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Suitability and the like

Dans le document Journée 2011 de droit bancaire et financier (Page 166-171)

réflexions sur l’iDée D’une loi sur les services finAnciers

IV. Suitability and the like

Une information accessible à l’investisseur est indispensable, mais elle ne suffit pas. La littérature financière insiste sur les problèmes cognitifs, psy-chologiques et affectifs qui font que les investisseurs ne font pas générale-ment (et probablegénérale-ment pas très souvent) des choix rationnels. Mme Aeschli-mann et MM. Apffel et Lombard l’ont résumé avec simplicité et clarté dans leur récent ouvrage, De l’expérience à l’expertise : regard d’un ban-quier privé sur les enseignements des grands investisseurs du XXe siècle19. Le rôle du conseiller (ou du gérant) s’en trouve d’autant plus important. Ainsi,

18 Document de position FINMA (supra note 5), p. 16, élément essentiel 7.

19 Genève : Lombard Odier Darier Hentsch & Cie, 2010.

une étude réalisée par sondage auprès de 6000 investisseurs de détail dans huit pays européens indique, notamment, que peu d’investisseurs pro-cèdent à une véritable recherche du produit désiré et que la plupart font confiance pour ce choix à des conseillers financiers, souvent d’ailleurs en ignorant les conflits d’intérêts auxquels ces derniers sont exposés20.

Même si cela n’a jamais été conceptualisé en Suisse comme une obli-gation de suitability, le choix de placements correspondant aux objectifs et à la situation financière du client est le cœur de l’obligation du gérant de fortune. Appliquée au conseil en placement et aux recommandations personnalisées, cette affirmation doit être nuancée de multiples manières.

Hormis les mandats exprès de conseil, la jurisprudence ne fournit pas ( encore) de critères très précis des situations ressortissant au conseil ; en outre et surtout, elle ne pose pas l’exigence d’adéquation comme une obli-gation générale du conseiller en placement et n’intervient ponctuellement que lorsque cette condition est manifestement et gravement violée21.

Dans les situations qui ne relèvent ni de la gestion ni du conseil, la loi sur les bourses n’exige du négociant aucune appréciation du caractère ap-proprié de l’opération envisagée par l’investisseur. Aucune mise en garde n’est due lorsque l’investisseur s’aventure sur des terrains financiers qu’il ne connaît pas et ne comprend pas. L’art. 11 al. 1 lettre a LBVM énonce un devoir d’information sur “les risques liés à un type de transaction don-née”, qui est généralement exécuté par la remise, lors de l’ouverture d’un compte de titres, d’une brochure qui, en 32 pages, décrit les “types d’opé-rations présentant des risques particuliers” (options, opéd’opé-rations à terme, produits structurés, placements alternatifs, placements sur les marchés émergents). Lorsque l’on parle de transaction execution only en Suisse, on ne vise pas les situations où le négociant est relevé de l’obligation de vérifier le caractère approprié et le cas échéant de mettre en garde l’investisseur, mais celles où le négociant est dispensé de toute information sur les risques particuliers de la transaction.

20 Consumer Decision-Making in Retail Investment Services : A Behavioural Economics Perspective, Final Report, novembre 2010, pp. 131-224 (résumé p. 3).

21 ATF 133 III 97, rés. SJ 2007 I 252 ; TF 4C.68/2007 du 13 juin 2008, RSDA 2009 280 r11 ; cf. notamment L. Thévenoz, “Information, conseil, mise en garde : risques et responsabilités dans les opérations sur valeurs mobilières”, in Journée 2007 de droit bancaire et financier, 2008, p. 20 ss ; S. Abegglen, “Point of Sale-Aufklärung und Produkttransparenz – die Informationspflichten beim Anlagegeschäft der Banken”, in Vermögensverwaltung II, 2009, p. 61 ss, notamment pp. 71-77 ; C. Röthlin, Invest-ment Suitability – neue Herausforderungen in der Anlageberatung, 2011.

Cette approche restrictive des obligations du prestataire de services financiers forme un contraste saisissant avec la compétence de base que la place financière revendique internationalement, une compétence fondée sur le conseil au client. Et elle met les intermédiaires financiers dans une situation paradoxale puisque ceux-ci doivent se conformer à des exigences plus élevées lorsqu’ils offrent les mêmes services dans le pays de résidence de leur clientèle européenne (MiFID) ou étatsunienne22. Au moment où la Suisse doit démontrer la qualité de son offre pour conserver sa clientèle étrangère, cette contradiction n’est plus tenable.

La FINMA propose deux principes pour remédier à cette situation : – “Avant de donner un conseil personnel, les prestataires de services

fi-nanciers doivent évaluer si la transaction est adéquate pour le client.

Dans cette optique, ils doivent s’enquérir de son expérience et de ses connaissances, de ses objectifs d’investissement et de sa situation fi-nancière. Avant d’accepter un mandat de gestion de portefeuilles, ils doivent également s’assurer que le client a compris la portée de cette attribution et que la stratégie d’investissement retenue est bien celle qui lui convient.”23

– “Il doit être imposé aux prestataires de services financiers de se rensei-gner sur les connaissances et l’expérience de leurs clients en relation avec le type de produit recherché ou le service à fournir. Lorsqu’une transaction leur semble inappropriée, les prestataires de services finan-ciers doivent mettre en garde le client.”24

22 Lorsqu’ils offrent ces mêmes services depuis la Suisse à une clientèle étrangère, ces obligations légales de suitability et d’appropriateness, qui sont des règles protectrices de l’investisseur, peuvent être considérées par certains ordres juridiques comme des règles internationalement impératives, cf. art. 19 LDIP ; art. 6 et 9 du Règlement (CE) 593/2008 du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I) ; art. 15 à 17 de la Convention du 30 octobre 2007 concernant la compétence judi-ciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (Convention de Lugano II), RS 0.275.12. Sur ces questions, cf. notamment I. Romy,

“Les contrats de services financiers comme contrats de consommation : for et droit”, in Journée 2010 de droit bancaire et financier, 2011, p. 21 ss ; N. Jeandin, “Banques suisses, droit élu et for prorogé”, in Innovatives Recht – Festschrift für Ivo Schwander, 2011, p. 711 ss.

23 Document de position FINMA (supra note 5), élément essentiel 9, p. 18 (souligne-ments ajoutés).

24 Idem, élément essentiel 8, p. 17 (soulignements ajoutés).

Le premier principe vise le caractère adéquat de la transaction (Ange-messenheit dans la version allemande) et correspond à la notion de suit-ability. Le deuxième vise le caractère approprié (Eignung dans la version al-lemande) de la transaction et correspond à la notion de appropriateness. La différence entre les deux principes, les deux standards, ne découle pas du choix du vocabulaire mais tient aux éléments que le prestataire de services doit prendre en considération. Le caractère adéquat d’une transaction doit être apprécié en fonction de l’expérience et des connaissances du client, de ses objectifs d’investissement et de sa situation financière. Plus limité, le caractère approprié d’une transaction se juge (selon la proposition de la FINMA) en fonction de l’expérience et des connaissances de l’investisseur et de sa situation financière25 ; il ne prend pas en compte ses objectifs d’in-vestissement, dont l’investisseur reste seul juge.

Ces deux principes sont complétés par une troisième proposition de la FINMA : “Les prestataires de services financiers ne sont autorisés à effec-tuer, sans en vérifier le caractère approprié, des transactions sur produits financiers pour un client privé que si celui-ci les mandate en ce sens et que les produits en question ont le caractère de produits financiers simples.

Ceux-ci sont faciles à comprendre, n’engagent pas le client au-delà du prix d’acquisition et peuvent habituellement être vendus sur le marché ou resti-tués au producteur.”26

Ainsi, le service de pure exécution (execution only) devrait se limiter aux produits financiers simples, qui sont ceux pour lesquels du reste il ne serait pas nécessaire d’établir un document d’informations clés pour l’in-vestisseur tel que discuté plus haut27.

Ces trois propositions de la FINMA sont très proches de la réglementa-tion européenne telle qu’elle résulte de la MiFID actuelle et qu’elle est résu-mée dans le tableau qui suit28 ; sont soulignées les modifications proposées par la Commission dans le cadre de la révision de cette directive, lesquelles se limitent au champ d’application de la règle relative à l’exécution sèche des ordres du client29.

25 Cf. note 30 infra.

26 Document de position FINMA (supra note 5), élément essentiel 10, p. 18 (souligne-ments ajoutés).

27 Supra ch. II, cf. idem, élément essentiel 2, p. 11.

28 Art. 19 de la directive 2004/39 du 21 avril 2004 concernant les marchés d’instruments financiers (MiFID).

29 Art. 25 de la proposition de la Commission du 20 octobre 2011, COM(2011) 656 final.

Suitability Appropriateness Execution only L’expérience et les

connaissances du client lui permettent de comprendre les risques inhérents à la transaction, et financière de faire face à tout risque lié à la

Devoir de mise en garde dans le cas contraire

Aucun devoir de mise en garde

Tous autres services Exécution ou transmission d’ordre

l’absence d’évaluation

du caractère approprié

Pour les raisons que j’ai indiquées plus haut, il paraît difficile pour la Suisse d’affirmer la qualité de ses services en matière d’investissements et l’équi-valence de la protection des investisseurs avec les standards internationaux sans prendre le soin d’expliciter, dans des règles de haut niveau, c’est-à-dire de rang législatif, dans quelle mesure les prestataires de services financiers doivent s’informer sur la situation financière, les besoins et objectifs, les connaissances et l’expérience de leurs clients, suivant la nature du service proposé. L’invocation de “la bonne et fidèle exécution du mandat” et un

“devoir d’information sur les risques particuliers de la transaction” ne sont plus appropriés à la complexité des services et produits financiers offerts aux clients. Ce qui pouvait encore se justifier dans les années 1980, où l’uni-vers d’investissement des privés se limitait aux actions, obligations, fonds d’investissement et métaux précieux, ne peut plus l’être lorsque le lecteur du Temps ou de la Neue Zürcher Zeitung se voit chaque jour proposer

en pleine page des produits financiers complexes aux acronymes parfois charmants, parfois ésotériques.

Les principes proposés par la FINMA ont le mérite d’une formulation simple et claire, une qualité que la législation suisse devrait continuer à rechercher. On peut discuter de l’un ou l’autre aspect30. Ils devront certai-nement être concrétisés. Mais la proposition de la FINMA paraît convain-cante et raisonnable. Elle amène la Suisse à se conformer à des pratiques que ses principaux acteurs connaissent et appliquent depuis longtemps dans leurs filiales et succursales étrangères. Et elle réconcilie le discours, la promesse et l’exigence en permettant à l’investisseur de prendre son pres-tataire de services au mot et de lui en demander compte, le cas échéant de-vant les tribunaux suisses. C’est aussi une mesure qui devrait rendre moins attrayante l’action des consommateurs de services financiers au for de leur domicile, dont la multiplication causerait des coûts et des risques impor-tants à la place financière.

V. Information sur le service financier et conflits d’intérêts

Dans le document Journée 2011 de droit bancaire et financier (Page 166-171)