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Après avoir démontré de différentes façons l’indistinction entre l’être et l’essence di- vine, est-il néanmoins possible d’affirmer positivement quelque chose de l’être divin? Fidèle au principe de la connaissance de Dieu par ses effets dans les créatures, Tho- mas caractérise d’abord la notion d’être dans l’étant fini pour la prédiquer de Dieu de façon éminente. Dans la Somme théologique, il définit l’être comme « actualité de toute forme ou nature »92. En effet, aucune forme ou nature n’est signifiée en acte si

ce n’est lorsqu’elle est signifiée être. Lorsque l’essence et l’être sont distincts dans une chose, Thomas conçoit leur rapport comme celui de la puissance et de l’acte.

90 Cf. DP, q. 7, a. 2, arg. 8, p. LII. Pour les principes de Boèce, cf. p. LIX.

91 « de même que ce qui a du feu et n’est pas le feu est enflammé par participation, de même ce qui a

l’être et n’est pas l’être est étant par participation. », ST, Iª, q. 3, a. 4, co., p. XLIX.

Cependant, comme rien n’est potentiel en Dieu, il conclut que l’être n’est pas autre que son essence, à savoir que Dieu est acte pur d’être. En effet, si on admettait une distinction entre l’essence et l’être en Dieu, Dieu serait en puissance par rapport à son être, n’ayant pas l’être par les principes de son essence, mais de quelque chose d’extérieur à son essence.

À la solution du neuvième argument de l’article du De potentia, Thomas ajoute à ce même argument que l’être est, de toutes les perfections, la plus parfaite « parce que l’acte est toujours plus parfait que la puissance  »93. Une forme peut se trouver en

puissance dans la matière, dans la vertu de l’agent ou dans l’intellect, mais n’a l’être que ce qui est réalisé existant en acte. C’est en ce sens que Thomas affirme que l’être est « l’actualité de tous les actes » et, par conséquent, « la perfection de toutes per- fections »94. Alors que l’objection entendait l’être comme ce qui est indéterminé au

plus haut point et par conséquent perfectible au plus haut point, ce que l’on ne peut attribuer à Dieu en raison de l’imperfection de l’être ainsi conçu, Thomas nie que l’être soit déterminé par quelque chose qui l’actualiserait comme la puissance est ac- tualisée par l’acte. Si l’être est indéterminé en ce sens qu’il n’est, considéré en soi, fini par aucune forme, il est paradoxalement la détermination ultime de tout étant, non sur le plan formel, mais quant à l’existence même de l’étant et de tout ce que l’étant comporte de déterminations formelles. En revanche, l’être devient, dans l’étant, déterminé par l’essence qui se trouve alors le mode de l’être. Par conséquent, l’être est essentiellement distinct, en tant que détermination, de ce qu’il détermine. On ne peut lui ajouter rien qui soit extérieur à lui, puisqu’il ne se trouve rien d’exté- rieur à lui, si ce n’est le non-étant qui n’est pas apte à déterminer, n’étant ni forme, ni matière. Ce n’est donc pas l’être qui reçoit la détermination d’un ajout qui serait ex- térieur, mais bien lui qui pose une chose dans l’existence en tant qu’ultime ajout. L’être est ainsi à concevoir non comme en puissance d’une détermination formelle, mais bien comme perfection ou acte ultime complétant l’étant comme tel. Comme pour les formes qui sont définies par la matière à laquelle elles conviennent plutôt que par une différence spécifique, par exemple on définit l’âme rationnelle en la di- sant âme du corps physique organique, de même on distingue les différents êtres par

93 Ibid., p. LVII. 94 Ibidem.

la nature qui les limite, par exemple l’être du vivant ou l’être du banc. C’est pour- quoi, nous dit Thomas, Denys affirmait que les vivants sont plus nobles que les exis- tants, bien qu’être soit plus noble que vivre. Les vivants ont en effet plus de perfec- tion que les simples étants, puisqu’en plus d’avoir l’être, ils ont la vie. Cependant, l’être est une perfection plus noble puisqu’elle accompagne simultanément toute au- tre perfection en acte. C’est ainsi qu’en affirmant que l’essence de Dieu est son être, on attribue à Dieu la notion d’être telle qu’on la découvre en tant que perfection première de l’étant créé, mais en tant qu’il est en Dieu selon le mode de la subsis- tance. Dieu est ainsi le mieux conçu par nous comme pur acte d’être, sans puissance aucune en raison de son incomposition absolue.

L’immatérialité, simplicité propre aux formes simples

Un des problèmes de théologie naturelle abondamment discuté au moyen-âge est la distinction entre la simplicité divine et celle de la forme simple, ange ou âme ration- nelle. Comme Dieu et les formes simples ne se distinguent pas quant à un corps qui leur serait propre, il faut leur poser un autre principe d’individuation. Nous avons vu, dans la précédente partie, que Dieu, simple au plus haut point, se distingue de toute autre substance en raison de la parfaite identité de son être et de son essence. Si la composition de la substance créée a été esquissée à cette occasion, il convient main- tenant de préciser la position de Thomas d’Aquin quant à la composition de la forme simple. Dans les extraits retenus pour cette étude, ce dernier aborde la simplicité an- gélique dans le cadre d’une question quodlibétique et la simplicité de l’âme ration- nelle dans la distinction huit du premier livre de son Commentaire des Sentences95.

Comme Thomas réserve un traitement semblable aux deux questions, nous expose- rons les arguments qui leur sont communs, en réservant les arguments propres à la question de l’âme rationnelle, individuée par un corps, dans la section portant sur la subsistance des formes simples. En effet, l’ange est conçu comme une forme simple de degré supérieur, n’étant aucunement lié à la matière corporelle. En revanche, l’âme rationnelle, par son lien au corps physique organique, est considérée une forme simple de degré moindre.

Mais puisque, dans notre condition actuelle, nous tirons notre connaissance des sens, il ne nous est pas possible de connaître les formes simples dont la substance ne peut être appréhendée selon le mode de la connaissance sensible. Aussi, la solution que Thomas apporte est élaborée à partir de conclusions obtenues dans le cadre de ses enquêtes sur la structure ontologique des étants connus à partir des sens. Avant d’aborder la position de Thomas quant au type de composition qu’il conçoit dans les formes simples, nous aimerions donc caractériser la conception de l’étant créé cor- porel que nous pouvons déduire de ce qui précède. Elle peut être résumée en cinq thèses :

95 Cf. « Les anges sont-ils composés de matière et de forme? », Question quodlibétique IX, q. 4, a. 1,

p. XLII et « L’âme est-elle simple? », Commentaire des Sentences du Lombard, livre I, distinction 8, question 5, article 2, p. XXX.

1. L’étant créé est composé, au plan transcendantal, de l’être et de l’essence, ou substance. Les autres transcendantaux ne sont pas affirmés positivement et abso- lument de l’étant, mais quant à une négation ou quant à une relation.

2. La substance de l’étant créé matériel est composée de matière et de forme.

3. La forme se rapporte à la matière comme l’acte par rapport à la puissance en tant qu’elle complète la substance en déterminant la matière.

4. L’être n’ajoute aucun contenu notionnel à l’essence de la chose, mais la rend existante en acte. L’être se rapporte ainsi à l’essence comme l’acte par rapport à la puissance, achevant l’étant par la détermination de l’être.

5. L’être d’un étant est proportionné à l’essence de cet étant en tant que l’essence est la manière d’être de l’étant.