décembre 1968 (LPA ; RS 172.021), qui renvoie à la disposition de la LPC précitée.

1016

COMMISSION D’EXPERTS, Avant-projet de Procédure civile suisse (AP-PCS), juin 2003 (art. 157 al. 3) et

Rapport accompagnant l’avant-projet de Loi fédérale sur la procédure civile suisse, juin 2003, p. 82.

1017

Cf. notamment pour le canton de Fribourg, l’art. 214 al. 3 du Code de procédure civile du 28 avril 1953 (RSF 270.1) ; pour le canton de Genève, l’art. 227 al. 2 de la Loi de procédure civile du 10 avril 1987 (RSG E 3 05) ; pour le canton du Jura, l’art. 244 al. 1er du Code de procédure civile de la République et canton du Jura du 9 novembre 1978 (RSJU 271.1) ; pour le canton de Neuchâtel, l’art. 236 al. 3 du Code de procédure civile du 30 septembre 1991 (RSN 251.1) ; pour le canton du Tessin, l’art. 230 lit. f du Codice di procedura civile du 17 février 1971 (RST 3.3.2.1) ; pour le canton du Valais, l’art. 186 lit. b du Code de procédure civile du 24 mars 1998 ( RSVS 270.1) ; pour le canton de Vaud, l’art. 198 al. 1er et 3 et l’art. 199 du Code de procédure civile du 14 décembre 1966 (RSVD 270.11).

1018

Loi fédérale sur la procédure pénale du 15 juin 1934 (LPP ; RS 312. 0).

1019

Voir notamment pour le canton de Fribourg, l’art. 79 al. 1er du Code de procédure pénale du 14 novembre 1996 (RSF 32.1) ; pour le canton de Genève, l’art. 46 du Code de procédure pénale du 29 septembre 1977 (RSG E 4 20) ; pour le canton du Jura, l’art. 160 ch. 4 du Code de procédure pénale de la République et canton du Jura du 13 décembre 1990 (RSJU 321.1) ; pour le canton de Neuchâtel, l’art. 147 ch. 2 du Code de procédure pénale du 19 avril 1945 (RSN 322.0) ; pour le canton du Tessin, l’art. 123 du Codice di procedura penale du 19 décembre 1994 (RST 3.3.3.1) ; pour le canton du Valais, l’art. 87 du Code de procédure pénale du 22 février

2.2.2.5.2.1

S’agissant de l’avant-projet du Code de procédure pénale suisse1020, l’article 177 al. 2 prévoit que les fonctionnaires et membres des autorités « doivent témoigner s’ils sont soumis à un

devoir de dénonciation ou s’ils y sont habilités par écrit par leur autorité supérieure ». En

clair, pour tous les faits qui tombent sous le coup de son devoir de dénoncer1021, l’agent public n’aura pas à être délié par sa hiérarchie. Pour tous les faits qui échappent à cette obligation en revanche, il devra impérativement obtenir l’autorisation de cette dernière, laquelle, si elle le délie de son secret de fonction, lui imposera de déposer en justice1022. Aux termes de l’article 177 al. 3, l’autorité hiérarchique supérieure « doit délier ses fonctionnaires

du secret et ne peut refuser de le faire [si] l’intérêt à la découverte de la vérité »1023 prime sur

celui ou ceux au maintien du secret.

En procédure administrative, ce sont en général les lois cantonales qui règlent la situation de l’agent public appelé à témoigner1024.

Enfin, un fonctionnaire ne peut déposer devant la justice pénale militaire qu’avec l’autorisation de l’autorité supérieure1025.

La question se pose de savoir si l’autorité a ou non l’obligation d’entendre le(s) particulier(s) dont les intérêts sont en jeu et si elle peut ou non lever le secret qui le(s) protège sans son (leur) consentement1026. Si l’intérêt public prime sur l’intérêt privé au maintien du secret, le consentement n’a pas à être requis ; seul compte en effet l’intérêt public à la révélation. En revanche, si seul est en jeu un intérêt privé, nous sommes d’avis avec plusieurs auteurs que le consentement de l’intéressé devrait suffire à légitimer la révélation1027.

2.2.2.5.2 Faits justificatifs généraux

Acte ordonné ou permis par la loi et devoir de fonction

Aux termes de l’article 32 CP, l’acte ordonné par la loi, ainsi que l’acte permis ou autorisé par la loi, ne constituent pas une infraction. En principe, seule une loi formelle peut autoriser la

1962 (RSVS 312.0) et pour le canton de Vaud, l’art. 196 du Code de procédure pénale du 12 septembre 1967 (RSVD 312.01).

1020

OFFICE FÉDÉRAL DE LA JUSTICE, Avant-projet d’un Code de procédure pénale suisse (AP-PPS), Berne, juin 2001.

1021

Cf. art. 330 AP-PPS.

1022

OFFICE FÉDÉRAL DE LA JUSTICE, Rapport explicatif relatif à l’avant-projet d’un Code de procédure pénale

suisse, Berne, juin 2001, p. 130.

1023

OFFICE FÉDÉRAL DE LA JUSTICE, Rapport explicatif relatif à l’avant-projet d’un Code de procédure pénale

suisse, Berne, juin 2001, p. 131.

1024

Par exemple, pour le canton de Fribourg, l’art. 55 al. 2 du Code de procédure et de juridiction administrative du 23 mai 1991 (RSF 150.1) ; pour le canton de Genève, l’art. 32 al. 1er de la Loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (RSG E 510) et pour le canton du Jura, l’art. 64 de la Loi de procédure et de juridiction administrative et constitutionnelle du 30 novembre 1978 (RSJU 175).

1025

Art. 77 al. 2 de la Loi fédérale sur la procédure pénale militaire du 23 mars 1979 (PPM ; RS 322.1).

1026

LOGOZ (1956), p. 776, n°9; CORBOZ (2002), p. 627, n°29.

1027

TRECHSEL (1997), pp. 1005s, n°5; STRATENWERTH (2000), par. 59, n°10; CORBOZ (2002), p. 631, n°47; FLACHSMANN in DONATSCH/FLACHSMANN/HUG/WEDER (2004), ad art. 320, p. 499. Contra : MEYER JEAN

2.2.2.5.2.2

2.2.2.5.3.1

commission d’une infraction1028. Une loi au sens matériel peut néanmoins suffire, pour autant « qu’elle repose sur une norme de délégation suffisante »1029. En outre, « les dispositions

légales édictées par les cantons dans les limites de leur compétence » sont également

comprises dans la notion de « loi »1030.

La communication de faits secrets peut dès lors être justifiée par une disposition légale. Tel est le cas des articles 358bis et 358ter CP, de l’article 15a al. 6 LStup, de l’article 104 al. 1er LCR ou encore de l’article 6 al. 2 LAVI. Ces dispositions prévoient toutes expressément l’obligation ou la possibilité de révéler un fait qui tombe précisément sous le sceau du secret de fonction.

Par ailleurs, celui qui a eu des raisons suffisantes de se croire en droit d’agir peut se prévaloir du devoir de fonction, dont l’étendue est déterminée par le droit - fédéral ou cantonal - auquel il est soumis1031. La révélation du secret sous prétexte de ce devoir devra en outre être proportionnée au but qu’elle vise1032.

Légitime défense et état de nécessité

Invoquer l’article 33 CP à l’appui d’une violation du secret de fonction semble peu probable. Il est en effet difficile de concevoir qu’il puisse être paré à une attaque imminente par une violation du secret de fonction.

Les cas de violation du secret de fonction en état de nécessité semblent également rarissimes1033. L’article 34 CP ne peut être invoqué qu’en dernier recours et uniquement pour protéger des intérêts privés1034. L’article 34 ch. 2 CP suppose que l’auteur ait usé d’un moyen proportionné au but visé et que le danger s’avère absolument impossible à détourner autrement que par la violation du secret1035. Cela présuppose en particulier que le détenteur du secret ait eu recours à tous les autres moyens légaux, notamment à l’autorisation de l’autorité hiérarchiquement supérieure, mais en vain1036.

2.2.2.5.3 Faits justificatifs extra-légaux

Consentement et sauvegarde d’intérêts légitimes

Nous avons vu précédemment que si le secret porte sur des intérêts privés uniquement, le consentement du ou des particulier(s) concerné(s) peut être envisagé comme motif

1028

Sur la distinction entre loi formelle et loi matérielle, cf. AUER/MALINVERNI/HOTTELIER,vol. I (2000), pp.

492-494, n°s1405-1410.

1029

ROTH (2001), p. 471.

1030

FAVRE/PELLET/STOUDMANN (2004), ad art. 32, p. 95.

1031

SEELMANN (1999), pp. 59s;HURTADO POZO (2002), p. 136, n° 425;FAVRE/PELLET/STOUDMANN (2004), ad art. 32, p. 93.

1032

Sur les critères pour apprécier la proportionnalité, cf. FAVRE/PELLET/STOUDMANN (2004),ad art. 32, p. 94.

1033

Pour un exemple, cf. DONATSCH/WOHLERS (2004), p. 474, par. 111.

1034

HURTADO POZO (2002), p. 121, n° 375; SEELMANNinNIGGLI/WIPRÄCHTIGER (2002),p. 419, n°4.

1035

SEELMANNinNIGGLI/WIPRÄCHTIGER (2002),p. 420, n°8.

1036

2.2.2.5.3.2

justificatif1037. Il va de soi que les règles en ce domaine doivent être respectées, notamment quant au moment où le consentement est donné, c’est-à-dire avant la révélation1038. S’agissant de la sauvegarde d’intérêts légitimes, il est de rares cas dans lesquels ce motif peut être allégué à raison, après que le détenteur du secret a vainement recouru à l’autorisation de l’autorité compétente1039.

Le secret partagé

Certaines informations tombant sous le coup de l’obligation de secret faite aux autorités et aux agents de l’Etat peuvent être échangées entre eux, dans l’intérêt des particuliers, comme dans l’intérêt du bon fonctionnement des pouvoirs publics.

Le secret partagé n’est à notre sens pas en soi une exception au secret de fonction, puisque les faits couverts par l’obligation de secret le demeurent. Il convient plutôt de parler ici d’une théorie qui souligne l’extension de la titularité du secret, au-delà de son ou de ses détenteur(s) originel(s), le(s)quel(s) sont également astreints à cette obligation de confidentialité. Alors que l’article 32 CP peut être invoqué dans des situations exceptionnelles et/ou urgentes, le secret de fonction partagé concerne précisément des situations récurrentes et connues des autorités.

2.2.2.5.3.2.1 Dans l’intérêt du maître du secret

Il s’avère parfois nécessaire, voire essentiel, pour le détenteur du secret de fonction de le révéler dans l’intérêt de son maître. Dès lors et tel que le relève SCHULTZ,la communication de renseignements couverts par le secret, par exemple à des autorités de tutelle ou d’aide sociale, à un service médical scolaire, ou encore à la direction d’un établissement d’enseignement, devrait être envisageable si ces autorités ont un rôle à jouer dans l’aide dispensée à l’intéressé1040.

2.2.2.5.3.2.2 Dans l’intérêt des autorités publiques

L’obligation de secret ne doit pas paralyser l’action administrative. La nécessité de travailler en équipe dans l’exercice de ses fonctions et de collaborer avec d’autres services publics impliquent par conséquent que le secret devienne partagé1041.

1037

Cf. supra, partie II, pt. 2.2.2.5.1.1.1; OBERHOLZER in NIGGLI/WIPRÄCHTIGER (2003), p. 2052, n°12; DONATSCH/WOHLERS (2004), p. 476, par. 112. Notons que le nouveau Code pénal n’institue pas les faits justificatifs extra-légaux dégagés par la doctrine et la jurisprudence. Pour le Conseil fédéral « le champ

d’application de ces faits justificatifs est en effet mal délimité. Une disposition légale ne pourrait dès lors être que trop générale, donc inutile, ou extrêmement compliquée, donc inapplicable ». Cf. FF 1999 1787, 1811.

1038

HURTADO POZO (2002), p. 93, n° 280.

1039

Sur la question, voir DONATSCH/WOHLERS (2004), p.476, par. 112; FLACHSMANN in DONATSCH/FLACHSMANN/HUG/WEDER (2004), ad art. 320, p. 499. Voir également l’ATF 94 IV 68, 71 : circonstance justificative non retenue dans cette affaire de divulgation de documents couverts par le secret de fonction. Fait justificatif extra-légal retenu en revanche dans une affaire zurichoise repiquée in BJP 3/1989, n°615, p. 70.

1040

SCHULTZ (1979), p. 377.

1041

A ce propos, la possibilité d’échanger des informations entre le personnel d’un même service s’avère moins délicate à déterminer que l’éventualité d’une transmission d’informations à un service tiers1042. Il sied donc de procéder à une pesée des intérêts en présence avec une diligence toute particulière dans le cadre d’une communication d’informations entre autorités, ainsi que le préconisent notamment les nombreuses règles relatives à l’entraide administrative. En dernier ressort et dans tous les cas si des intérêts légitimes sont en jeu, le partage devra à ces occasions faire l’objet d’une autorisation de l’autorité supérieure.