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Les <attributs> communs se distinguent quant à leur raison

II. Les arguments de la théorie des transcendantaux

2. Les &lt;attributs&gt; communs se distinguent quant à leur raison

3. Les <attributs> communs ne se distinguent pas quant à leur nature; 4. Les <attributs> communs ne sont pas des accidents de la substance.

Nous présenterons, dans la suite de ce chapitre, les arguments propres à chacune de ces thèses telles que Thomas les expose dans son Exposé de la métaphysique d’Aris-

tote, livre 4, leçon 2 et dans le premier article du De veritate, considérant la troi-

sième thèse de pair avec la seconde. Nous examinerons ensuite les occurrences d’acte d’être dans le contexte où l’Aquinate emploie cette notion.

32 Avicenne, LPP, p. 31, 10-34, 14 (éd. Van Riet), p. 108-110 dans la trad. de G. Anawati, La métaphy-

sique du Shifā', Paris, J. Vrin, coll. Études musulmanes, nº 21, 1978.

33 «  <l'âme> saisit tout  », De anima, lib.  III, c. 4, 429a 18, p.  222 dans la trad.  de R. Bodéüs, De

L'âme, Paris, Flammarion, 1993; « l'âme est, d'une certaine façon, l'ensemble des réalités », ibid., c. 8,

431b 21, p. 238.

II. Les arguments de la théorie des transcendantaux

Dans l’extrait de la Métaphysique que Thomas commente35, Aristote entend montrer

que les attributs communs sont considérés dans le cadre d’une même science. On peut reconstituer son argument ainsi  : l’étude d’un objet inclut la considération de ses accidents par soi (sous-entendu : ce qui suit des principes mêmes d’une chose est principe de connaissance de la chose). Or l’un et l’étant sont des accidents par soi de la substance. Par conséquent, ils sont étudiés dans le cadre d’une même science, à savoir celle qui a pour objet propre la substance36. L’essentiel de l’exposé de Thomas

porte sur l’explicitation de la mineure.

1. Les <attributs> communs s’identifient dans la réalité

On retrouve, dans ce texte, deux arguments défendant que l’étant et l’un sont une même chose dans la réalité (res). Thomas expose le premier argument comme suit :

deux <choses>, quelles qu’elles soient, ajoutées à une <troisième> à laquelle elles n’ap- portent aucune différence, sont tout à fait une même <chose>. Mais l’un et l’étant ajoutés à l’homme ou à quelque autre <chose> n’apportent aucune différence : donc ils sont tout à fait une même <chose>37.

L’idée est que si l’on ajoute quelque chose, en l’occurrence l’un ou l’étant, à une au- tre chose et qu’il ne résulte aucun changement dans la chose même, ce qu’on lui ajoute ne doit, par conséquent, différer d’aucune façon de cette chose. Thomas af- firme la mineure évidente puisque c’est une même chose qui est désignée par «  homme  », «  un homme  » et «  étant homme  ». Il le prouve en indiquant qu’un homme généré et corrompu est une même chose que ce qui est homme généré ou corrompu. En effet, un homme n’est jamais généré sans que soit généré un étant homme. Or, lorsque l’on affirme que des choses sont simultanément générées ou cor- rompues, on affirme leur identité dans la réalité. Il y a ainsi une absolue réciprocité entre les attributs communs, ceux-ci s’identifiant au niveau de l’être de la chose même, la génération étant une voie vers l’être, la corruption, une mutation vers le

35 Aristote, Métaphysique, Gamma, 2, 1003b 23-1004a 8. 36 Textes traduits, p. LXXVII-LXXVIII.

37 « Quæcumque duo addita uni nullam diversitatem afferunt, sunt penitus idem: sed unum et ens ad-

dita homini vel cuicumque alii nullam diversitatem afferunt: ergo sunt penitus idem. », In duodecim libros Metaphysicorum Aristotelis expositio, éd.  M. R. Cathala et R. Spiazzi, Taurini, Marietti, 1950,

non-être38. Ces attributs qui s’ajoutent à l’étant ne sont donc pas des natures qu’on

lui ajouterait, mais se trouvent être une seule et même chose.

Thomas avance ce deuxième argument en faveur de l’identité des attributs communs dans la réalité en suivant le texte d’Aristote :

Les items que l’on prédique par soi de la substance et non par accident sont une même chose dans la réalité.

L’un et l’étant sont prédiqués de la substance par soi. En effet, la substance de toute chose est une par soi et non par accident.

Donc l’étant et l’un sont une même chose dans la réalité39.

L’Aquinate prouve la mineure en montrant que si l’étant ou l’un se prédiquait de la substance par un étant qui lui était ajouté, il faudrait que l’étant se prédique aussi de cet accident par un étant qui lui serait ajouté et ainsi de suite, ce qui est impossible, puisqu’on procéderait alors à l’infini40. Thomas conclut donc que la substance de la

chose est une et étant par soi.

Suite à ces deux arguments, on peut donc affirmer que les attributs communs n’en- traînent pas un ajout quant à la nature d’une chose qui n’est aucunement changée lorsqu’on les prédique d’elle. Ils ne s’ajoutent pas non plus comme quelque chose qui serait extérieur aux principes de la chose, mais sont consécutifs par soi à toute chose. Après avoir ainsi précisé la façon dont les attributs communs s’identifient dans la réalité, il convient de considérer de quelle manière on doit les distinguer. Thomas, suivant la tradition dont la source se trouve dans le texte même d’Aristote qu’il ex- pose, affirme que les modes consécutifs à tout étant se distinguent par leur raison.

38 Cette idée que les transcendantaux sont solidaires quant à leur degré d’être trouve écho dans un

passage de l’article du De veritate. Thomas y affirme, suivant Aristote, qu’« une chose a le même ordre dans l’être et dans la vérité [...] parce que quelque (chose) est de nature à être adéquat à l’intellect selon ce qu’il a d’entité », q. 1, a. 1, ad 5, p. 57, dans la traduction Peeters-Brouwer; cf. Aristote, Mé-

taphysique, lib. Alpha mineur (II), c. 1, 993b 20-31, t. 1, p. 61 dans la traduction J. Tricot, Paris, Librai-

rie philosophique J. Vrin, coll. Bibliothèque des textes philosophiques, 2000 (Réimpr. de l'éd.  de 1933). La corrélation de l’étant et du vrai y est non seulement affirmée, mais est encore affirmée la dépendance du vrai à l’étant.

39 Notons que ce qui est dit « par soi » est compris ici comme constituant les principes mêmes d’une

chose ou suivant de ces principes, tandis que ce qui est dit « par accident » lui advient comme quel- que chose d’extérieur à ces mêmes principes, cf. p. LXXVI.

40 L’accident est en effet un étant, mais par opposition à la substance qui est proprement étant, l’acci-

2. Les <attributs> communs se distinguent quant à leur raison

Dans l’article du De veritate, une objection visant à montrer que l’étant et le vrai ne diffèrent pas l’un de l’autre procède du principe selon lequel les choses qui diffèrent en raison peuvent être pensées l’une sans l’autre41. Mais comme l’étant est pensé en

tant qu’il est vrai, on ne peut affirmer qu’il se distingue du vrai selon sa raison. L’Aquinate résout cette difficulté en distinguant deux façons dont une chose peut être pensée sans une autre. Une chose peut d’abord être pensée alors que l’autre chose n’est pas considérée; une chose peut encore être pensée sans l’autre parce que cette dernière n’existe pas. Thomas concède que l’étant ne peut être pensé sans le vrai pour ce qui est de la deuxième manière énoncée puisqu’il ne peut être pensé sans convenir à l’intellect, ce en quoi consiste la raison de vrai. Cependant, il peut être pensé comme étant, sans que soit considérée la raison de vrai, tout comme lorsque l’on considère l’étant, on ne considère pas l’intellect agent sans lequel l’étant ne peut être pensé en acte. Donc, si le vrai ontologique, en tant qu’ordonnancement de l’étant à l’intellect est nécessaire à ce que l’étant soit pensé, il ne s’ensuit pas que l’étant ne puisse être considéré en lui-même; il peut en effet être pensé sans que ne soit considéré son ordonnancement à l’intellect42.

Au début de son exposé du texte d’Aristote43, Thomas pose encore une distinction

visant à cerner la façon dont on doit concevoir la différence de raison entre les trans- cendantaux. Il affirme que l’étant et l’un sont non seulement une même chose, mais qu’ils sont encore une même nature. Il se trouve en effet des items qui sont numéri- quement une chose, par exemple Socrate, cette chose blanche et ce musicien. Ces perfections, quoique de natures différentes, se retrouvent toutes dans l’entité numéri- quement une qu’est Socrate. Or l’étant et l’un ne sont pas seulement numériquement un comme le sont Socrate, cette chose blanche et ce musicien, mais ils ne se distin- guent pas non plus quant à leur nature. Ces items qui sont numériquement un et identiques en nature peuvent être de deux sortes : ou bien ils sont tout à fait synony- mes, comme c’est le cas pour l’habit et le vêtement qui, sous différents vocables, ne

41 DV, q. 1, a. 1, arg. 3, trad. Peeters-Brouwer, p. 47 et sa solution à la p. 57.

42 Ce que cet argument rend manifeste pour le vrai, à savoir son caractère « consécutif à tout étant »,

s’entend aussi des autres attributs communs, selon leur raison propre.

signifient pas des notions qui diffèrent de quelque façon que ce soit; ou bien ils s’im- pliquent réciproquement, tels le principe et la cause, sans toutefois s’identifier quant à leur notion même. En effet, le principe est cause et la cause, principe; cependant, on appelle une chose «  cause  » en tant qu’elle produit un effet, alors qu’on la dit «  principe  » dans le sens où elle est première par rapport à d’autres, notamment quant aux réalités dont elle est la cause. Il s’agit alors d’une même chose et d’une même nature, considérée de différentes façons. Par exemple, l’aïeul peut être consi- déré, par rapport à la génération, en tant que premier d’une descendance ou comme cause, ayant engendré la seconde génération de cette descendance. Il ne diffère ce- pendant pas quant à sa nature, à savoir homme, qu’il soit considéré comme cause ou comme principe. Tel est le cas de la chose, de l’étant et de l’un qui ne diffèrent pas quant à la nature qu’ils ont dans le sujet, mais qui diffèrent selon que l’on considère en lui sa nature, ou quiddité, son acte d’être ou encore son indivision, ou ordre44.

Autrement, on signifierait tout à fait une même raison lorsque l’on dit «  homme  », « étant homme » ou « un homme ». Or, si c’est une même réalité que l’on signifie par ces termes, on signifie par « chose », « étant » et « un » des raisons différentes dans cette même réalité.

Dans la solution au sixième argument de notre extrait du De veritate45, Thomas pose

une distinction quant à deux sens de « différer en raison ». D’une façon, on peut l’en- tendre comme quelque chose qui est dans la raison de vrai, mais qui n’est pas dans la raison d’étant. Cela est le type d’ajout propre aux transcendantaux, à savoir l’ajout d’une notion. En effet, le vrai ajoute à l’étant la raison d’ordonnancement à l’intel- lect. D’une autre façon, on peut entendre « différer en raison » de sorte que quelque chose qui serait dans la raison d’étant soit exclu de la raison de vrai. Cela n’est pas le cas des attributs communs puisque le vrai inclut l’étant dans sa notion. Cette deuxième manière de différer en raison caractérise proprement les espèces qui sont distinctes par les différences divisant un genre commun et qui sont exclusives du fait même de la différence posée au genre. Les espèces sont en effet constituées d’un genre, par exemple «  animal  », et d’une différence établissant une espèce comme distincte des spécimens de ce genre extérieurs à l’espèce précisée par la différence.

44 Cf. <L’un et l’étant diffèrent selon la raison>, p. LXXIV. 45 Cf. trad. Peeters-Brouwer, p. 59.

Par exemple, la différence « rationnelle », déterminant le genre animal, exclut tous les animaux qui seraient irrationnels de l’espèce « homme » ainsi définie. Par consé- quent, « animal irrationnel » et « animal rationnel » ne se distinguent pas qu’en rai- son, mais essentiellement, de sorte que l’essence de l’un ne peut d’aucune manière être comprise dans l’essence de l’autre.

Au regard de ces considérations, on peut dire que les transcendantaux consistent chacun en une propriété qui se trouve dans tout étant, ne différant pas de l’étant en réalité, ni en nature, mais incluant encore la raison même de celui-ci à la raison pro- pre qu’ils lui ajoutent. Si ce qui précède résout déjà de façon générale la question de l’accidentalité des attributs communs, nous considérerons encore la position d’Avi- cenne telle que Thomas la formule et le traitement qu’il lui réserve.