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1.5 Prise en charge psycho-médico-sociale en milieu carcéral

1.5.3 Remarques prospectives

Si l’intervention psycho-médico-sociale auprès des personnes incarcérées poursuivra encore un objectif de (ré)insertion avec l’entrée en vigueur du Code pénal révisé, nous craignons toutefois qu’elle ne glisse vers une prise en charge toujours plus diligentée par un souci de protection de la sécurité publique543. Une approche prospective nous conduit en effet à penser que l’intervention sur les détenus - en particulier sur les détenus qualifiés de « dangereux » - sera susceptible de se durcir plus encore au profit de finalités presque exclusivement

534

BERBUTO/SIMON (2003), p.269.

535

On trouvera les raisons invoquées à l’appui de ce changement de terminologie in : FF 1999 1787, 1925.

536

Art. 83 al. 1 nCP.

537

HERZOG-EVANS (1998c).

538

Le Conseil fédéral souhaite par là éviter que « la rémunération ne soit utilisée abusivement pour discipliner

les détenus » : FF 1999 1787, 1926. 539 Art. 83 al. 2 nCP. 540 FF 1999 1787, 1926 541

Dans le même sens, WEBSTER (1998), pp. 193-196.

542

Dans le même sens, VALLOTTON (2000b), p. 79.

543

sécuritaires544. Nous nous contenterons de formuler deux remarques et une perspective étrangère à l’appui de cette hypothèse.

La première remarque a trait à la libération conditionnelle545. A l’instar du droit positif546, le Code pénal révisé ne précise pas clairement les motifs qui devront être retenus par l’autorité compétente en la matière à l’appui de ses décisions547. La terminologie employée dans les dispositions concernant la libération conditionnelle en atteste548. Il est encore question de « pronostic (favorable) », de « prévisibilité » et de « probabilité », de « sécurité », de « risque » et de « circonstances extraordinaires ». Alors que le pronostic est considéré comme « déterminant »549, aucun critère d’appréciation autre que les conditions légales exprimées ici en termes généraux n’est établi, ne serait-ce que pour donner un cadre circonscrit aux évaluations requises. Certes, référence est faite à la doctrine et à la jurisprudence dont on peut effectivement s’attendre à ce qu’elles continuent de préciser ces notions550. Nous pensons néanmoins qu’il aurait été judicieux d’en fixer les critères déterminants. En effet, dans un contexte toujours plus focalisé sur l’objectif de sécurité publique et pénétré des stratégies réunies sous le paradigme dit de la « nouvelle pénologie »551, on peut craindre deux attitudes de la part des autorités appelées à se prononcer552. La première, qu’elles adoptent une politique de maintien en incarcération quasi automatique. La deuxième, corrélative, qu’elles imposent aux condamnés des règles de conduite si rigoureuses qu’ils leur seront extrêmement difficile de les respecter. Et la libération conditionnelle d’être alors définitivement appréhendée en termes de risque et non de « chance » de (re)socialisation553, et de se convertir « en un mécanisme de réintégration

dans la prison »554.

Les seuls véritables correctifs apportés au régime de libération conditionnelle actuel, outre l’exception à la règle des deux tiers s’agissant du dies a quo, concernent l’assurance d’un réexamen annuel de la décision de refus et la procédure de réintégration en cas d’échec. Dans ce dernier cas et en conformité avec l’article 5 CEDH, il appartiendra on l’a vu désormais à une autorité judiciaire de prononcer la réintégration555. Mais ces innovations procèdent-elles

544

« Plus encore » car il s’agit là d’une préocupation itérative. Voir à ce sujet notamment AEBERSOLD (2000) ; BAECHTOLD (2000b); HEER (2002); MAZZUCCHELLI (2003).

545

Cette première remarque s’inspire notamment des réflexions de BRION (2001) sur les fonctions et la nature de la libération conditionnelle telle qu’elle a été modifiée dans les lois belges de mars 1998.

546

Voir BAECHTOLD inNIGGLI/WIPRÄCHTIGER (2002),pp. 462ss, n°13ss.

547

Il est en effet à l’heure actuelle laissée à chaque autorité compétente la tâche de déterminer elle-même lesdits motifs, conformément aux limites fixées par la loi et à la jurisprudence. STRASSER (1994)identifie etanalyse ces motifs, tandis que LANGUIN/SARDI (1994) illustrent parfaitement les disparités qui résultent de la marge de manœuvre laissée aux autorités compétentes pour déterminer les critères sur lesquels elles se fondent.

548

Cf. les art. 62ss (FF 1999 1787, 1891ss) et 64ass nCP (FF 1999 1787 1907s) s’agissant de la libération conditionnelle consécutive à une mesure, et les art. 86ss nCP (FF 1999 1787, 1928ss) s’agissant de la libération conditionnelle consécutive à une peine.

549

FF 1999 1787, 1929.

550

BAECHTOLD (2005), p. 233. Pour un aperçu de la jurisprudence fédérale récente rendue en matière de libération conditionnelle, cf. HEER-HENSLER/WIPRÄCHTIGER (2002), en particulier pp.51-58.

551

FEELEY/SIMON (1992).

552

En sus notamment de la disparité des pratiques et de certains conflits juridiques récurrents, soulignés notamment par HEER-HENSLER/WIPRÄCHTIGER (2002).

553

ROTH (1994b), p. 19.LANGUIN/SARDI (1994), p. 136 concluent déjà à cette époque à une certaine propension des autorités vaudoises à orienter leur pratique de libération conditionnelle dans ce sens.

554

RIHOUX/REYNAERT, cité par BRION (2001), p. 433.

555

Cf. les art. 62a al. 1er lit. a et 64a al. 3 nCP s’agissant des mesures et l’art. 89 al. 1er nCP s’agissant de la peine. Cf. également l’art. 95 al. 5 nCP.

vraiment d’un véritable « projet de politique criminelle »556 ? Sauront-elles renverser la tendance sécuritaire qui prime actuellement ?

Plus généralement, nous avons vu qu’il conviendra toujours de procéder à une pesée des différents objectifs poursuivis par l’exécution de la peine privative de liberté pour déterminer la prépondérance de l’un d’entre eux sur les autres. Nous appréhendons le moment où seuls des impératifs de gestion des risques dicteront la prise en charge des détenus, avec pour conséquence que certaines modalités d’exécution de la peine resteront lettre morte. Voyons par exemple le statut du congé. Comme en droit positif et à l’instar de la libération conditionnelle, il n’est pas de droit à son octroi557. Il s’agit plus d’un moyen inhérent au processus de (re)socialisation du détenu lui permettant non seulement de garder ses liens avec ses proches, mais également de se réapproprier graduellement le monde extérieur. Les congés revêtent dès lors une importance considérable. Pour autant, la loi se contente de renvoyer l’autorité investie de la décision d’octroi à des formules qui plaident toutes en faveur du but ultime de protection de la collectivité. Ainsi l’autorité sera-t-elle enjointe de vérifier que le comportement de l’intéressé en détention ne s’y oppose pas, qu’il ne présente pas de danger de fuite et qu’il ne risque pas de commettre de nouvelles infractions558. Eu égard à la marge d’appréciation conférée aux autorités compétente en la matière, il y a fort à penser que leurs décisions divergeront sensiblement, sauf sur un point : leur sévérité. Il y a tout lieu de penser en effet que dans un contexte où le mot d’ordre est « sécurité », l’autorité compétente hésitera de plus en plus à répondre par l’affirmative à une demande d’un congé. Nous en voulons pour preuve les récentes recherches empiriques canadiennes. Elles confirment précisément ce type de dérapage, lequel participe directement du déclin de l’« idéal réhabilitatif »559 de

l’exécution de la sanction privative de liberté. Aussi est-il pertinent de s’y attarder brièvement.

Dès la fin des années 1970 et notamment sous l’impulsion de plusieurs décisions judiciaires560, le Canada se démarque comme étant l’un des Etats au monde parmi les plus précurseurs dans le domaine pénitentiaire561. L’adoption d’une "loi pénitentiaire"562 en 1992 confirme cet état d’esprit en reconnaissant définitivement aux détenus un véritable statut de sujet de droit563. Sur le terrain, une attention particulière est portée aux prises en charge interdisciplinaires, à la qualification des intervenants ainsi qu’au taux d’encadrement des détenus. Dans une perspective résolument ouverte sur l’extérieur, des unités de vie familiale sont aménagées564 et des agents de détention de sexe féminin sont engagés pour surveiller une population pénale masculine. S’agissant des modalités d’exécution de la peine, le système

556

ROTH (1994b), p. 28.

557

Cf. notamment l’art. 1er al. 2 du Règlement (n° R-5/1) concernant l'octroi d'autorisations de sortie aux personnes condamnées adultes du 27 octobre 2003.

558

Art. 84 al. 6 nCP.

559

HOOD (1995a), p. 14.

560

Sur ces décisions, voir les développements de LEMONDE (1990); DUMONT (1993); MANSON (2001) et LEMONDE/LANDREVILLE (2002),en particulier pp. 74-78.

561

LEMIRE (1991); VAN DEN ASSEM (1992).

562

Loi régissant le système correctionnel, la mise en liberté sous condition et le maintien en incarcération, et portant création du bureau de l'enquêteur correctionnel (LSCMLC) du 18 juin 1992. Cf. également le Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition du 29 octobre 1992 (RSCMLC).

563

LEMONDE (1995); SZABO (1999); LEMIRE (2003), p. 35. Sur le processus ayant mené à la reconnaissance des droits fondamentaux des personnes incarcérées au Canada, lire LEMONDE/LANDREVILLE (2002); VACHERET

(2004).

564

correctionnel fédéral en particulier565 offre une gamme impressionnante de programmes d’intervention en milieu carcéral, « visant à répondre aux besoins des délinquants et à

contribuer à leur réinsertion sociale »566. Il s’agit notamment de programmes de formation et de prévention de la violence, mais également de programmes conçus spécialement pour une « clientèle spécifique », tels que les toxicomanes ou les délinquants sexuels567. Toujours dans une démarche (re)socialisatrice, la participation active du condamné est sans cesse encouragée et sa libération anticipée favorisée puisqu’elle est accessible tôt : dès le tiers de la peine, si les conditions pour son octroi sont réunies568.

Depuis plus d’une décennie néanmoins, plusieurs auteurs démontrent que le système correctionnel canadien tend de plus en plus à une gestion « plutôt »569 actuarielle570 de sa population pénitentiaire, c’est-à-dire - très brièvement - plus axée sur la gestion de groupes dits « à risques », que focalisée sur le traitement de l’individu571. Cette gestion favorise la mise en œuvre de pratiques managériales572 de l’exécution de la peine, fondées sur des instruments statistiques et probabilistes d’évaluation des risques de ceux qui la subissent573. La prise en charge des détenus demeure certes ciblée sur les besoins des détenus, mais ces besoins sont principalement évalués en termes de risques ; d’où l’expression « besoins

criminogènes »574. Les détenus sont alors classés, placés, enjoints de suivre certains programmes575 et considérés éligibles au régime de fin de peine en fonction des risques qu’ils représentent et qui sont estimés à l’aide d’échelles prédéterminées576. Dans ces conditions, des auteurs relèvent que la philosophie de réinsertion cède le pas à une rationalité gestionnaire, laquelle se limite à un objectif de neutralisation et repose dès lors sur le seul

565

L’exécution des sanctions privatives de liberté relève au Canada de la compétence concurrente de l’Etat central et de ses provinces. Les personnes condamnées à une peine de moins de deux ans d’emprisonnement sont placées dans un établissement provincial, alors que celles condamnées à une peine de deux ans et plus purgent leur sentence dans un pénitencier fédéral. Ces deux « réseaux correctionnels » gèrent leur population pénale respective de façon fort différente, tel que le démontre LEMIRE (2002).

566

Art. 76 de ladite loi. Cf. également l’art. 77 s’agissant des programmes spécifiquement conçus pour les femmes et l’art. 80 concernant les programmes destinés aux autochtones.

567

L’ensemble de ces programmes et leur teneur sont exposés sur le site officiel du Service correctionnel du Canada : http://www.csc-scc.gc.ca/text/home_f.shtml, rubrique : Programmes. Pour des exemples de programmes destinés aux personnes condamnées à une peine d’emprisonnement de moins de trois mois, en particulier des personnes toxicomanes et/ou souffrant de troubles psychologiques, des délinquants sexuels et des personnes condamnées pour violence conjugale, cf. LEMIRE/BROCHUZ/RONDEAU/PARENT (1997).

568

Sur les différences entre la libération conditionnelle (accessible au plus tôt au tiers de la peine) et la libération

d’office (accessible aux deux tiers de la peine), cf. SZABO (1999), p. 219 ainsi que les art. 99ss LSCMLC et 145ss RSCMLC. Sur la Commission nationale des libérations conditionnelles (CNLC), voir son site officiel :

http://www.npb-cnlc.gc.ca/.

569

« plutôt » car elle n’élude pas complètement l’objectif de (re)socialisation assigné à l’exécution de la sanction. Sur ce point, cf. VACHERET/DOZOIS/LEMIRE (1998);ROBERT D.(2001);LEMIRE (2002).

570

FEELEY/SIMON (1992,1994).

571

MARY (2001), p. 35.

572

BOTTOMS (1995); HANNAH-MOFFAT (2005). Pour une critique de la « rationalité managériale » dans le « champ des activités pénales », notamment pénitentiaires, cf. KAMINSKI (2002b).

573

LANDREVILLE (2001). Sur ces instruments, cf. notamment CÔTÉ (2001) et dans le domaine particulier de la prédiction de la récidive des délinquants sexuels PROULX/LUSSIER (2001).

574

HANNAH-MOFFAT/SHAW (2001);HANNAH-MOFFAT (2005).

575

Le plus souvent d’inspiration cognitivo-comportementale.

576

Par exemple, « l’échelle révisée d’information statistique sur la récidive » auxquels ont recourt intervenants et autorités pour prédire les risques de récidive du condamné et « l’échelle de classement par niveau de

sécurité » sur laquelle se base l’autorité compétente pour placer le condamné dans un établissement à sécurité

principe de précaution577. Cette situation implique un glissement vers des considérations plus punitives, à tout le moins vers des mesures plus restrictives, le but étant d’éviter à tout prix que le risque ne se réalise. Aussi, trente ans après la crise de la finalité réhabilitative de l’exécution de la peine, déclenchée par le célèbre « nothing works » de MARTINSON578, d’aucuns considèrent que l’idéal de réinsertion se voit au Canada à nouveau sérieusement remis en question579.

En Suisse, nous l’avons déjà dit, cet idéal s’efface partiellement en faveur des autres buts assignés à l’exécution de la peine. Nous craignons dès lors qu’il soit plus aisé encore de le contourner. Nous réprouvons donc le choix du Code pénal révisé de ne pas avoir décliné plus subtilement la priorité - même relative - des objectifs de l’exécution. La refonte du droit de l’exécution des sanctions était de toute évidence l’occasion rêvée pour opérer une réflexion approfondie sur les sens donnés à l’exécution de la peine privative de liberté et sur une hiérarchisation des objectifs qu’elle poursuit. En attachant plus d’importance à des considérations autres, partiellement motivées par des raisons politiques et implicitement inspirées d’une petite580 frange vindicative de l’opinion publique, la Suisse s’est gardée d’émettre une vision pénitentiaire plus altruiste et novatrice. Si elle a certes décidé d’évincer du cœur du système des sanctions la peine privative de liberté, il y a lieu de craindre qu’elle ait dans un même temps renforcé la dureté de son exécution pour ceux qui n’y échapperont pas.

A ce propos, l’acceptation, le 8 février 2004, de l’initiative populaire fédérale relative à « l’internement à vie pour les délinquants sexuels ou violents jugés très dangereux et non-

amendables »581 est particulièrement révélatrice582. Elle atteste qu’il y a lieu de ne surtout pas sous-estimer l’impact de l’opinion publique sur notre philosophie pénale et pénitentiaire, nourrie de l’émotionnel583, exacerbée par certains médias584 et souvent récupérée par quelques discours politiques. Alors qu’elle était considérée par les juristes comme contraire à la CEDH585 et par les praticiens comme quasi inapplicable sur le terrain586, le peuple a largement plébiscité cette initiative587.

577

Communications de Bastien QUIRION sur le thème : Traiter les délinquants ou contrôler les conduites :

l’idéal réhabilitatif à l’ère de la nouvelle pénologie, et Marion VACHERET sur le thème : L’idéal réhabilitatif en

questions, au 73e Congrès de l’ACFAS, Université du Québec à Chicoutimi (mai 2005), dans le cadre du colloque-atelier intitulé « Pénalité contemporaine et exécution des peines ».

578

MARTINSON (1974).

579

Cela est d’autant plus révélateur dans les pénitenciers fédéraux de la province du Québec, unanimement reconnus pour leur esprit "modéré".

580

Les résultats en 2001 d’une étude menée par des chercheurs rattachés à l’Université de Genève sur les « représentations sociales de la sanction pénale » attestent en effet qu’une majorité des répondants à leur questionnaire accordent à la sanction tant des objectifs de dissuasion de la récidive, que de préparation au retour dans la société et de réflexion aux fins d’amendement. La mise à l’écart, la honte, l’expiation et la vengeance comme objectifs prioritaires ne recueillant chacun pas plus de 9% des pourcentages. Cf. ROBERT/KELLERHALS/LANGUIN/WIDMER/PONCELA/BOGGIO/PATTARONI/COUMANNE (2001).

581

Le Conseil fédéral a renoncé à opposer un contre-projet à cette initiative et l’a soumise au vote du peuple et des cantons en leur recommandant de la rejeter. Cf. CONSEIL FÉDÉRAL, Message concernant l’initiative

populaire «Internement à vie pour les délinquants sexuels ou violents jugés très dangereux et non amendables»

du 4 avril 2001 ; FF 2001 3265.

582

Pour une description du contexte dans lequel s’inscrit cette acceptation, cf. VALLOTTON (2004).

583

La présence toujours plus importante des victimes sur la scène médiatique y est pour beaucoup. Dans le même sens, cf. CHANTRAINE (2004c), pt. 3.

584

A propos de l’impact des médias en la matière sur l’opinion publique, cf. notamment KURY (2000).

585

Cf. la prise de position des professeurs de droit pénal sur l’initiative publiée avant la votation dans les grands quotidiens suisses, notamment in Le Temps du 12 janvier 2004 et l’entretien de R. ROTH, Professeur de droit

Cet exemple récent jette une lumière crue sur le besoin toujours plus persistant de sécurité de la collectivité face au phénomène criminel et sa volonté d’y remédier par des moyens d’exclusion et de neutralisation de très longue durée588. Il nous conforte dans l’idée que les velléités punitives d’une certaine opinon publique seront susceptibles de conforter une tendance toujours plus répressive à l’exécution des sanctions. Cela nous semble d’autant plus vrai qu’il n’existe pas de véritable culture helvétique de la recherche empirique et appliquée sur le phénomène criminel589, et plus rarement encore d’études constructives590 menées dans le champ pénitentiaire591. Si de telles évaluations scientifiques avaient été menées et, pour celles qui l’ont été, mieux diffusées et intelligemment vulgarisées592, le peuple, ainsi averti, n’aurait peut-être pas glissé dans les urnes une majorité de « oui »593.

En vertu de l’art. 195 Cst, le nouvel art. 123a Cst. est immédiatement entré en vigueur après la votation. Un groupe de travail a alors été institué pour élaborer un avant-projet sur les dispositions d’exécution de la nouvelle norme constitutionnelle594. Accompagné de son rapport, cet avant-projet a fait l’objet d’une procédure de consultation entre les mois de

pénal au sein de l’Université de Genève, in Le Temps du 9 février 2003. Cf. également MAZZUCCHELLI (2003)p. 43; RESTELLINI (2004), p. 465; KUHN A. (2005), p. 13 et p. 22.

586

Cf. notamment l’entretien de C. VARONE, Directeur des établissements de détention du canton du Valais, in

Le Temps du 9 février 2003, celui d’A. VALLOTTON, alors Chef du service pénitentiaire vaudois, in Le Temps du 12 janvier 2004 et celui de B. GRAVIER, Chef du Service de médecine et psychiatrie pénitentiaires vaudois, in Le

Temps du 2 février 2004.

587

FF 2004 2045 : « L’initiative a été acceptée par le peuple, par 1 198 867 oui contre 934 569 non, ainsi que

par les cantons, par 19 1/2 oui contre 1 1/2 non ».

588

Voire même de « selective incapacitation » à l’américaine dont le « three strikes and you’re out » appliqué dans certains Etats, notamment la Californie, est une des manifestations. Sur cette question, cf. MAZZUCCHELLI

(1996).De nombreux professionnels remettent en cause la crédibilité d’une telle approche. Cf. notamment JAFFE

/NIVEAU (1997).

589

Pour un inventaire, cf. FINK/KUNZ/ROTH (1999).

590

Nous entendons par "constructives" des études menées dans le respect des pratiques concrètes des acteurs, en toute objectivité, sans complaisance mais sans esprit revanchard non plus et dans un souci de restitution précise et minutieuse des réalités, qui permette de mieux appréhender une situation donnée.

591

Sinon les travaux de A. KUHN sur la surpopulation carcérale,en particulier depuis la publication de sa thèse en 1992 ; une recherche sur les potentiels effets d’une politique d’incapacitation à l’égard des délinquants sexuels de VILLÉ (1991) ; une étude consacrée à la récidive via le point de vue des détenus par BESOZZI

(1998/1999) et, depuis avril 1999, le bulletin CRIMISCOPE des chercheurs de l’Ecole des sciences criminelles de l’Université de Lausanne, qui restitue nombre de leurs études en cours, parmi lesquelles plusieurs traitent (in)directement de l’exécution des sanctions privatives de liberté. On compte aussi les rapports d’évaluation sur les projets pilotes dans le domaine de l’exécution des peines privatives et restrictives de liberté et les travaux de certains praticiens très investis et issus de certaines régions bien précises de la Suisse. Il n’est d’ailleurs par anodin à cet égard que seul le canton de Vaud et le demi-canton de Bâle-ville aient rejeté l’initiative en question.

592

Nous saluons ici l’initiative de certains « théoriciens » (pour les distinguer des praticiens « à temps complet ») qui n’hésitent pas à s’atteler au difficile exercice de vulgarisation, notamment dans de petits ouvrages, largement diffusés. Lire par exemple KUHN A.(2002), dont l’opuscule a été traduit dans les deux autres langues nationales [Sind wir alle kriminell? Kleine Einführung in die Kriminologie et Siamo tutti criminali? Piccola introduzione