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LA LECTURE DU MANUSCRIT DE MARINUS

1.3 CONFRONTATION DU MANUSCRIT AVEC LES DEUX ÉDITIONS PUBLIÉES DE MARINUS ET MARINA (1979,

1.3.1 Comparaison des deux éditions

Malgré les petits changements relevés entre les deux éditions, le texte de la mythobiographie est resté intact. Une fois le texte rédigé d’un seul souffle, l’auteur ne touche plus à son écrit. Il a réédité son ouvrage sous la demande de l’éditeur Corti (MM étant chez Flammarion) et non pour modifier ou changer son texte. Néanmoins, des différences sont à noter dans le paratexte, dans le remaniement de la quatrième de couverture comme dans la postface.

1.3.1.1 La mention générique « roman » de 1979

Chez Flammarion, la mention générique « roman » figure sur la première page de couverture (Illustration n°24). La réédition Corti ne mentionne plus cette indication générique

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La maison Flammarion a cédé ses droits à Corti gracieusement, et a permis à l’éditeur qui suit Claude Louis- Combet avec beaucoup d’attention et même d’amitié d’offrir des publications nouvelles des éditions épuisées. Corti a réédité trois textes épuisés chez Flammarion Infernaux Paluds, Voyage au centre de la ville et Mère des Croyants, en 2009 dans un même volume.

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(Illustration n°25) pas plus qu’elle ne mentionne celle de « mythobiographie ». Cette mention générique est par contre nuancée dans le « prière d'insérer » du ms où Louis-Combet signale la présence de ce qu’il appelle « mythobiographie » sans la nommer directement :

[…] A quoi tente (vainement ?) d'échapper le narrateur, en s'efforçant de [revivre] < retrouver > les racines mythiques de sa biographie. La légende, avec tout ce qu'elle met en jeu de rêve et de rêverie, de fantasmes et de fantasmagories, s'ouvre alors comme le miroir de l'intériorité dont l'histoire ne saurait être que le lieu des retombées prosaïques, insignifiantes.

Le concept de mythobiographie a été théorisé après 1979 par Claude Louis-Combet, notamment en 1997 dans un article intitulé « Le recours aux mythes et l'hagiographie perverse », confié à la

Revue des Sciences Humaines :

Dans l'idée de mythobiographie il faut élever à la hauteur d'un principe l'identification du narrateur au personnage dont il revisite la destinée onirique, fantasmatique, mythologique, en sorte que le personnage de légende s'impose et est traité comme le Double du narrateur – et ce Double est toujours le féminin du masculin. Et le mythe, la légende, voire même les sources historiques, […], comme ce fut le cas avec Antoinette Bourignon, fonctionnent comme un complexe jeu de miroirs dans lequel le narrateur, impliqué dans son récit, dessine peu à peu, et reconnaît sinon sa face du moins la zone d'ombre dans laquelle celle-ci tient son refuge. En cette manière, la vocation autobiographique n'est aucunement trahie. Elle est seulement déplacée. Délaissant le canton d'histoire que le temps lui a assigné, elle s'investit entièrement en un territoire d'imaginaire collectif comme au lieu proprement dit de ses racines. 58

En 2003 Corti demande à Louis-Combet une postface « Du fond de l'ambiguïté, j'ai crié

vers toi, Seigneur », que l’écrivain compose sans relire son texte de 1979. Cette postface peut à

bon droit figurer comme un testament littéraire et poétique de Claude Louis-Combet sur la mythobiographie, qu’il n’a cessé de théoriser dans les années 1990-2000, au moment d’écrire

L’Âge de Rose ou Les Errances Druon. Cette postface de 2003 sert donc de conclusion à la

définition de la mythobiographie par son créateur :

[…] Texte de fiction, inspiré d'une biographie légendaire ou mythologique, laquelle sert de révélateur à l'existence historique du narrateur, ou scripteur, ou homme de texte, dès lors aspiré autant qu'inspiré par le récit et tenu de s'y introduire et de s'y confronter comme personnage de

58 Claude Louis-Combet, « Le recours aux mythes et l'hagiographie perverse », in Revue des Sciences Humaines, n°

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roman, mais aussi comme témoin, sans perdre de vue, toutefois, qu'il est le maître de l'œuvre et en détient l'entière responsabilité esthétique. (p. 389-390.)59

Il se peut aussi que Louis-Combet lui-même n’ait pas souhaité insérer le mot « mythobiographie » sur la couverture de Corti parce qu’il refuse effectivement de la considérer comme un nouveau genre littéraire : « […], mythobiographie ne désigne pas un genre littéraire, un nouveau nouveau roman. C'est une expérience intérieure. »60 Nous savons que l’auteur

n’apprécie pas de s’engager dans les écoles, les courants. Modestie donc plus que frilosité.

1.3.1.2 La postface de 2003

La postface constitue une différence majeure entre l'édition Flammarion et la réédition Corti. Elle contient plusieurs éléments importants qui renseignent le lecteur sur plusieurs points fondamentaux de la mythobiographie. Louis-Combet explique le motif et l'origine de son projet. En effet, la découverte de la légende de sainte Marine inspire l’auteur :

Jamais je n'ai éprouvé aussi impérieusement la nécessité de recourir à l'écriture que dans l'instant où découvrant, par pur hasard de lecture, quelques lignes qui résumaient la légende de sainte Marina, j'ai compris soudain que cette vieille trame romanesque et hagiographique des premiers temps chrétiens m'offrait, avec ses ombres et ses lumières, l'écran de projection pour l'histoire mêlée de mon cœur. (p. 389).

Le mythe est « l'illumination intellectuelle » (p. 390) qui incite l’écrivain à élaborer un ouvrage où son histoire individuelle se combine avec le modèle légendaire. Relevons cette image intéressante de « l’écran », du jeu « ombres et lumières » qui évoque la peinture du clair-obscur pour laquelle le romancier a tant d’attrait. Le roman n’est plus perçu, vingt cinq ans après, que comme un tableau qui va savoir faire jouer les contrastes dont l’auteur se dit plein. Par ailleurs Louis-Combet découvre, à travers l’histoire de la sainte, que la figure de l'Androgyne joue un rôle éminent dans sa vie intérieure : « J'ai compris que la figure de l'Androgyne qui m'avait atteint, vingt ans plus tôt, à la lecture du Banquet de Platon, était autre chose qu'un oripeau archéologique ou décadent, mais qu'elle formait plutôt l'horizon de l'âme psychique vers le centre duquel tous les désirs se pressent. » (p. 390). En outre, cette postface revient sur la poétique de la mythobiographie et en définit les missions, au demeurant toutes tournées vers l’instance

59 Tous les exemples de MM sont extraits du roman réédité chez José Corti en 2003. 60 Ecrire de langue morte, op. cit., p. 44.

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auctoriale. Elle signale l’importance de l’écriture dans sa quête de l’unité originelle. L'écriture est le moyen de rejoindre sa part féminine ou l'essence féminine de son être. « L'écriture était la méthode par laquelle s'opérait cette mutation. » (p. 390). De plus, elle est considérée comme un événement crucial dans la carrière de l’écrivain : « La rédaction de Marinus et Marina m'apparaît, à vingt-cinq ans de là, comme un moment charnière dans mon parcours d'écrivain et dans mon développement intérieur […]. » (p. 391). Elle permet davantage à l’auteur de retourner à la lecture des auteurs spirituels qu’il a abordée pendant les années de sa formation religieuse et de les apprécier beaucoup plus que par le passé, pour leur faculté d’être poétiques, excessifs. Le merveilleux chrétien l’impressionne beaucoup plus encore que le merveilleux païen :

Marinus et Marina m'amena à redécouvrir la spiritualité des Pères du désert dont je n'avais aperçu

jadis, que les aspects pittoresques et les provocations intempestives. Je subis très fortement la séduction des récits hagiographiques. Je voyais et continue à voir, en eux, un réservoir inépuisable de situations extraordinaires, de comportements extravagants, d'émotions et de sentiments excessifs – bref, le refuge, le dernier refuge peut-être, le moins exploité, de l'existence poétique, proche souvent de la folie et de la subversion des valeurs socialement admises : un luxe d'expressions de la vie, dont les Surréalistes, bornés d'anticléricalisme, n'avaient rien soupçonné. (p. 391).

Ce passage propose une définition des mécanismes de cette mythobiographie. En effet, Louis- Combet précise que les chapitres s’alternent entre le récit autobiographique du narrateur et le récit légendaire de la jeune Bithynienne :

Le récit tiré de cette étrange expérience d’identification indéfiniment approchée et voisine de la dépersonnalisation s’est construit, de façon très empirique et purement intuitive, par alternance de chapitres consacrés les uns aux données (revisitées) de la légende, les autres aux réminiscences autobiographiques (réévaluées) du narrateur. Fondamentalement, ce sont deux histoires qui se répliquent en vis-à-vis, à quinze siècles de distance. (p. 391-392).

La postface de 2003 semble donc un guide de lecture destiné au lecteur. Louis-Combet avoue par ailleurs que ce schéma lui a été inspiré par Là-Bas de Huysmans61. La postface se révèle effectivement comme une sorte d’éclaircissement du texte, de sa poétique et de ses missions. La

61 Le roman de Huysmans est un récit alternatif. Il est découpé en chapitres. Chaque chapitre est consacré à un sujet.

En réalité le roman est partagé entre deux récits, celui du narrateur-romancier Durtal avec ses amis ou avec son amante Mme de Chantelouve et celui consacré à Gilles de Rais, ce seigneur médiéval, lui-même personnage d’un roman que Durtal compose. Par exemple, le chapitre IV se réserve à Gilles De Rais et le chapitre V entame une discussion de Durtal avec ses amis sur le satanisme.

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légende bithynienne est une sorte de projection du premier récit, celui du narrateur. La double identité de Marinus-Marina fascine l’écrivain toujours à la recherche de la complétude originelle. Un tel paratexte, absent de l’édition de 1979, sert donc de clés de lecture pour le lecteur pour la critique, qui y saisit la vocation esthétique du romancier comme la vocation picturale du roman.

1.3.1.3 Remaniement du « Texte pour la couverture »

Pour la réédition de 2003, Claude Louis-Combet a désiré apporter quelques légers changements dans le « texte pour la couverture ». Corti qui publie Claude Louis-Combet depuis trois décennies, n’a plus besoin de le présenter, et la notice biographique qui était présente en 1979 disparaît presque naturellement :

Claude Louis-Combet, né en 1932 à Lyon, a déjà publié aux éditions Flammarion quatre romans ou récits dont TSÉ-TSÉ (1972), VOYAGE AU CENTRE DE LA VILLE (1974) et un recueil d'essais : L'ENFANCE DU VERBE (1976). Il est également le traducteur d'œuvres d'Erik Erikson et d'Otto Rank.

Le deuxième changement consiste à modifier la phrase suivante : « Après sa mort, l'Église la canonisa sous le nom masculin de Marinus. » qui se transforme en 2003 en : « Après sa mort, l'Église la canonisa et elle fut honorée indistinctement ici sous le nom masculin de Marinus et là, sous le féminin de Marina. » Les mots soulignés n’apparaissent pas dans la quatrième de couverture en 1979, ni dans l’état ms. Ce léger changement a pour fonction d’insister sur la double nature de la sainte et lui restitue sa double identité masculine et féminine, là où le texte de 1979 ne mentionnait que le côté masculin et négligeait la féminité de Marina. En outre, la version de 2003 valorise Marina en employant le mot « honorée », et en l'honorant non seulement dans le monastère d'hommes mais aussi dans son pays natal, la Bithynie. En effet, «ici» désigne le « monastère d'hommes » et « là » désigne « la Bithynie chrétienne ».

Les rares changements ont donc pour fonction essentielle d’insister sur l’androgynie de la sainte, mettant l’accent sur la problématique qui traverse l’œuvre de Claude Louis-Combet.

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