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A partir des années 1970, dans la foulée d’un mouvement critique qui balaie toute l’Europe309 mais également en raison de la répétition de graves événements dans plusieurs établissements, l’appareil pénitentiaire se voit profondément remis en question310. Depuis lors, tant les finalités de la prison que les moyens qu’elle met en œuvre pour les atteindre sont critiqués.

normalisation, d’insertion, de traitement ne jalonnent pas l’histoire de la prison pénale, mais que, structurellement, la prison est et restera un lieu de garde et de châtiment, et doit être analysée comme telle ».

Dans le même sens, voir également FRANÇOIS (1981), pp. 88-90 pour lequel l’institution carcérale « doit d’abord

et avant tout assurer la mise en dépôt de ses pensionnaires », le « plus discrètement possible », de façon

« rationnelle et légitime aux yeux du public, c’est-à-dire économique et efficace » tout en respectant « certaines

règles éthiques et humanitaires ».

305

FAUGERON (1996a), p. 39.

306

ETZIONI (1975) dégage une typologie tryptique des organisations - coercitive, normative et utilitaire - sur la base de deux critères essentiels : le pouvoir et l’engagement personnel de ses membres.

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ETZIONI (1975), en particulier pp. 27ss et pp. 116ss. Dans le même sens, cf. FAVARD (1987), pp. 91s et (1994), p. 78; RODRIGUES (1999),p. 160. Dans le prolongement des travaux d’ETZIONI,LEMIRE (1990), pp. 84s, distingue deux types d’établissements distincts : les « institutions sécuritaires traditionnelles », de nature « coercitive », et les « établissements préoccupés avant tout [par la] réééducation et [la] réinsertion », de nature « normative ». L’établissement à sécurité maximale relève de la première catégorie, alors que certaines institutions pour mineurs délinquants, même fermées, relèvent plus de la seconde catégorie. Il constate cependant que la majorité des établissements pénitentiaires occidentaux (p. 88) « se sont efforcés d’ajouter un deuxième

objectif, la rééducation, à leur vocation initiale, l’ordre et la sécurité » (établissements qu’il qualifie de

« mixtes »), alors même qu’il demeure « une incompatibilité fondamentale entre les deux types d’établissements,

du genre de celle qui existe entre le totalitarisme et la démocratie », pour conclure en dernière analyse qu’il

devrait être un seul choix d’orientation, soit (p. 125): « l’entreposage ou la rééducation ».

308

FAUGERON (1996a), p. 39; CHAUVENET (1996), p. 52; ROSTAING (1997), p. 113.

309

En France notamment, on pense bien entendu au Groupe d’Information sur les Prisons (G.I.P.) et aux travaux de Foucault. Le G.I.P a fonctionné entre février 1971 à décembre 1972. A son propos, voir FOUCAULT (éd. 1994b) etARTIERES/QUERO/ZANCARINI-FOURNEL (2002).Quant à la majeure partie des travaux de FOUCAULT, ainsi que ses démarches militantes, telles que la rédaction de tracts ou de manifestes, ils sont réunis dans quatre volumes intitulés « dits et écrits »: cf. FOUCAULT (éd. 1994a, 1994b, 1994c et 1994d). Sur l’engagement militant de FOUCAULT, ses rapports avec d’autres champs d’études, son œuvre et en particulier son ouvrage de référence sur la prison, « Surveiller et punir », lire le numéro pluridisciplinaire de la Revue Sociétés & Représentations qui lui est consacré et en particulier les textes de MAUGER (1996); LASCOUMES (1996); YVOREL (1996); PETIT

(1996);CASADAMONT (1996) et SALAS (1996). Cf. également BOULLANT (2003).

310

Cf. notamment les perspectives abolitionnistes de HULSMAN/BERNAT DE CELIS (1982) etMATHIESEN (1990). Lire également JACQUARD/AMBLARD (1993).

En particulier, il lui est reproché en amont d’être le réceptacle des strates sociales les plus démunies311 et en aval de (re)produire des effets contraires à l’objectif de (ré)insertion des détenus qu’elle est pourtant censée poursuivre312. Elle est dénoncée comme l’instrument de contrôle par excellence des personnes les plus marginalisées, puisque sont surreprésentés en son sein les étrangers313, les illettrés, les chômeurs, les toxicomanes et les personnes souffrant de troubles psychiques314. Il lui est reproché de renforcer les inégalités sociales en paupérisant plus encore à sa sortie ceux qui l’ont subie315. Dans le prolongement de l’analyse de GOFFMAN, selon laquelle la prison est une institution « totalitaire »316 qui recourt à des « techniques de mortification », plusieurs auteurs considèrent que ses effets sont « pathogènes », qu’elle touche irrémédiablement au corps et au psychisme des détenus317 et qu’elle brise les plus résistants318. D’aucuns soulignent en outre qu’elle baigne dans l’« inertie »319 et demeure un temps de «vacuité »320. Plus généralement, il est pointé du doigt qu’elle plie sous ses « déficits de légitimité démocratique »321, d’où sa perpétuelle quête de sens. Dans ces conditions, nombreux sont ceux qui plaident qu’il est grand temps de « désincarcérer la prison »322.

Aux côtés des écrits scientifiques, des livres-témoignages - plus ou moins virulents et plus ou moins romancés - sont publiés. D’anciens condamnés323, des surveillants324, des soignants pénitentiaires325, des visiteurs de prisons326 ou des proches de détenus327 dénoncent tour à

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RUSCHE/KIRCHHEIMER (rééd.trad.1994).L’étude de MARCHETTI (1997) constitue sans doute la plus aboutie sur le problème, en milieu carcéral français à l’aube du 21e siècle, de la pauvreté entendue au sens large, c’est-à- dire non seulement économique et matérielle, mais également affective, éducationnelle et culturelle, notamment. Sur l’indigence en prison, lire également l’analyse de IGNATIEFF (1978). Bien qu’elle traite du système pénitentiaire anglais dans ses rapports avec la révolution industrielle (1750-1850), elle demeure encore à l’heure actuelle riche d’enseignements en la matière.

312

VARAUT (1972); VERNIER (2002).

313

Pour WACQUANT (1999a ; 1999b), il existe une corrélation positive entre la surreprésentation des étrangers dans les différents lieux de détention et la « tentation de la gestion pénale » et pénitentiaire de la misère en Europe. Dans le même sens, BOE/MARTINEZ (2004).

314

PAUCHET (1982); MUCCHIELLI (1993);BERCHER (1995).Dans le prolongement des travaux de FOUCAULT et d’IGNATIEFF, et en particulier à partir des questions-clés autour desquelles ces auteurs ont focalisé leur attention (discipline, exclusion, norme), SIM (1990) analyse les relations et l’impact du « pouvoir médical » avec/sur la gestion et le contrôle de cette population, dans l’Angleterre de la fin du 18e à la fin du 20e siècle.

315

MARCHETTI (1998 ;2004).

316

GOFFMAN (1968), p. 41 décrit la « total institution » comme « un lieu de résidence et de travail où un grand

nombre d’individus, placés dans la même situation, coupés du monde extérieur pour une période relativement longue, mènent ensemble une vie recluse dont les modalités sont explicitement et minutieusement réglées ». Tel

que le souligne COMBESSIE (1996a), p. 15 et(2000), p. 71, l’adjectif « totalitaire », renvoie à deux grilles de lecture, aussi plusieurs auteurs préfèrent-ils lui substituer celui de « totale ». Dans le même sens, voir MARY

(1988), p. 99 et MILLY (2001), pp. 23s. Notons en outre que ce concept a été remis en question par plusieurs auteurs, tels que STASTNY/TYRNAUER (1982)qui parlent de « detotalization »et LEMIRE (1990)et (1993), p. 61, d’« un certain effritement », en raison notamment de la multiplication des rapports entre le dedans et le dehors, de la « prolifération des privilèges » ou encore du « déclin de l’autorité du directeur ».

317 BUFFARD (1973); CHANET (1984). 318 GONIN (1991). 319 DEMONCHY (2000), p. 184. 320 LUCAS (1997). 321

CARTUYVELS (2002), p. 113. Sur la question de l’(il)légitimité de la prison, avant et après jugement, lire notamment FAUGERON (1996b).

322

SALAS (1996), p. 302.

323

Par exemple, LIVROZET (1976);KNOBELSPIESS (1980);LESAGE DE LA HAYE (1998).

324

Par exemple, LAMBERT C.(1999)

325

Par exemple, VASSEUR (2000).

326

tour la sévérité extrême de certains régimes de détention, la pauvreté du quotidien carcéral, les difficultés d’accès aux soins en prison, la douleur sourde de la séparation avec la famille ainsi que la misère affective et sexuelle des personnes incarcérées. Au-delà des anecdotes et de certains lieux communs qu’ils véhiculent, ces récits traduisent la stigmatisation328 carcérale et la pénibilité de la vie en prison, tant pour les détenus que pour les intervenants pénitentiaires329. Certains témoignages ont dépassé le cercle des initiés pour trouver un écho, souvent relayé par l’industrie médiatique330, hors de l’enceinte carcérale331.

Le débat sur l’institution carcérale, ses dysfonctions, ses échecs passés et ceux qu’elle continue d’essuyer est donc permanent332. Les critiques d’hier sont souvent celles d’aujourd’hui. Il n’est toutefois pas dans notre intention de nous y attarder plus longuement. En effet, nous nous contentons ici de l’appréhender telle qu’elle se présente à ce jour, transpirant les contradictions, et sous l’angle limité d’une problématique circonscrite.

327

Par exemple, BERANGER (2000).

328

Telle qu’entendue par GOFFMAN (1975), dans sa relation avec l’identité sociale et personnelle.

329

Dans le même sens, cf. CARTUYVELS (2002), p. 117 pour lequel « l’absentéisme et le recours croissant à la

grève dans le chef du personnel pénitentiaire soulignent (…) qu’il n’est décidément facile pour personne de vivre la prison ». Sur cette pénibilité au travail et ses conséquences physiques et psychiques, cf. également

AYMARD/LHUILIER (1993),p. 440.

330

Sur les rapports des médias avec l’univers pénitentiaire, en particulier dans le paysage médiatique français, cf. DÉCARPES (2004).

331

La parution en l’an 2000 du livre du Docteur VASSEUR et sa récupération par les médias en atteste : son "journal de bord" a non seulement relancé le débat sur les conditions carcérales françaises, mais fut également un élément parmi d’autres (DÉCARPES (2004), note 3) qui favorisa la mise sur pied de deux commissions d’enquête, l’une par le Sénat, l’autre par l’Assemblée nationale. Cf. le Rapport de la COMMISSION D'ENQUETE SUR LES CONDITIONS DE DETENTION DANS LES ETABLISSEMENTS PENITENTIAIRES EN FRANCE ;HYEST/CABANEL (2000)et le Rapport fait au nom de la COMMISSION D’ENQUETE SUR LA SITUATION DANS LES PRISONS FRANÇAISES ; MERMAZ/FLOCH (2000). Il fut ainsi parlé de l’« effet Vasseur ». Cf. par exemple, HERZOG-EVANS (2002b), p. 27; CHANTRAINE (2004b), p. 3.

332

Pour reprendre l’intitulé du dossier constitué par LAMEYRE Xavier/SALAS Denis,Prisons. Permanence d’un débat,Paris, La Documentation française, Série problèmes politiques et sociaux, n° 902, juillet 2004.

DEUXIEME PARTIE

1

EXECUTION DES PEINES PRIVATIVES DE

LIBERTE

1.1 Introduction

La prison est un microcosme sociétal. Aussi la « société carcérale »333 apparaît-elle comme un révélateur de la communauté libre en laquelle elle se fond334. En d’autres termes, elle est le « miroir » de notre société335. D’un point de vue juridique toutefois, son reflet se révèle asymétrique. Comme nous l’avons vu en effet, en les murs, tout ce qui n’est pas expressément permis est interdit et, comme nous le constaterons, toute relation contractuelle telle que conçue en société libre demeure en son sein chimérique336.

Ultime instrument de la puissance publique, la prison s’avère être le lieu de multiples contraintes. Elle obéit par ailleurs à des logiques contradictoires, dont l’articulation se révèle particulièrement complexe. Elle est enfin un espace de vie, récipiendaire d’actions et d’interactions entre les différentes personnes qui l’occupent, détenus et membres du personnel. Ce chapitre est dédié à l’organisation et au fonctionnement de l’institution carcérale, telle qu’elle est pensée et concrétisée en Suisse. Il présente le cadre légal sur lequel repose l’exécution des peines privatives de liberté, sans toutefois s’y attarder trop longuement, car d’autres s’y sont déjà attelés337. Il s’intéresse ensuite aux établissements et aux régimes pénitentiaires. Il porte enfin une attention particulière à la prise en charge des personnes détenues, aux intervenants impliqués dans leur encadrement et à leurs rapports réciproques, "incarcérés".