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Thomas fait encore la démonstration que Dieu n’est pas même déterminé à la catégo- rie de la substance. D’abord, Dieu ne peut être dit une substance, parce que le nom « substance » est imposé selon ce qui se trouve sous quelque chose66. On peut en-

tendre la formule dans le sens où elle signifie que la substance se trouve sous un genre. Cependant, comme l’indiquent le deuxième argument en sens contraire et les développements antérieurs quant à l’indétermination divine, Dieu n’est limité par au- cun ajout. Par conséquent, il ne se trouve sous aucun genre. On peut encore enten- dre la formule dans le sens où la substance est entendue comme sujet de ses acci- dents, leur fournissant un support dans l’être. Or, ce qui supporte quelque chose est déterminé par cette chose, se trouvant en puissance quant à la forme de ce qui la dé- termine. Mais comme il ne se trouve aucune puissance en Dieu, on ne peut attribuer cette acception de substance à Dieu67.

Thomas précise encore deux acceptions de substance qu’il entend nier de Dieu. Dans la première objection est posée la division de l’étant entre les accidents et la substance. Puisque Dieu n’est pas un accident, il doit être une substance. Cependant, si la substance se prédique de Dieu comme un prédicat substantiel, on ne peut iden-

66 Cf. In I Sent., d. 8, q. 4, a. 2, co., premier argument, p. XXVII.

67 Argument tiré de ST, Iª, q. 54, a. 3, ad 2 : « la forme simple qui est acte pur, ne peut être le sujet

d’aucun accident parce que le sujet se rapporte à l’accident comme la puissance à l’acte. Seul Dieu est <forme simple> en ce sens. Boèce parle à cet endroit d’une forme de cette sorte. Or la forme sim- ple qui n’est pas son être, mais se rapporte à lui comme la puissance à l’acte, peut être le sujet d’acci- dents, et principalement de ceux qui suivent de l’espèce. En effet, l’accident de cette sorte convient à la forme. En revanche, l’accident qui est de l’individu, n’étant pas conséquent à toute l’espèce, est conséquent à la matière, qui est principe d’individuation. L’ange est une forme simple de la sorte. ». Notre traduction de : « forma simplex quæ est actus purus, nullius accidentis potest esse subiectum :

quia subiectum comparatur ad accidens ut potentia ad actum. Et huiusmodi est solus Deus. Et de tali forma loquitur ibi Bœtius. — Forma autem simplex quæ non est suum esse, sed comparatur ad ipsum ut potentia ad actum, potest esse subiectum accidentis, et præcipue eius quod consequitur speciem, huiusmodi enim accidens pertinet ad formam (— accidens vero quod est individui, non consequens totam speciem, consequitur materiam, quæ est individuationis principium). Et talis forma simplex est angelus. », Opera omnia iussu impensaque Leonis XIII P. M. edita, t. 5 : « Pars prima Summæ theolo-

tifier le genre «  substance  » et Dieu. Par conséquent, Dieu doit se trouver sous le genre prédicamental de la substance68. Thomas résout cette difficulté en rappelant

non seulement que la substance est dite à partir de ce qui soutient quelque chose, mais qu’elle exprime encore la quiddité qui diffère de son être. Or puisque l’être et la quiddité s’identifient en Dieu, comme nous le verrons dans ce qui suit, Dieu ne peut être dit « substance » en ce sens. En effet, lorsqu’il y a indistinction entre l’être et la quiddité d’une chose, celle-ci n’est qu’être. Mais la substance exprime un ajout à l’être. C’est ainsi qu’elle est dite sous un genre, correspondant à la perfection dési- gnée par le genre. Thomas remarque que c’est en vertu de la distinction de l’être et de la quiddité que la division de la substance et des accidents est celle de l’étant créé. En effet, la distinction de l’être et de la quiddité pose déjà qu’une essence est autre que son être et, par conséquent, pose une substance présentant cette essence. Des accidents inhérents à l’espèce, ne consistant pas en ce que la chose est elle- même, mais suivant de ce qu’elle est, sont dès lors à distinguer de la substance. Par exemple, l’homme, puisqu’il est une substance corporelle, a comme accident par soi d’être d’une certaine couleur. En effet, comme tout corps présente une étendue, et que toute étendue se trouve d’une certaine couleur, être coloré se trouve un accident par soi de l’homme, sans cependant consister en ce qu’il est.

Hormis ce sens de substance exprimant la quiddité distincte de l’être d’une chose, Thomas concède que l’on puisse dire que Dieu est une substance dans un sens large, en lui attribuant de façon éminente les perfections trouvées dans une substance, par exemple ne pas être dans un autre. Il y aurait alors identité entre le prédicat et le su- jet, comme pour toutes les choses prédiquées de Dieu. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle on ne doit pas conclure que tout ce qui est une substance est Dieu, comme le propose l’objection, puisque rien n’est prédiqué univoquement de Dieu et des étants créés. En effet, une même chose, lorsqu’elle est prédiquée de Dieu et des créa- tures, n’est jamais prédiquée selon le même mode. Cela explique pourquoi Dieu n’est dans aucun genre, à savoir parce que rien n’est prédiqué univoquement de Dieu et des créatures69. En effet, la raison de substance, dans ce cas « ne pas être dans un

68 Cf. Textes traduits, p. XXVI.

69 Cette considération précise le sens à donner à la communauté de genre qui s’entend ainsi comme la

possession d’une même perfection, lorsque la perfection est prédiquée de ce qui la possède d’une même façon.

autre », ne s’attribue substantiellement à aucun étant créé. Or Dieu est cette perfec- tion même, selon un mode éminent, en ce sens que toute perfection se trouve conte- nue en lui selon le mode de l’unité.

Dans la deuxième objection, on attribue d’ailleurs cette définition de la substance à Dieu qui est l’étant par soi au plus haut point. Dans la solution de cette objection, Thomas rejette cependant la définition avicennienne de substance comme « ce qui n’est pas dans un sujet », indiquant que l’étant n’est pas un genre et que la négation ne pose rien. Comme nous l’avons vu dans le cas de l’un, indivision de l’étant, la né- gation n’exprime pas une nature, ou une détermination formelle positive, mais ne consiste qu’en une distinction au niveau notionnel. Or sont posées, dans une défini- tion, deux déterminations formelles  : l’une est commune et correspond au genre, l’autre est spécifique et exprime ce qui distingue la chose définie des autres éléments se trouvant sous le même genre. Mais l’étant n’est pas un genre, affirme Thomas, puisque tout genre doit signifier une quiddité, et que l’être n’appartient pas à la rai- son même de quiddité. De fait, l’être n’exprime pas ce qu’est une chose, mais seule- ment l’acte d’être de cette chose. Et comme nier qu’une chose est dans un sujet ne pose pas davantage une quiddité, on ne peut conclure que « ce qui n’est pas dans un sujet  » définit proprement la substance. Pour définir adéquatement la substance, il faudrait plutôt dire qu’elle est « ce qui a une quiddité qu’accompagne (consequitur) l’être <qui n’est> pas dans un sujet »70. Mais cette définition ne convient pas à Dieu

pour la raison exposée dans la solution de la première objection.

Au terme de ces considérations sur la substance est donc obtenue la définition de celle-ci, cependant niée de Dieu en vertu de la composition au principe de toute substance. Si l’on peut ainsi attribuer les perfections de la substance, comme l’être par soi, de façon éminente à Dieu, on doit nier le mode d’être même de toute substance dont la quiddité est distincte de son être, l’être de Dieu n’étant pas distinct de sa quiddité. On peut par ailleurs noter que la détermination et la composition sont deux façons de considérer la même réalité; on appelle en effet «  détermination  » l’ajout à l’être, ajout à l’être duquel résulte la composition de la chose dont l’être est

déterminé par un ajout. En ce sens, la quiddité peut ainsi être conçue comme un ajout déterminant l’être.