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1.3 Les fondements théoriques du secret en droit

1.3.2 Les diverses expressions de la nature du secret

1.3.2.3 Le secret dit absolu et le secret dit relatif

Le secret est dit relatif lorsqu’il est susceptible de souffrir certaines dérogations.

En langage courrant, l’on dirait du secret qu’il est absolu lorsqu’il ne peut faire l’objet d’aucune exception ; en d’autres termes, « qu’il ne peut être transgressé sous aucun

prétexte »194. En droit néanmoins, la notion de secret absolu est plus nuancée, puisqu’elle admet qu’il puisse lui être dérogé si le détenteur du secret estime la révélation nécessaire. L’exemple qui suit illustre la distinction entre la notion juridique de secret relatif et celle de secret absolu. Aux termes de l’article 147 ch. 2 du Code de procédure pénale neuchâtelois195, le médecin est contraint de témoigner si le maître du secret consent à la révélation. Le secret est alors dit relatif, puisque des exceptions peuvent lui être opposées, en l’espèce le consentement de son maître196. En revanche, l’article 79 al. 2 du Code de procédure pénale fribourgeois197 laisse le médecin libre de décider de déposer ou non et ce, malgré l’accord du maître du secret. Le secret est donc ici considéré comme absolu, puisqu’il échappe à l’intéressé même et que seul son détenteur peut décider d’y déroger. A l’inverse, le secret auquel est astreint le fonctionnaire obéit dans tous les cas à une conception relative. Au cas où son témoignage est sollicité - pour reprendre le même exemple - l’agent public détenteur du secret est obligé de témoigner si son supérieur hiérarchique l’en a formellement délié.

Nos voisins français ont longtemps privilégié une conception absolue du secret, dont le détenteur était seul garant198. Comme on vient de le voir, telle est l’option préconisée encore à l’heure actuelle dans certaines législations cantonales, notamment en ce qui concerne le témoignage en justice de la personne astreinte au secret.

Le passage d’une conception à l’autre est particulièrement saisissant en droit français. Dans son approche historique du secret médical, MARTINENT199s’est intéressé aux théories absolue

et relative du secret ainsi qu’« aux conflits d’intérêts qui les traversent toutes deux »200 pour

192

Tel que le souligne REAL (1972), p. 146, le cercle peut s’avérer plus large. Il faut donc entendre par « restreint », un nombre limité de personnes.

193

Cf. notamment STUDER (1999), p. 349; FLACHSMANN in DONATSCH/FLACHSMANN/HUG/WEDER (2004), ad art. 320, p. 497 et ATF 126 IV 236, 242, qui compare précisément la notion de secret au sens formel et celle de secret au sens matériel.

194

BERGER (1970), p. 185.

195

Code de procédure pénale du 19 avril 1945 (RSN 322.0).

196

Dans le même sens, SPAHR (1987), p. 117.

197

Code de procédure pénale du 14 novembre 1996 (RSF 32.1).

198

Sur la conception absolue du secret retenue en France sous l’ancien Code pénal de 1810 (art. 378) et en particulier à partir du jugement rendu en la célèbre affaire Watelet (1885) qui l’érigea en véritable dogme, lire notamment PERRAUD-CHARMANTIER (1926); FLORIOT/COMBALDIEU (1973); GULPHE (1976); WAREMBOURG- AUQUE (1978); THOUVENIN (1982), pp. 80ss;LAMBERT P.(1985), pp. 39-42; VILLEY (1986), pp. 65-73; DAMIEN

(1989).

199

MARTINENT (2002).

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mieux saisir les contours de cette institution séculaire. Il relève l’origine éthique, puis déontologique et enfin juridique, sous l’ancien droit français, de l’absoluité du secret médical. Il analyse ensuite sa relativité sous l’angle de l’évolution de la relation thérapeutique dont il est un des fondements et des impératifs sociétaux actuels qui l’exigent désormais. Ainsi la reconnaissance progressive des droits des patients a-t-elle modifié les rapports qu’ils entretiennent désormais avec leur praticien, le désaisissant de son rôle d’unique gardien du secret. De même, la nécessité de contenir les coûts de la sécurité sociale, de protéger l’ordre public, ou encore de sauvegarder la santé de la collectivité comptent parmi les intérêts publics qui justifient des brèches au silence auquel sont pourtant tenus, de part la loi, les membres des professions médicales.

Retracer l’histoire du secret médical201 nous permet dès lors de mieux saisir « l’évolution des

mentalités dans un contexte qui a toujours cherché à établir l’équilibre délicat entre les intérêts de la société et ceux des individus »202 et qui, de fait, relativise le caractère absolu longtemps reconnu en France au secret des professionnels de la médecine. A ce propos, J. DUMOULIN203 dégage trois périodes principales dans l’histoire du secret médical, laquelle

« révèle à la fois l’histoire de la médecine et l’histoire de la société ». La première ne prête guère attention au secret médical. Il demeure en effet « ignoré » jusqu’à la naissance de la médecine moderne, dite « libérale », laquelle l’érige alors en une institution absolue. Le secret est alors « magnifié ». Sa conception absolue se voit cependant peu à peu nuancée. Sous l’impulsion de diverses « forces d’ouverture », il devient « négocié », contraignant les médecins à le dévoiler dès que certaines conditions sont réunies. A l’heure actuelle, le respect du secret médical marque selon l’auteur un nouveau tournant. Il devient dans certains domaines « appelé », en tant que la négociation qui se joue à son propos se révèle permanente et engendre certains conflits. Tel est le cas notamment dans le cadre de la médecine préventive, d’expertise, du travail et pénitentiaire.

STUDER204 distingue également la notion de secret relatif et absolu, mais dans le contexte de

la poursuite pour dettes. Il cite en exemple, s’agissant du secret absolu, l’article 8a al. 3 de la Loi fédérale sur la poursuite et la faillite205 en vertu duquel les offices compétents en la matière doivent en tous les cas s’abstenir de porter certaines poursuites à la connaissance de tiers. En revanche, l’alinéa 2 de cette même disposition octroie à toute personne le droit de consulter les procès-verbaux et les registres de ces autorités, et en particulier à s’en faire délivrer des extraits, pour autant qu’elle « rende [leur] intérêt vraisemblable ». Les

informations contenues dans ces documents sont dès lors certes couvertes par le secret, mais un secret relatif puisqu’elles sont susceptibles d’être révélées à condition de rendre vraisemblable un intérêt.

Le secret est dit relatif également lorsqu’il est possible de le révéler, à certaines occasions, à d’autres personnes qui revêtent un statut et/ou une qualité particulière. Il est alors un secret « partagé », lequel n’est fondé sur aucune base légale ou réglementaire206. S’agissant du secret de fonction, nous constaterons que tel est le cas notamment lorsque plusieurs agents

201

Pour de plus amples développements sur l’histoire du secret médical, à partir du 5e siècle avant J.-C., lire VILLEY (1986), en particulier pp. 12-52. 202 LE PROUX DE LA RIVIÈRE (1991), p. 550. 203 DUMOULIN J. (1981a), pp. 143-168. 204 STUDER (1999), pp. 350-356. 205

Loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite du 11 avril 1889 (LP ; RS 281.1).

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publics ont à s’échanger les faits couverts par le secret pour mener à bien leurs tâches respectives. Mais c’est à nouveau eu égard au secret médical que les exemples sont les plus frappants. La notion de secret partagé procède notamment de la reconnaissance d’un cortège de droits et d’obligations au patient, appréhendé désormais comme un être autonome, apte à se déterminer librement sur les actes médicaux dont il fait l’objet et d’en assumer les conséquences, même si elles sont susceptibles de porter atteinte à ses intérêts. Le secret médical partagé résulte aussi et surtout des enjeux auxquels est confrontée la pratique médicale et des nécessités liées à la poursuite de soins de qualité. Il est en effet des situations de plus en plus fréquentes dans lesquelles un soignant autre que le médecin traitant du patient intervient dans la prise en charge de celui-ci. Tel est le cas notamment lorsque son médecin de confiance est contraint de solliciter les compétences de spécialiste d’un confrère, dans une situation d’urgence ou si une hospitalisation se révèle nécessaire. Ces exemples impliquent que soit lié par le même secret un cercle restreint de soignants « participant au traitement

d’un malade »207. Un partage des informations entre les différents praticiens s’avère pertinent dans l’intérêt du patient, qui y consent. Dans ce contexte, il leur incombe à chacun de se tenir mutuellement informés et de communiquer ponctuellement au patient les informations le concernant.

A ce stade, nous pensons qu’il n’existe plus dans notre société contemporaine de secret qui, de par la loi, puisse encore être qualifié d’absolu stricto sensu, puisque tous peuvent faire l’objet de tempéraments plus ou moins importants. Nous en voulons pour preuve les débats autour du secret de la confession, considéré comme le secret parmi les plus opaques. En effet, alors qu’il ne peut faire l’objet d’aucune exception dans la législation ecclésiastique208, le droit laïc, en l’assimilant au secret professionnel, admet à certaines conditions qu’il y soit dérogé. Dans le cadre des développements qui suivent et pour éviter tout malentendu, nous nous contenterons d’examiner le secret de la confession couvrant l’ensemble des faits délivrés au moment de la confession sacramentelle209, que nous distinguons du secret sacerdotal ou encore du secret pastoral. L’étendue de ces derniers peut en effet aussi porter sur des faits parvenus à la connaissance du ministre du culte210 en dehors du cadre circonscrit de la confession et, à défaut de règles religieuses claires à leur sujet, faire l’objet de certaines limitations. Il nous est dès lors apparu plus révélateur de nous pencher sur le cas du secret sacramentel, dont le caractère strictement absolu est expressément reconnu par le catholicisme211.

En vertu du Code de droit canonique212, le ministre de l’Église est tenu de taire les faits recueillis dans le cadre de la confession, quels que soient les intérêts en jeu. Promulgué par feu le Pape Jean-Paul II le 25 janvier 1983, le Code de droit canonique dispose en effet

207

HOERNI/BENEZECH (1996), p.53.

208

Cf. notamment RODHAIN (1961), p. 579 : « dans l’administration du sacrement de Pénitence, l’obligation du

secret est totale ».

209

Pour des développements historiques sur la confession sacramentelle, laquelle fut proclamée obligatoire par le 4e Concile œcuménique du Latran en 1215, lire HAHN (1986), en particulier pp. 56-58.

210

La qualité de ministre de culte est ici entendue au sens générique. Elle vise non seulement les représentants des églises chrétiennes, mais également ceux d’autres religions, telles que le judaïsme et l’islam. Avec CARTIER

(2003), p. 486 on peut en effet considérer que le rabbin ou l’imam, par exemple, se doivent de respecter la confidentialité des faits recueillis dans le cadre de leur ministère respectif, au même titre que le prêtre ou le pasteur. Dans le même sens, AMSON (2004), pp. 55s.

211

Pour une approche historico-théologique du secret de la confession, cf. BEDOUELLE (1999).

212

Le Code de droit canonique est disponible en français sur le site Internet du Vatican, à l’adresse suivante :

expressément que « le secret sacramentel est inviolable; c'est pourquoi il est absolument

interdit au confesseur de trahir en quoi que ce soit un pénitent, par des paroles ou d'une autre manière, et pour quelque cause que ce soit »213. Le canon 984 prescrit ensuite à son paragraphe 1er que « l'utilisation des connaissances acquises en confession qui porte

préjudice au pénitent est absolument défendue au confesseur, même si tout risque d'indiscrétion est exclu » avant de poursuivre au paragraphe 2 que « celui qui est constitué en autorité ne peut en aucune manière utiliser pour le gouvernement extérieur la connaissance de péchés acquise par une confession, à quelque moment qu'il l'ait entendue ». La violation

du secret sacramentel est sanctionnée très sévèrement. Le Code de droit canonique distingue à cet effet selon que la révélation s’est faite de manière directe ou indirecte214. Aussi, aux termes du canon 1388, paragraphe 1er, « le confesseur qui viole directement le secret

sacramentel encourt l'excommunication latae sententiae réservée au Siège Apostolique »,

c’est-à-dire qu’elle « s’applique immédiatement et sans procès canonique »215, alors que « celui qui le viole d'une manière seulement indirecte sera puni selon la gravité du délit ». Par ailleurs, le secret sacramentel vaut selon le Code tant à l’égard de la justice civile que de la justice ecclésiastique, puisqu’il est interdit aux prêtres de restituer à cette dernière « ce dont

ils ont eu connaissance par la confession sacramentelle », et ce « même si leur pénitent demande qu'ils parlent »216. Dans le même sens, le prêtre ne peut également pas révéler son secret pour s’absoudre217. Il ne plane donc guère de doutes sur le caractère ici rigoureusement absolu reconnu en droit canonique au secret de la confession.

Tel n’est pas le cas en revanche en droit laïc. En effet, bien que sujet à controverses, il apparaît que l’on tend de plus en plus à fondre le secret de la confession en le secret de l’ecclésiastique. La violation du secret de l’ecclésiastique est certes érigée en infraction à l’article 321 CP, mais sa révélation peut être autorisée aux conditions prescrites par la loi, au même titre que les autres secrets professionnels. Dans ces conditions, le secret professionnel peut notamment être levé si le pénitent y consent et l’homme d’église ne pas être poursuivi devant la justice des hommes s’il le révèle en se prévalant d’un motif justificatif reconnu par la loi.

En conséquence, le secret sacramentel atteste qu’il est particulièrement complexe de « concilier une notion juridique (…) avec la doctrine religieuse, la pratique de la foi, et le

rôle essentiel des ministres du culte »218. Plusieurs exemples récents le confirment, parmi lesquels le procès très médiatisé en France219 de Monseigneur PICAN, évêque de Bayeux, condamné pour non dénonciation des atteintes sexuelles commises par un prêtre de son diocèse sur des mineurs de quinze ans220. Quand bien même l’évêque n’avait pas pris connaissance de ces faits dans l’intimité du confessionnal, le Tribunal correctionnel de Caen

213

Canon 983 par. 1.

214

Sur ces notions, cf. CARTIER (2003), p. 494 et références citées.

215

BEDOUELLE (1999), p. 127.

216

Canon 1550 par. 2 ch. 2.

217

Telle est d’ailleurs, comme nous le rappellent aussiBEDOUELLE (1999), p. 134 puis CARTIER (2003),p.495, la trame du film réalisé en 1952 par ALFRED HITCHCOCK,intitulé « I confess » et traduit en français par « La loi du silence ». Le père Michel Logan se refuse à trahir son secret, alors même qu’il est accusé d’un crime qu’il n’a pas commis et dont il connaît l’auteur puisque ce dernier s’en est confié à lui.

218

CARTIER (2003), p. 486.

219

Dans la presse suisse également. Cf notamment J.-L. VONNEZ, En condamnant Mgr Pican, la justice a failli

s’opposer aux lois catholiques, in Le Temps du 6 septembre 2001.

220

s’est longuement entretenu dans son jugement sur les rapports entre le secret de la confession et le « secret de la confidence » auquel est tenu l’ecclésiastique en vertu du droit laïc221.