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Après avoir réfuté les arguments dans le sens de la matérialité des formes simples, Thomas d’Aquin présente une thèse de l’individuation de l’ange et de l’âme ration- nelle qu’il tire du traité Des hebdomades de Boèce.

Dans le corps de l’article sur la simplicité angélique, Thomas oppose l’identité de l’être et de l’essence en Dieu à la distinction de ces principes dans la substance sépa- rée. L’être de Dieu lui revient de soi-même, alors que l’être de l’ange ne provient pas des principes de son essence, mais de quelque chose d’extérieur à ces principes.

C’est ainsi que, considérée en soi, l’essence de l’ange est en puissance par rapport à l’être. Si l’être lui advient de quelque chose d’extérieur à son essence, il établit ce- pendant l’ange dans l’être, devenant ainsi son acte. Par conséquent, on trouve dans l’ange une composition, celle de la puissance et de l’acte, ce qui le distingue de Dieu qui est sans aucune composition. Thomas exprime ici la distinction entre l’être et la quiddité de l’ange en reprenant celle que Boèce énonce entre «  être  » et «  ce qui est ».

Thomas entend aussi cette composition dans l’âme rationnelle, dans le corps de l’ar- ticle du Commentaire des Sentences, en explicitant comment le « ce qui est » doit être entendu, dans le cas des formes simples, comme exempt de matière. Il pose à cet effet une distinction entre le « ce qui est », qui exprime le suppôt ayant l’être, et la matière. En effet, dit-il, ce n’est pas la seule matière qui est, mais le composé de matière et de forme entier. Pour les substances matérielles, le composé correspond donc au « ce qui est » boécien. En outre, dans les composés de forme et de matière, on peut entendre le « ce par quoi c’est » de trois façons. Dans un sens, la forme est ce par quoi la matière est. Dans un autre sens, l’être est ce par quoi l’essence devient existante en acte. Dans un dernier sens, la nature, conçue comme résultant de la conjonction de la forme avec la matière, est ce par quoi l’étant est. On peut réduire ces trois sens aux principes formel et existentiel d’une chose, le premier et dernier sens ayant trait à ce qu’est la chose, tandis que l’être est considéré «  ce par quoi c’est », non comme une détermination formelle, mais en tant que posant ce qui est dans l’existence. La forme est ici à prendre comme forme de la partie, consistant en une partie de l’essence totale. Dans le troisième sens, l’essence est entendue comme forme du tout, incluant en elle les déterminations formelles de la forme et de la ma- tière103. Or, comme la raison d’essence n’inclut pas de soi la composition, il n’est pas

nécessaire que la matière entre dans la composition de l’essence pour que celle-ci soit forme du tout. Dans les cas où la matière n’entre pas dans la composition de l’essence, forme de la partie et essence du tout sont une même chose. La réalité dont

103 Thomas expose ici la distinction entre la forma partis et la forma totius telle qu’il la lit chez Avi-

cenne. Pour la caractérisation de la forme de la partie et de la forme du tout chez Thomas d’Aquin, cf. la section « Le concept de forma totius à l’époque d’Albert » dans David Piché, « La notion de for-

ma totius chez Albert le Grand, ses contemporains et ses sources », Recherches de théologie et de phi- losophie médiévales, série Bibliotheca, à paraître.

l’essence est sans principe matériel est soit son être et sera ainsi absolument simple, soit n’est pas identique à son être et reçoit son être d’un autre. Dans le premier cas, elle sera Dieu, en qui aucune puissance ne tombe. En revanche, si elle n’a pas le principe de son être par son essence, elle sera en puissance par rapport à cet être re- çu et l’on trouvera en elle une composition de puissance et d’acte. On la distinguera ainsi de Dieu, mais encore des autres substances simples, d’une part, parce que l’es- sence des formes simples est complète sans la matière et, d’autre part, parce que l’acte convient en propre à la puissance qu’il actualise. En effet, l’acte est toujours celui d’une puissance qui le reçoit et par cette réception se trouve achevé le compo- sé qu’elle devient avec l’acte. L’individuation de la forme simple est ainsi conçue non comme une limitation dimensionnelle, mais en tant que détermination dans l’exis- tence d’une essence immatérielle.

Thomas répond donc à sa question « Les anges sont-ils composés de matière et de forme? » en indiquant que l’on pourrait entendre la composition d’essence et d’être comme une composition de matière et de forme dans un sens large, si l’on entend la matière dans le sens de puissance et la forme dans le sens d’acte. Cependant, si l’on prend la forme et la matière dans le sens des principes constitutifs de l’essence, on désigne improprement la composition de la forme simple comme celle d’une forme et d’une matière. En effet, l’être n’est pas un principe constitutif de l’essence, mais lui advient de l’extérieur. Aussi, l’être n’est pas une détermination formelle inhérente à l’étant, mais la détermination dans l’être de l’essence complète104.