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Les éléments principaux de la directive AIFM

européennes : le chAntier législAtif

B. Les éléments principaux de la directive AIFM

C’est dans le contexte évoqué précédemment qu’il faut situer l’élaboration de la directive AIFM et apprécier son contenu. Sans aller dans le détail de l’analyse de cette réglementation volumineuse et complexe17, il est impor-tant d’en souligner les éléments saillants.

1. Le champ d’application matériel : une directive qui touche tous les gérants de fonds non OPCVM

D’abord et contrairement à ce que son nom semble indiquer, la directive AIFM ne vise pas spécifiquement le secteur de la gestion alternative au sens financier, notamment l’activité des hedge funds, une industrie s’étant grandement développée au cours des années 2000 et ayant fait l’objet de vifs débats dans le cadre de la crise financière de 2007 et 2008 du fait de son importance, de la perception de sa contribution au risque systémique global pour le secteur financier et de l’impact psychologique et médiatique de certaines faillites ou fraudes importantes dans le secteur. En effet, la directive AIFM concerne tous les gérants de fonds de placement ne tom-bant pas dans le champ d’application de la directive OPCVM, donc un univers très vaste et hétérogène comprenant aussi bien des fonds réelle-ment alternatifs que des fonds traditionnels (mais non OPCVM) destinés à des clients professionnels, des fonds de capital-risque ou des fonds im-mobiliers18. Par cette approche, le législateur européen a donc voulu cou-vrir l’ensemble de l’univers des fonds d’investissement disponibles pour la clientèle professionnelle de l’UE.

17 http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2011:174:0001:0073:

FR:PDF.

18 Consid. 3 directive AIFM.

2. Un vaste champ d’application territorial

Deuxièmement, la directive AIFM a un champ territorial très vaste en ce sens qu’elle s’applique, certes à des degrés divers, dès lors qu’il existe un point de rattachement dans l’UE, qu’il s’agisse du domicile du gestion-naire, du domicile des fonds ou de celui des investisseurs professionnels auprès desquels ces fonds sont commercialisés19. Dans un monde de ges-tion collective globalisé, cela signifie concrètement que la directive AIFM s’applique à de très nombreux cas de figure impliquant un ou plusieurs acteurs situés hors de l’UE, qu’il s’agisse du gérant, du véhicule collectif ou des investisseurs. Ainsi, pour prendre deux exemples, seront soumis à la directive AIFM : (1) un fonds de droit suisse destiné exclusivement à la clientèle professionnelle suisse si le gérant du fonds se situe au sein de l’UE, ou (2) un fonds basé au sein de l’UE et faisant l’objet d’une commercialisa-tion auprès d’investisseurs professionnels de l’UE, mais dont le gérant se trouve en Suisse.

3. Un gérant responsable par fonds

La directive AIFM pose le principe que chaque fonds alternatif doit avoir un unique gérant responsable au sens de la directive. Ce gérant doit être une entité qui exerce des activités de gestion (gestion de portefeuilles et gestion des risques) mais pas nécessairement les tâches prépondérantes en matière de gestion du fonds, c’est-à-dire d’asset management du véhicule de placement collectif. Il pourra ainsi parfaitement s’agir une société de direction de fonds qui délègue certaines tâches de gestion à des entités tierces.

Les exigences posées par la directive AIFM en termes de fonds propres et d’organisation du gérant alternatif s’inspirent en grande partie des prin-cipes posés par les directives européennes existantes MiFID20 et OPCVM21

19 Art. 2 directive AIFM.

20 Directive 2004/39/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 concer-nant les marchés d’instruments financiers, modifiant les directives 85/611/CEE et 93/6/CEE du Conseil et la directive 2000/12/CE du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 93/22/CEE du Conseil.

21 Directive 2009/65/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant certains organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM) (refonte).

et s’appliquent à la gestion collective en intégrant certains éléments com-plémentaires propres à l’activité des gérants alternatifs, notamment un chapitre nouveau sur la gestion du risque de liquidité qui, l’on s’en sou-vient, a été un des problèmes effectifs importants observés pendant la crise financière. Par ailleurs, les gérants alternatifs se voient imposer des obliga-tions strictes en termes de transparence vis-à-vis des investisseurs comme des autorités de surveillance22, de même que des contraintes significatives au niveau de leur politique de rémunération23.

Une des particularités de la directive AIFM est qu’elle rend le gérant alternatif responsable de la désignation d’un évaluateur compétent – qui peut à certaines conditions être le gérant lui-même24 – ainsi que d’une banque dépositaire qui doit remplir les exigences détaillées fixées dans la directive25. En ce sens, la directive AIFM ne se contente donc pas seule-ment de poser un cadre applicable aux gérants de fonds alternatifs, mais elle intervient indirectement au niveau des règles applicables aux fonds eux-mêmes.

4. La banque dépositaire

La directive AIFM marque un tournant majeur dans la réglementation des activités de banque dépositaire. La faillite frauduleuse du gérant Madoff, qui a concerné plusieurs fonds de placement domiciliés dans différentes juridictions de l’UE, a fait ressortir des différences d’approche entre les pays et le caractère sommaire de la réglementation existante en matière de gestion collective sur la nature des tâches, les obligations et la responsabi-lité de la banque dépositaire d’un fonds de placement.

Le législateur européen a donc décidé de se pencher sur ces différents sujets à l’article 21 de la directive, en renforçant de manière sensible les exigences requises pour pouvoir exercer la fonction de banque dépositaire, directement ou sur une base de délégation, tout en durcissant le régime de responsabilité de la banque dépositaire qui se rapproche désormais d’une responsabilité causale26.

22 Art. 23 et 24 directive AIFM.

23 Annexe 2 directive AIFM.

24 Art. 19 directive AIFM.

25 Art. 21 directive AIFM.

26 Art. 21 ch. 12 directive AIFM.

Suite à l’adoption de la directive AIFM, la Commission européenne n’a d’ailleurs pas fait mystère de son intention d’étendre ces prescriptions aux autres réglementations européennes concernées, au premier rang des-quelles figure la directive OPCVM.

5. Le marketing auprès de la clientèle professionnelle et la délégation de la gestion

Les dispositions les plus commentées, et sans doute les plus controversées, de la directive AIFM concernent les règles en matière de marketing auprès de la clientèle professionnelle de l’UE27. Une innovation bienvenue réside dans la possibilité pour les gérants alternatifs soumis à la directive de de-mander un passeport permettant une commercialisation facilitée auprès des investisseurs professionnels de l’ensemble des pays membres de l’UE, selon une philosophie et un modèle similaires à ceux appliqués dans la directive OPCVM pour les investisseurs grand public. Au moment où la directive AIFM aura été transposée dans le droit national des Etats membres, soit d’ici juillet 201328, cette possibilité ne sera offerte dans un premier temps qu’aux gérants alternatifs domiciliés dans l’UE, pour des fonds eux-mêmes sis dans l’UE. La directive prévoit que ce passeport pourrait être étendu à partir de 2015 aux gérants domiciliés dans des pays tiers, respectivement aux fonds sis dans des pays tiers29. On est toutefois loin d’être sûr qu’une telle extension du passeport puisse se concrétiser car elle suppose le respect de différentes exigences qualitatives complémentaires par les entités concer-nées, respectivement leurs pays de domicile. En réalité, rares seront sans doute ceux qui, au sein de l’industrie de la gestion collective, orienteront leur stratégie commerciale sur la base de paramètres réglementaires aussi incertains. Pour ne pas subir de handicaps compétitifs majeurs, les gérants domiciliés dans des pays tiers qui s’adressent à la clientèle professionnelle de l’UE devront envisager d’y transférer des ressources de gestion, respective-ment le domicile des véhicules collectifs qu’ils gèrent. Les gérants des pays tiers escomptent toutefois que ce transfert demeurera partiel et que, sur une base de délégation de l’activité de gestion (asset management), il sera pos-sible d’exercer un certain nombre d’activités de gestion depuis la Suisse.

27 Chapitre VII directive AIFM.

28 Art. 66 directive AIFM.

29 Art. 35, 37, 39 et 67 directive AIFM.

Compte tenu de l’importance de l’enjeu, les autorités politiques des pays tiers se sont dès lors fortement mobilisées pour que les possibilités de délégation des activités de gestion à des entités situées hors de l’UE ne soient pas soumises à des conditions trop draconiennes. Fait rare, à deux reprises, le secrétaire d’Etat américain au Trésor Tim Geithner a dû adres-ser une lettre à ses homologues européens les mettant en garde contre l’adoption de dispositions protectionnistes allant à l’encontre des décisions de principe du G2030, le groupe bien connu en Suisse qui réunit les princi-pales puissances économiques des pays développés et des pays émergents et dont les réunions sont fréquentes depuis 2008. De son côté, la Suisse n’est pas non plus restée inactive en effectuant différentes interventions à un haut niveau auprès des autorités politiques de l’UE. Ces efforts se sont avérés payants puisque le texte final de l’article 20 de la directive, contrai-rement à certaines versions antérieures établies par la Commission et le Parlement européen lors du processus législatif d’adoption, ne semble pas contenir d’obstacles insurmontables à la mise en œuvre d’une délégation de l’activité de gestion.

6. Les conditions pour la délégation de gestion

Etant donné l’importance stratégique de la disposition sur la délégation de l’activité de gestion et son lien avec la procédure de révision en cours de la LPCC, il vaut la peine de s’attarder un peu plus longuement sur les conditions posées pour qu’un gérant alternatif domicilié au sein de l’UE puisse déléguer des activités à un gérant situé en dehors de l’UE. Les condi-tions cumulatives fixées par l’article 20 de la directive sont au nombre de quatre, à savoir :

(i) la délégation doit reposer sur des motifs objectifs ;

(ii) le délégataire doit être une entité autorisée et surveillée dans son Etat de domicile et avoir les compétences et les ressources adéquates pour assumer les tâches qui lui sont confiées ;

(iii) le gestionnaire qui conserve la responsabilité pour les activités délé-guées doit être capable de surveiller les tâches délédélé-guées et, si néces-saire, de prendre toutes les mesures requises dans l’intérêt du fonds et de ses investisseurs ;

30 www.g20.org.

(iv) lorsque la délégation concerne des entités situées hors de l’UE, un ac-cord de coopération doit avoir été conclu entre les autorités de l’Etat du gestionnaire qui délègue et celles du pays tiers de l’entité qui bénéficie de la délégation.

Deux conditions dépendent des circonstances de chaque cas d’espèce : les conditions (i) et (iii) ci-dessus, à savoir l’existence de motifs objectifs pour la délégation et les ressources et compétences du délégateur comme du dé-légataire. Les deux autres conditions sont objectives et valent pour tous les gestionnaires de pays tiers : les conditions (ii) et (iv) ci-dessus, à savoir le fait que le délégataire doit être, dans son pays de domicile, autorisé et surveillé par l’autorité de surveillance compétente ainsi que l’existence d’un accord de coopération entre les autorités de surveillance des Etats concernés. Dans la perspective suisse, cela signifie que seules les entités au bénéfice d’une licence de la FINMA pourront être destinataires d’une délégation de gestion donnée par un gestionnaire européen et qu’il faudra que la FINMA ait conclu des accords de coopération avec ses homologues européens.

7. Les mesures d’exécution en cours d’élaboration

Les conditions précises pour la conclusion des accords de coopération entre autorités de surveillance comme de nombreux autres éléments re-latifs à l’application de la directive AIFM seront décidés dans le cadre des mesures d’exécution de la directive, actuellement en cours d’élaboration au sein de l’UE31. Le contenu de ces mesures, qui sera connu dans le cou-rant de l’année 2012, revêtira évidemment une importance considérable pour l’industrie comme pour les autorités des pays tiers qui, d’une manière ou d’une autre, devront prendre en compte le contenu de ces dispositions dans le cadre de leur propre réglementation nationale.

31 L’ESMA a publié le 16 novembre 2011 ses propositions de mesures d’implémentation de la directive AIFM sous la référence ESMA 2011/379, www.esma.europa.eu.

IV. La révision de la LPCC : synthèse des propositions du Conseil fédéral