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La présomption en faveur du transfert aux fins de garantie des cédules hypothécaires (de registre ou “sur papier”)

nouveAutés en mAtière De Droits De gAges immobiliers

A. La présomption en faveur du transfert aux fins de garantie des cédules hypothécaires (de registre ou “sur papier”)

(art. 842 CC)

La modification la plus frappante concernant les dispositions applicables aux deux formes de cédules hypothécaires résulte de l’art. 842 CC. Cette disposition rappelle tout d’abord – ainsi que le faisait l’ancien art. 842 – que “la cédule hypothécaire est une créance personnelle garantie par un gage immobilier” (art. 842 al. 1 CC). Cette créance, c’est la créance

“ cédulaire”78 (ou créance “abstraite”)79 ; la loi l’appelle “créance résultant de la cédule”80.

Or, il se trouve que les parties recourent généralement à la cédule hy-pothécaire pour garantir une autre créance81, appelée créance “de base”82 (ou créance “causale”83). Et se pose alors la question de la relation entre la créance cédulaire et la créance de base qui existe en principe entre les par-ties. L’ancien droit prévoyait à l’art. 855 al. 1 que la constitution de la cédule hypothécaire éteignait (sauf convention contraire) la créance de base.

Le nouveau droit prévoit la solution inverse ; l’art. 842 al. 2 CC dispose en effet que “sauf convention contraire, la créance résultant de la cédule hypothécaire coexiste, le cas échéant, avec la créance à garantir issue du rapport de base entre le créancier et le débiteur”. En d’autres termes, le créancier qui acquiert la cédule hypothécaire devient certes titulaire de la créance cédulaire et de la cédule elle-même. Mais il ne s’agit pas d’une acquisition pure et simple : le but poursuivi par les parties est de garantir la créance de base, qui subsiste ; il s’agit d’une acquisition à titre fiduciaire, aux fins de garantir la créance de base.

Le nouveau droit “officialise” donc le transfert aux fins de garantie des cédules hypothécaires. Le législateur a tenu compte du fait que, sous l’an-cien droit déjà, les parties ne voulaient pas la novation prévue par l’anl’an-cien

78 Cf. notamment : ATF 136 III 288/292. Steinauer, Les nouvelles dispositions, p. 270.

79 ATF 136 III 288/291.

80 Cf. l’art. 842 al. 2 CC. Voir aussi les art. 842 al. 3, 846 al. 1 et 2, 848, 849 al. 2 et 863 al. 1 CC. Voir en outre l’art. 853 al. 1 CC “dette contenue dans la cédule”.

81 Cf. Steinauer, Les nouvelles dispositions, p. 270.

82 ATF 136 III 288/291. Steinauer, Les nouvelles dispositions, p. 273.

83 ATF 136 III 288/291. Piotet, La nouvelle cédule, p. 4.

art. 855, mais bien la coexistence des deux créances. Tenant compte de cette pratique, le législateur a en quelque sorte posé à l’art. 842 al. 2 CC la présomption de l’utilisation à titre fiduciaire des cédules hypothécaires84, les parties étant naturellement libres de convenir du contraire.

En d’autres termes, le créancier est bien pleinement titulaire de la cé-dule et, en particulier, de la créance cédulaire. Mais, dans les rapports in-ternes, envers celui qui lui transfère la cédule, il s’engage à ne pas faire de celle-ci un usage qui aille au-delà de ce que requiert la garantie de la créance de base, qui est la créance de référence85.

L’art. 842 al. 2 CC a pour conséquence que les parties sont liées par un rapport de fiducie sans même en être expressément convenues86. Cela étant, si la loi pose le principe du transfert à titre fiduciaire, elle n’en règle les conséquences que de façon lacunaire87. Il importe donc que les parties passent une convention de fiducie pour compléter le régime juridique à peine esquissé par le législateur.

C’est dans cette convention – qui n’est pas soumise au respect d’une forme particulière (art. 11 al. 1 CO)88 – que les parties indiqueront quelle est la créance de base (ou, bien souvent, les créances de base) que la cé-dule est destinée à garantir89. C’est également dans cette convention que l’on précisera l’étendue des droits du créancier dans les rapports internes, notamment à quelles conditions il est en droit d’aliéner la cédule reçue en garantie et à quelles conditions il doit la restituer au fiduciant90. La convention de fiducie peut naturellement contenir encore de nombreuses autres stipulations.

Cela étant, il convient de souligner que l’art. 842 al. 3 CC règle un as-pect de l’absence de novation résultant de l’art. 842 al. 2 CC : il prévoit que

84 Cf. notamment : Steinauer, Les nouvelles règles, p. 357 ; Steinauer, Les nouvelles dispositions, p. 283 ; Staehelin, n. 43 ad art. 842 ; Staehelin, p. 213. Voir aussi : Message, p. 5053 ; Zobl / Thurnherr, Syst. T., n. 1501 ; Piotet, La nouvelle cédule, p. 4 ; Pfaffinger, p. 250 ; Gammeter, p. 140 s.

85 Cf. par exemple : Steinauer, Les nouvelles dispositions, p. 285 ; Steinauer, La nou-velle réglementation, p. 67 ; Staehelin, n. 50 ad art. 842 ; Staehelin, p. 211 ; Haas, p. 298 ; Pfaffinger, p. 255 ; Foëx, Le nouveau droit, p. 5.

86 Cf. Steinauer, Les nouvelles règles, pp. 281 et 283 s. ; Staehelin, n. 53 ad art. 842.

87 Cf. Steinauer, Les nouvelles dispositions, p. 283.

88 Message, p. 5053 ; Steinauer, Les nouvelles règles, p. 357 ; Steinauer, Les nouvelles dispositions, p. 284 ; Staehelin, n. 53 ad art. 842 ; Gammeter, p. 134.

89 Cf. Staehelin, n. 53 ad art. 842.

90 Cf. Steinauer, Les nouvelles règles, p. 281 ; Gammeter, p. 133 s.

le débiteur (de la créance cédulaire91) “reste libre, s’agissant de la créance qui résulte de la cédule, de faire valoir les exceptions personnelles issues du rapport de base”. C’est logique : le débiteur doit pouvoir faire valoir les exceptions découlant du fait que la cédule hypothécaire n’a été transférée qu’aux fins de garantir la créance de base. Il peut donc invoquer les excep-tions relatives à la créance de base (absence de créance garantie, paiement total ou partiel, etc.) ainsi que celles résultant de la convention de fiducie (conditions de la réalisation non [encore] réunies, etc.)92.

L’art. 842 al. 3 CC prévoit en outre que le débiteur peut également faire valoir ces exceptions envers les “successeurs” du créancier, s’ils ne sont pas de bonne foi. En d’autres termes, le débiteur de la créance cédulaire peut opposer les exceptions relatives à la créance de base ou découlant de la convention de fiducie à un éventuel cessionnaire (ou autre acquéreur à titre particulier) de la cédule hypothécaire, s’il n’est pas de bonne foi93.

Se pose ici la question de la bonne foi du tiers cessionnaire : celui qui est sur le point d’acquérir une cédule hypothécaire de Frs 500 000 ins-crite au registre foncier peut-il se fier aux indications du registre foncier s’agissant du montant de la créance garantie ? La réponse est a priori po-sitive, puisque la créance garantie bénéficie de la foi publique du registre foncier94. Mais, compte tenu de la présomption ancrée à l’art. 842 al. 2 CC, cet acquéreur ne doit-il pas partir du principe que le titulaire inscrit ne l’a acquise qu’à titre fiduciaire, aux fins de garantie ? Doit-il dès lors deman-der à l’aliénateur s’il a reçu la cédule aux fins de garantie et, dans l’affirma-tive, quel est le montant (actuel) de la créance de base ?

S’il s’abstient de poser ces questions en acquérant la cédule, peut-on lui reprocher de ne pas avoir prêté l’attention commandée par les circons-tances (art. 3 al. 2 CC) en restant silencieux nonobstant la présomption légale en faveur du transfert fiduciaire, de telle sorte que l’exception tirée du fait que le montant de la créance est en réalité inférieur à Frs 500 000 lui est opposable par l’effet de l’art. 842 al. 3 CC ?

91 Cf. Steinauer, Les nouvelles règles, p. 286.

92 Cf. notamment : Message, p. 5053 ; Steinauer, Les nouvelles règles, p.  287 s. ; Staehelin, n. 65 ad art. 842 ; Pfaffinger, p. 258 s. ; etc.

93 Steinauer, Les nouvelles règles, p. 286 (qui souligne que les exceptions peuvent être opposées au successeur à titre universel même s’il est de bonne foi) ; Staehelin, n. 66 ad art. 842. Voir aussi Pfaffinger, p. 260 ss.

94 Art. 848 CC. Cf. supra, III.B.

La réponse dépend en définitive de l’effet de la présomption de l’art. 842 al. 2 CC sur la bonne foi de l’acquéreur95. Il en va (par exemple) de même de la question de savoir si le débiteur peut se prévaloir envers le tiers acquéreur d’une clause du contrat de fiducie restreignant la cessibilité de la cédule hypothécaire96. A priori, il semble bien que l’acquéreur d’une cédule hypothécaire (du nouveau droit97) doit désormais présumer l’exis-tence d’une créance de base et d’un rapport de base, ce qui le contraint à se renseigner sur leur contenu98. C’est un résultat curieux, si l’on tient compte du fait que la bonne foi est elle-même présumée (art. 3 al. 1 CC)99 et du fait que l’inscription d’une cédule hypothécaire est censée bénéficier de la foi publique du registre foncier100.

B. Les intérêts garantis par la cédule hypothécaire (art. 818 al. 1 ch. 3 CC)

Comme sous l’ancien droit, l’art. 818 al. 1 ch. 3 CC débute par l’affirmation du principe que le gage immobilier garantit au créancier “les intérêts de trois années échus au moment de l’ouverture de la faillite ou de la réquisi-tion de vente et ceux qui ont couru depuis la dernière échéance”. Mais le législateur a ajouté la précision suivante : “la cédule hypothécaire ne ga-rantit au créancier que les intérêts effectivement dus”.

Le nouveau droit s’écarte ainsi de la jurisprudence du Tribunal fédéral, qui permettait au créancier gagiste de faire valoir des intérêts calculés en fonction de la créance cédulaire et au taux applicable à celle-ci, même si les intérêts convenus pour la créance de base étaient en réalité inférieurs101. En d’autres termes, le créancier pouvait faire valoir dans la poursuite des

in-95 Cf. Steinauer, Les nouvelles dispositions, p. 287.

96 Cf. à ce propos Foëx, La cédule, p. 356 s.

97 Cf. Piotet, La nouvelle cédule, p. 13 (qui réserve le cas où la cédule de registre est issue d’une transformation simplifiée d’une cédule de l’ancien droit ; voir cependant supra, III.F).

98 Cf. Piotet, La nouvelle cédule, p. 4 ; Staehelin, n. 67 ad art. 842 ; Staehelin, p. 212 s. ; voir aussi : Foëx, La cédule, p. 356. Laisse la question ouverte : Steinauer, La nouvelle réglementation, p. 68 ; voir aussi : Steinauer, Les nouvelles dispositions, p. 287. Contra : Pfaffinger, p. 261 s. ; Weiss p. 160.

99 Cf. Staehelin, n. 67 ad art. 842 ; Staehelin, p. 212.

100 Cf. Weiss, p. 160.

101 Cf. ATF 115 II 349, JdT 1992 II 34.

térêts “abstraits”102, n’existant que “comptablement, mais qui n’en sont pas matériellement”103.C’était une sorte de “coussin de sécurité”, qui procurait au créancier une augmentation du montant total garanti par son gage, aux fins de couvrir la créance de base.

La loi entend désormais priver le créancier de cette réserve de garantie : le créancier cédulaire ne peut plus faire valoir que les intérêts “effective-ment dus (jusqu’à hauteur du taux d’intérêt maximal inscrit au registre foncier)”104 : c’est donc le taux effectivement appliqué par les parties (en principe, pour la créance de base105) qui est déterminant.

Il est admis qu’il s’agit là d’une règle de droit impératif106, qui est ap-plicable tant aux cédules créées sous l’ancien droit qu’à celles constituées après l’entrée en vigueur du nouveau droit107.

Cette modification législative amènera probablement les créanciers à se montrer moins patients lorsqu’il s’agit de dénoncer la créance cédulaire au remboursement108 : la doctrine soutient en effet qu’il résulte du nou-vel art. 818 al. 1 ch. 3 CC que la cédule hypothécaire (faisant l’objet d’un transfert aux fins de garantie) ne produira désormais d’intérêts garantis par l’immeuble qu’à partir de la dénonciation109.

Le nouveau droit conduit ainsi au résultat curieux (et peu conforme à l’exigence posée à l’art. 846 al. 1 CC) que c’est en principe le taux d’in-térêt applicable à la créance de base qui sert de référence pour calculer les intérêts produits par la créance cédulaire ; en d’autres termes, ce sont en quelque sorte les intérêts dus en vertu de la créance de base qui sont garantis par l’immeuble110. Cela ne devrait pas empêcher les parties de

102 Message, p. 5049.

103 ATF 115 II 349/360, JdT 1992 II 34/49.

104 Message, p. 5050.

105 Cf. Steinauer, La nouvelle réglementation, p. 67, note 51 ; Gammeter, p. 152 ; Foëx, Le nouveau droit, p. 8.

106 Piotet, La nouvelle cédule, p. 10 ; Staehelin, n. 19 ad art. 846 ; Staehelin, p. 220 ; Haas, p. 299 ; Schmid, 2012, p. 215.

107 Cf. D. Piotet (La nouvelle cédule, p. 14), qui se réfère à cet égard aux art. 26 al. 2 et 17 al. 2 Tit. fin. CC. Voir aussi : Staehelin, n. 19 ad art. 846 ; Staehelin, p. 220 ; Haas, p. 299 ; Schmid, 2012, p. 215.

108 Gammeter, p. 151.

109 Cf. Steinauer, La nouvelle réglementation, p. 67, note 51 ; Gammeter, p. 151. Voir toutefois infra, appel de note 112.

110 Cf. Gammeter, p. 152. Voir aussi D. Staehelin (p. 221), qui souligne avec raison qu’il peut en résulter des difficultés pratiques si la cédule hypothécaire a été transférée aux fins de garantir plusieurs créances de base, produisant des intérêts de taux différents.

convenir que, dès la dénonciation, la cédule produira des intérêts au taux inscrit au registre foncier (ou à un autre taux qu’elles auront choisi) : ces intérêts ainsi convenus sont “effectivement dus” et, partant, garantis par l’immeuble111. De même, les parties devraient pouvoir valablement conve-nir que la créance cédulaire produira des intérêts dès la constitution de la cédule hypothécaire (et non pas seulement à compter de la dénonciation au remboursement)112.

Alternativement, certains créanciers choisiront peut-être d’utiliser la cédule hypothécaire comme “gage maximal”, en renonçant aux intérêts cédulaires et en augmentant en conséquence la créance cédulaire, aux fins d’obtenir une couverture suffisante pour la créance de base113.