• Aucun résultat trouvé

Le Christ est-il une créature du fait de sa nature humaine?

La question du In III Sent., d.  11, a.  2, reprend les conclusions auxquelles Thomas parvient au terme des discussions de la distinction 6 et étend la réflexion à la prédi- cation de créature au Christ. Si la nature humaine, ou ce qui lui est conséquent, est prédiquée du Christ, la création, qui est incluse dans la raison de nature humaine, doit aussi pouvoir être prédiquée du Christ. La réponse de Thomas explicite le rapport tout-partie de la deuxième position de l’union du Verbe incarné. Tout sujet est dit subsister par ses parties. En effet, le sujet ne peut être sans les déterminations formel- les qui le constituent tel. Les parties de la nature et les accidents consistent en ces

134 Concernant les types d’accidents identifiés par Thomas, cf. In I Sent., d. 8, q. 5, a. 2, ad sed contra

1, p. XXXIV-XXXV.

135 « Bien que cette nature humaine soit une réalité individuée, quoddam individuum, relevant de la

catégorie de la substance, elle n’existe toutefois pas par soi et sur un mode à part, mais en tant que promue en ce qui est plus accompli, in quodam perfectiori, à savoir la Personne du Verbe. Il s’ensuit qu’elle ne possède pas la personnalité, car l’union (hypostatique) s’est accomplie dans la Personne. »,

ST, IIIa, q. 2, a. 2, ad 3, trad. É.-H. Wéber, Le Christ selon saint Thomas d'Aquin, Paris, Desclée, coll.

Collection «  Jésus et Jésus-Christ  », nº  35, 1988, p.  234. Cf.  Pour l’exposé de la pensée de Thomas d’Aquin sur l’union des deux natures du Christ, J. L. A. West, « Aquinas on the metaphysics of esse in Christ », The Thomist 66, Avril 2002, p. 231-50.

déterminations. La nature signifie les parties qui composent le sujet et les accidents sont conséquents à cette nature. Cependant, la nature, ses parties et accidents ne subsistent pas en eux-mêmes136. De fait, on ne trouve pas, par exemple, de corps or-

ganique ni de blanc qui subsisterait sans être dans un sujet. Les déterminations for- melles ne subsistent en effet que par l’être du sujet qu’elles déterminent quant à la forme. De plus, si les déterminations formelles correspondent à des parties du sujet, l’être est l’être du sujet entier. Il n’est dit de la nature, d’une partie ou d’un accident que d’une manière relative, ne pouvant être affirmé sans que l’être du suppôt ne soit posé. Thomas nomme l’être absolu du suppôt son être personnel. Or la création, dit Thomas, a trait à l’être et non à l’essence d’une chose. Mais puisque le suppôt du Christ était avant que lui soit unie la nature humaine, l’être du Christ n’est pas pro- portionné à la nature humaine, mais à la divine selon laquelle il est, si l’on peut s’ex- primer ainsi. Le suppôt Christ ne subsiste donc pas absolument par la nature hu- maine, mais subsiste en tant qu’homme par la nature humaine qui se voit actualisée par l’être du suppôt divin. La nature humaine subsiste ainsi par l’être du suppôt du Christ, mais l’être du suppôt du Christ ne résulte pas de la nature humaine comme lorsqu’elle est forme substantielle de Socrate, par exemple. C’est ainsi que, selon la seconde position quant à l’union des natures dans le Christ, l’union est dite se réali- ser dans l’être du suppôt.

Les solutions aux objections précisent la façon dont on peut prédiquer la création du Christ, c’est-à-dire en fonction du statut de la nature humaine dans le Christ, non en tant qu’elle a en lui un être créé, mais en tant qu’elle est elle-même issue de la créa- tion. En effet, puisque le Christ est homme par la nature humaine, ses parties et ses accidents, l’être du suppôt divin se rapporte à la création dans la même proportion qu’il se rapporte à la nature humaine, à ses parties et à ses accidents. Ainsi, on peut dire que le Christ est créé quant à sa nature humaine. Selon ce qui a été exposé, la création ne peut cependant pas se prédiquer du Christ en tant que suppôt dont l’être est incréé. La création est ainsi niée du Christ comme tel, mais affirmée de sa nature humaine qui n’est pas, en tant que telle, incréée, mais créée. Dans sa solution à la troisième objection, Thomas résume sa position quant à la prédication de la création

136 Exception faite de l’âme séparée, qui doit cependant d’abord être incorporée afin d’être individuée,

au Christ dans l’énoncé suivant : « le Christ est un homme qui n’est pas créé, mais éternel du côté de la divinité, non cependant un homme éternel »137. La création est

réservée à la raison d’homme prise absolument et non quant à sa prédication au Christ, pour la raison que Thomas indique dans la solution à l’objection suivante. Il y remarque que la propriété d’une partie ne donne son nom au tout que lorsque cette propriété ne convient qu’à la partie dont elle est la propriété. Thomas donne l’exem- ple de la claudication et de la frisure des cheveux. On peut dire de quelqu’un qu’il est crépu ou boiteux en raison de la frisure de ses cheveux ou de la claudication de sa jambe. Néanmoins, on ne nomme pas le tout par la détermination d’une partie si cette détermination peut convenir au tout de quelque façon que ce soit. Par exemple, on ne dit pas que l’homme est blanc en raison de la blancheur de ses dents138. Et

comme, en règle générale, la création ne convient pas qu’à la nature mais au tout entier, puisqu’elle convient d’abord à l’être qui est dit du suppôt entier, par consé- quent, Thomas conclut qu’on ne peut prédiquer la création du suppôt Christ, mais seulement de la nature humaine qui est quelque chose de créé en lui.