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LA LECTURE DU MANUSCRIT DE MARINUS

1.1 MATÉRIALITÉ DU MANUSCRIT

1.1.2 Signification des encres

1.1.2.1 Encre noire

Du Moyen Âge à nos jours, l’outil d’écriture des écrivains a évolué. Au Moyen Âge, les écrivains écrivaient souvent avec la plume d’oiseau et plus précisément la plume d’oie qui restait jusqu’au XIXe

siècle l’instrument d’écriture préféré de l’écrivain à l’exception d’Alexandre Dumas qui s’attachait à la plume d’acier. Pourtant, l’invention de l’Américain Waterman marque la fin de cet usage et inaugure le passage de la plume d’oiseau au stylo à plume assurant ainsi à l’écrivain un grand confort :

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C'était sans doute un vieux rêve de l'écrivain : pouvoir écrire à l'encre partout et à tout moment, sans traîner avec lui un encrier et sans devoir continuellement tremper la plume dans l'encre. […] ; en 1888, l'Américain Louis Edson Waterman fonda une entreprise pour la fabrication industrielle de stylos à plume ; d'autres marques furent bientôt créées dans le Nouveau et l'Ancien Monde. Largement diffusé, ce stylo remporta un grand succès. Il fut sans doute l'outil le plus efficace que l'écrivain ait jamais eu à sa disposition jusqu'alors.27

A la veille de la Seconde Guerre Mondiale, une nouvelle invention des frères hongrois Ladislao et Georges Biro, le stylo à bille, rompt avec la tradition de la plume pour faire du stylo un nouvel outil de l’écrivain. Mais notons que Claude Louis-Combet préfère indiscutablement la sensualité de l’encre, de la plume, à la rudesse du stylo. Rarement, il écrit avec un stylo à bille. Quant à la couleur d’encre privilégiée des écrivains nous constatons que du Moyen Âge à nos jours, en Europe, l'encre la plus répandue est restée l'encre noire. « En observant les manuscrits des écrivains occidentaux, on est frappé par les multiples nuances des encres, noires à l'origine : une gamme qui va du brun foncé au gris pâle, en passant par des tons rougeâtres. »28 Claude Louis- Combet a rédigé son texte avec une encre noire, intégrant un usage largement répandu. Dans le texte autographe de MM, nous remarquons également des nuances dans le noir. Par exemple, dans un même folio, nous dégageons deux niveaux d'encre, une encre noire et une autre, mais d'un noir plus foncé. Au folio 78, une encre noire plus foncée commence à partir de «j'en faisais» (Illustration n°7). De même, au folio 213 une encre noire plus foncée apparaît dans le deuxième paragraphe (Illustration n°8). Ce changement d'encre est consécutif à un simple changement de cartouche. Une fois la cartouche épuisée, l'auteur la change tout simplement et poursuit sa rédaction.

Plus intéressant, ces nuances d'encre noire sont visibles dans les différentes sortes de corrections que Claude Louis-Combet effectue dans son texte. Folio 33, nous distinguons deux ratures de substitution et une addition, la première substitution comme l'addition sont composées dans une encre noire plus foncée différente de l'encre de la page ; la deuxième substitution est effectuée probablement avec l’encre dominante de la page (Illustration n°9). Ce qui nous donne des indications quant au moment où Claude Louis-Combet a opéré ses corrections à la suite d’une relecture tardive, et non d’une relecture immédiate. Ces deux substitutions sont des

27 Marianne Bockelkamp, « Objets matériels », in Les Manuscrits des écrivains, op. cit., p. 93-94. 28 Ibid., p. 96.

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substitutions différées. Pour bien comprendre cette rature, nous nous fions à la définition de La

Génétique des textes :

On peut décomposer la rature de substitution en deux entités distinctes : d'une part la biffure qui met en œuvre un protocole de suppression en barrant un segment déjà écrit et, d'autre part, l'inscription d'un segment substitutif destiné à remplacer le segment barré, inscription ultérieure qui, en tant que telle, ne relève plus de la rature mais constituerait plutôt en elle-même une sorte d'ajout. D'un point de vue logique, la rature de substitution doit donc être considérée comme un processus intégré qui combine biffure et ajout. 29

La substitution différée est le contraire d'une substitution immédiate. La substitution immédiate est « [...] réalisée au fil même de l'écriture : le segment substitutif est placé sur la même ligne, à la suite du segment biffé […]. »30 Pour la rature de substitution différée, « […] le segment de substitution est placé en interligne, au-dessus ou en dessous de la biffure […]. »31 En effet, les trois corrections de cette page ne sont pas immédiates, comme en témoignent la différence de l’encre et l’emplacement du segment ajouté. Si Claude Louis-Combet corrige ultérieurement avec une encre identique à celle de la page, nous avançons l’hypothèse que cette rature est effectuée juste après la rédaction de la phrase ou de la page, ce qui explique la présence de la même nuance d'encre alors que les autres sont réalisées probablement après la relecture du ms ou celle du chapitre. Aux folios 80 et 116, les deux substitutions différées « dans l'enveloppe d' » et « travaillait » sont réalisées avec une encre noire probablement moins foncée que le reste de la page (Illustrations n°10, n°11). Ce sont des corrections effectuées tardivement comme en témoignent les différentes nuances d’encre.

Par ailleurs, nous remarquons que la plupart des corrections sont des substitutions immédiates, c'est le cas de « forçant, aurait voulu, est sur le point de, l'hexaptère » dans les folios 130 (Illustration n°12), 146 (Illustration n°13), 152 (Illustration n°14), 157 (Illustration n°15) etc. Ces substitutions immédiates sont probablement opérées juste après l’écriture de la phrase ou bien lors de la relecture de cette page.

Les substitutions immédiates sont donc aussi nombreuses que les substitutions différées, comme en témoignent les nuances ou non d’encre sur ces substitutions. Mais notons leur relative

29 La Génétique des textes, op. cit., p. 55. 30 Ibid., p. 57.

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rareté dans un ms qui se donne à lire d’un souffle, comme il fut écrit. Nous aurons ailleurs à nous interroger sur la nature de ces substitutions, qui bien souvent répondent à une recherche musicale de la phrase.