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Pourquoi réglementer maintenant la distribution des produits financiers ?

Dans le document Journée 2011 de droit bancaire et financier (Page 157-161)

réflexions sur l’iDée D’une loi sur les services finAnciers

I. Pourquoi réglementer maintenant la distribution des produits financiers ?

Confrontés à ce double défi où se joue l’avenir de la place financière, les nombreux emplois et les recettes fiscales qu’elle fournit à la Suisse, certains s’interrogent sur la nécessité du nouveau chantier ouvert par la FINMA en octobre 2010 lorsqu’elle a lancé une large consultation publique sur son document intitulé Réglementation sur la production et la distribution de produits financiers aux clients privés – état des lieux, lacunes et options possibles3. Les prises de position recueillies montrent les points d’accro-chage mais confirment dans leur ensemble la nécessité de poursuivre ce projet ambitieux4. Le deuxième document de la FINMA, daté du 24 février 2012 et intitulé Réglementation sur la production et la distribution de pro-duits financiers5, énonce avec concision dix-huit mesures dont la mise en

1 Cf. chapitre VII de la directive 2011/65/UE du 8 juin 2011 sur les gestionnaires de fonds d’investissement alternatifs, JO 2011 L 174/1.

2 Cf. chapitre IV de la proposition de directive concernant les marchés d’instruments financiers du 20 octobre 2011, COM(2011) 656 final.

3 FINMA, Réglementation sur la production et la distribution de produits financiers aux clients privés – état des lieux, lacunes et options possibles (Rapport FINMA Distribu-tion de produits financiers 2010), octobre 2010.

4 Les prises de position adressées à la FINMA sont publiées sur son site web, www.

finma.ch/f/regulierung/anhoerungen/Pages/stellungnahmen.aspx, et ont été résu-mées dans un rapport daté du 24 février 2012, Bericht über die Anhörung vom 10. No-vember 2010 bis 2. Mai 2011 zum “FINMA-Vertriebsbericht” vom Oktober 2010. La doc-trine s’est également exprimée, notamment dans quatre contributions (U. Zulauf, L. Thévenoz, S. Emmenegger, et P. Nobel / N. Sauerwein) parues dans la RSDA 2011 264-292 ; cf. aussi F. Contratto, “FINMA-Vertriebsbericht 2010 : Ein Hoffnungs-schimmer am Horizont für die Anleger”, Jusletter du 2 mai 2011 ; O. Zibung, “Der Ver-triebsbericht der FINMA – ein nächster Schritt zur Verbesserung des Kundenschutzes sowie zur materiellen Integration der Finanzmarktregulierung ?”, HAVE 2011  99 ; M. Eggen / C. Staub, “Kundensegmentierung – Panacea oder Abschied vom mündigen Anleger ?”, GesKR 2012 55 ; J.M. Schaller, “Die Pflicht zur Produktekenntnis (Know Your Product) in der Anlageberatung und Vermögensverwaltung”, RSDA 2011 449 ; S. Geiger, “Umsetzung der MiFID in der Schweiz ?”, Jusletter du 17 janvier 2011.

5 FINMA, Réglementation sur la production et la distribution de produits financiers (Do-cument de position FINMA Règles applicables à la distribution), 24 février 2012.

œuvre nécessite un acte législatif, ce qui pourrait devenir une véritable loi sur les services financiers.

La Suisse peut-elle aujourd’hui se payer le luxe d’un aggiornamento profond de la réglementation protégeant les investisseurs ? Face à l’urgence des mesures rendues nécessaires par la Weissgeldstrategie6 et par la mon-tée des barrières protectionnistes dans les marchés qui lui sont les plus importants, la protection des investisseurs est-elle vraiment une première priorité ? Ne saurait-elle attendre que les défis vitaux soient résolus ?

Comme c’est souvent le cas dans des situations de crise, la procrasti-nation n’est pas possible : une réforme transversale de la distribution des produits financiers est une condition nécessaire, mais non suffisante, de réussite pour les deux objectifs stratégiques que sont la régularisation fis-cale de la clientèle et l’accès aux marchés, et notamment à celui de notre premier partenaire économique, l’Union européenne et ses pays membres.

Je vois au moins deux raisons à cette affirmation.

i) D’abord, les clients en situation fiscalement régulière ou régularisée sont beaucoup plus libres de leurs choix qu’auparavant. S’ils ne sont pas sa-tisfaits de la qualité et du coût des services qui leur sont offerts, ils peuvent facilement déplacer leurs avoirs ou même seulement la gestion de ceux-ci dans un autre pays, y compris dans leur pays de résidence. Les banques suisses ont fait leur force d’offrir à cette clientèle une palette diversifiée de produits inaccessibles à ces mêmes clients sur d’autres marchés, notam-ment à des placenotam-ments collectifs étrangers non soumis à autorisation. Les pertes concentrées de certains investisseurs suisses ou étrangers dans cer-tains instruments (fonds Behring et Madoff, produits structurés émis par Lehman, etc.) ont montré que la diversité de l’offre présente peu d’attrait si les produits proposés ne sont pas appropriés aux besoins, à la capacité de risque et aux connaissances de ces clients7. Or, et c’est paradoxal, même si le caractère approprié des placements et de la stratégie est un pilier re-connu de la gestion de fortune et devrait aussi l’être dans le conseil en placements, suitability reste un gros mot à éviter dans les conversations de table, une malédiction européenne dont les intermédiaires financiers

6 Conseil fédéral, Strategie für einen steuerlich konformen und wettbewerbsfähigen Finanzplatz – Diskussionspapier, 22 février 2012.

7 FINMA, Affaire Madoff et distribution de produits Lehman : incidences sur les activités de conseil en placement et de gestion de fortune, 2 mars 2010.

suisses entendaient bien se protéger dans leur activité en Suisse et à partir de la Suisse.

On ne trouve d’ailleurs ni dans la législation suisse (art. 398 du Code des obligations, art. 11 de la loi sur les bourses) ni dans l’autoréglementa-tion de l’Associal’autoréglementa-tion suisse des banquiers (Directives concernant le man-dat de gestion de fortune de 2010, Règles de conduite pour négociants en valeurs mobilières de 2008) une affirmation claire et précise que la banque ou le négociant qui recommande un placement ou qui exerce un mandat de gestion discrétionnaire doit s’informer activement sur les objectifs d’in-vestissement de son client (y compris son horizon-temps, ses préférences en matière de risque), sa situation financière (y compris la source et la ré-gularité de ses revenus, l’étendue de sa fortune et de ses engagements fi-nanciers) et sur ses connaissances et son expérience financières8. Encore moins trouve-t-on dans ces textes normatifs l’affirmation que les recom-mandations de placement ou les choix de placement doivent correspondre à ces critères.

L’absence d’une reconnaissance explicite de ce principe fondamental et de quelques autres, et l’inexistence d’une formulation normative qui guide les pratiques des établissements et permette à l’investisseur d’en contrô-ler le respect sont inexplicables pour une clientèle qui n’est pas ou plus contrainte par sa situation fiscale irrégulière. Règles de conduite, standards

8 A ma connaissance, le Verein zur Qualitätssicherung von Finanzdienstleistungen (VQF) est la seule des organisations d’autorégulation dont les règles sont reconnues par la FINMA au sens de la Circulaire FINMA 2009/1 à aborder très partiellement la question.

L’article 8 de ses règles de conduite en matière de gestion de fortune du 25 février 2009 dispose : “2 Le gérant de fortune rassemble avant et au cours de l’exercice de ses fonctions de gérant de fortune toutes les informations lui permettant de conseiller ou de réaliser un placement de fortune correspondant aux besoins du client (know your customer-rule), notamment en ce qui concerne les points suivants : (a) Expérience du client dans les affaires de fortune ; (b) Revenus et fortune ; (c) Objectif du placement ; (d) Horizon de placement ; (e) Acceptation des risques et aptitude au risque (profil de risques) ; (f) Monnaie de référence (monnaie pour la stratégie de placement et permettant de calculer le portefeuille de placement). 3 Le gérant de fortune informe ensuite le client, de façon appropriée et en fonction des expériences de celui-ci dans le domaine de la gestion de fortune, sur les risques des objectifs et des limites de placement convenus ainsi que sur l’application pratique de ceux-ci le cas échéant sur les risques des placements. Ces informations peuvent être communiquées de façon standardisée.” Il est étonnant que le Code suisse de conduite relatif à l’exercice de la profession de gérant de fortune indépendant de l’Association suisse des gérants de fortune n’aborde aucun aspect de ces questions.

régulatoires, référentiel : de quelque façon qu’on les désigne, les normes qui définissent la qualité du service attendu par le client sont un élément im-portant de la proposition commerciale faite au client. A elles seules, elles sont rarement décisives, mais elles peuvent peser dans la balance lors du choix de maintenir ou de localiser en Suisse la détention et la gestion de tout ou partie d’une fortune privée.

ii) Au chapitre de l’accès aux marchés étrangers, il est illusoire de pen-ser que la Suisse pourra ouvrir ou rouvrir des portes fermées sans faire la démonstration que la qualité des services offerts en matière de valeurs mobilières est équivalente à celle des Etats visés, qu’il s’agisse de l’Union européenne, des Etats-Unis ou d’autres marchés. Cette démonstration portera, notamment, sur la qualité de l’information relative aux produits (pour lesquels les seuls prospectus suisses qui répondent aujourd’hui aux standards internationaux sont ceux des placements collectifs suisses et ceux conformes au Règlement de cotation de SIX Swiss Exchange) et sur la définition du service offert par les distributeurs de produits financiers, en particulier en matière de conseils en placement. Par exemple, avant même que la législation de deuxième niveau soit connue, la directive européenne sur les gérants de fonds alternatifs indique clairement que là où la distri-bution de fonds alternatifs à la clientèle de détail sera autorisée (ce qui est à la discrétion des Etats membres), les gestionnaires et les distributeurs devront satisfaire à des exigences accrues de suitability9.

En bref, le succès de la nouvelle stratégie de la place financière suisse, qui repose sur la régularisation fiscale des clients et sur le maintien de l’ac-cès aux marchés, ne peut pas se passer d’une amélioration et d’une mise à jour des règles protégeant les investisseurs.

On peut probablement affirmer que les clients suisses et étrangers ne sont pas moins bien traités par les banques suisses qu’ils ne le sont par des prestataires de services financiers à l’étranger. On peut même espérer que la qualité des prestations offertes en Suisse explique en partie le suc-cès passé des banques suisses et l’afflux de nouveaux actifs, que ceux-ci compensent ou non le rapatriement ou la délocalisation d’autres actifs.

Mais il ne suffit plus de poser des affirmations générales, comme la place financière l’a fait en réponse à l’adoption de la directive sur les marchés

9 Cf. chiffre 71 du préambule de la directive AIFM, supra note 1.

d’instruments financiers de 199410. Il convient de constater avec lucidité le Nachholbedarf de la réglementation protégeant les investisseurs11 et d’y répondre avec détermination et dans le respect de la proportionnalité.

Cette contribution, rédigée dans les jours qui suivirent la publication du “document de position de la FINMA” du 24 février 2012, ne prétend ni faire un tour d’horizon complet de la matière ni discuter chacune des propositions formulées. Après un bref aperçu de l’ensemble que forment ces propositions, cet article porte un éclairage sur quelques aspects impor-tants de l’information de l’investisseur sur les produits financiers et sur les services offerts, sur la nature et la qualité du service qui lui est proposé, ainsi que sur l’idée d’une loi transversale pour mettre ces propositions en œuvre. Elle se termine par une réflexion sur les aménagements qui peuvent entrer en ligne de compte en matière de règlement des différends.

Dans le document Journée 2011 de droit bancaire et financier (Page 157-161)