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LA LECTURE DU MANUSCRIT DE MARINUS

1.2 LES RATURES

1.2.1 Les substitutions, ou « le jardin des épithètes »

1.2.1.3 La substitution de correction

Il arrive bien entendu qu’à l’écoute de la voix du souffle intérieur, Claude Louis-Combet lors de la rédaction commette quelques très rares fautes, qu’une relecture attentive élimine de la première épreuve. Notons que l’écrivain, une fois achevée son unique relecture, ne désire plus changer son texte. Claude Louis-Combet ne fait pas partie de ces écrivains qui retouchent, transforment, modifient jusqu’à leur mort leurs textes, occasionnent des leçons différentes selon les différentes éditions. Une fois sorti de lui, Louis-Combet estime que le texte ne lui appartient plus, et n’est plus vivant en lui. Il confie à sa compagne et complice, Mireille Gerschwiler, le soin de confronter les épreuves éditoriales et le ms original. Lorsque Corti lui propose de rééditer des ouvrages épuisés, et lui demande une préface originale, Claude Louis-Combet l’écrit sans même relire ses récits composés vingt ans auparavant47.

émouvoir : mosaïques, fresques, icônes » (cf. André Grabar, La Peinture byzantine, Etude historique et critique, Skira 1953, p. 34). Par ailleurs, dans une note documentaire des marginalia (f. 24 du dossier des « Sources », Annexes II), le mot « mosaïque » apparaît dans une énumération qui décrit Byzance : « Byzance : vastes fenêtres, baies rectangulaires façades colorées, toit, de tuiles rouges mosaïques. »

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Louis-Combet corrige à travers des substitutions différées le faux usage qu'il a pu faire d'un terme. Pour être exact, ce sont rarement des emplois faux d’un terme mais plutôt déviés par des raisons d’effet. Et nous allons voir que le romancier préfère le plus souvent la justesse de la langue française à l’effet. Au folio 40, « s'acheminer en » est remplacée par « s'acheminer jusqu'à » : « Je songeais à la multitude et à la diversité des allées et venues qui m'avaient acheminé exactement, inéluctablement, [en] < jusqu'à > ce point précis où mon amour, à présent, se renversait. » En outre, « dans la proximité […] du mystère » se substitue à « dans la proximité […] avec le mystère », (f. 398). Fidèle à sa volonté de ciseler la langue française, éprouvant pour elle infiniment de respect, l’écrivain choisit le plus souvent la justesse de la syntaxe à l’effet poétique. Ajoutons qu'une autre correction d'usage est repérable au folio 360, où l’écrivain emploie « lui-même » pour désigner « l'attrait exercé par le désert » alors qu'en principe « lui- même » est propre aux sujets humains, d'où la correction ultérieure par « soi » : « En un sens, il était facile de demander si l’attrait exercé par le Désert, parmi toute l’imagerie des rêves, représentait en [lui-même] < soi >, un signe évident de vocation religieuse. »

Nous distinguons davantage les corrections relatives à l'usage des adverbes ou locutions temporelles. Prenons l'exemple du folio 109, l’écrivain réalise son erreur lorsqu'il écrit «aujourd'hui » en évoquant le passé et le corrige par « ce jour-là » : « Cependant, je ne me tenais pas à l'extérieur de cette sphère d'intimité vitale (dont le terme de ventre n'exprime qu'une maladroite approximation) qui, [aujourd'hui] < ce jour-là >, [se mouvait] < paraissait se mouvoir> avec l'aisance infaillible et délicate des grands somnambules. » Un autre exemple figure au folio 597 : « A présent » est supprimé et remplacé par « peu à peu » pour sauver la phrase d'une erreur d'énonciation. En effet, « A présent » représente le moment où l'on parle. L’écrivain se trompe momentanément mais il reconnaît que le moment de l'écriture n'est pas celui où se déroulent les événements. « A présent » désigne le temps vécu par Marina, et il préfère une temporalité plus floue, plus imprécise : « [A présent] < peu à peu >, elle [cessait] <cesserait > d'éprouver l'originalité de son sexe. Son corps avait définitivement perdu son droit à la tendresse et à l'amour. » De la même façon, l’imparfait est remplacé par le conditionnel, pour accentuer encore l’imprécision temporelle de l’ensemble. Si l’énonciation temporelle est à dessein si imprécise, c’est que le récit doit s’accorder avec une temporalité légendaire.

Parfois, l'auteur utilise des mots qui n'existent pas dans la langue française et fait même usage de l’hapax. Sans doute est-ce sa façon de rendre hommage aux infinies possibilités de la

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langue française, qui pour lui est dotée d’un pouvoir de création. Considérons la phrase suivante: « Ce que j'aimais, au contraire, et recherchais comme la répétition prolongée et parfaitement élaborée du plus ancien vécu de la plus ancienne enfance, c'était l'absence au temps dans [l'illimitation] < l'extension infinie > de la durée. » (f. 213). A la relecture, cet hapax ne lui a pas paru assez heureux pour le conserver. De même, Claude Louis-Combet utilise l'adverbe « impossiblement » puis, jugeant l’hapax surnuméraire par rapport à celui qui existe sur le terme « pacifiante », le remplace immédiatement par « excessivement » :

Et je me trouvais épris de la présence des eaux, de leur bienheureuse coulée, de leur essence pacifiante, selon le même amour qui me liait à moi-même à travers l'image de Salomé – comme si (et c'était bien ainsi) un trop plein de féminité, [impossiblement] < excessivement > retenu et comprimé, jaillissait hors de moi, existait devant moi, sous ma main, sous mon visage et mon regard […]. (f. 428).

Ce ms de Claude Louis-Combet révèle donc, malgré sa relative netteté, quelques transformations qui parlent pour le rapport particulier de l’écrivain à la langue qu’il emploie ; elle est pour lui une source inépuisable de beautés, de création ; il en respecte les difficultés ; il les maîtrise. Et s’il cède parfois à l’effet poétique ou à l’hapax, il n’abuse pas de ces techniques, leur préférant la parfaite justesse de la langue.