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La distinction entre l’être et l’essence reprise d’Avicenne

III. Les occurrences d’actus essendi dans le cadre de la théorie des

1. La distinction entre l’être et l’essence reprise d’Avicenne

« Actus essendi » apparaît ainsi dans le corps du premier article du De veritate alors que Thomas indique en quoi il faut distinguer les noms « chose » et « étant ». Nous reproduisons ici l’extrait.

D’une part, il ne se trouve pas quelque (chose), dit affirmativement et dans l’absolu, qui puisse être admis dans tout étant, sinon son essence, selon laquelle il est dit être; c’est ainsi que le nom « chose » lui est imposé. Il diffère de « étant », selon Avicenne au début

50 Si Thomas réfute ainsi l’accidentalité de l’être et de l’un en tant qu’on les penserait ajouter quelque

chose d’extérieur aux principes de l’étant, cependant, l’être et l’un demeurent des accidents par soi de l’étant puisqu’ils suivent des principes de l’étant. On les désigne comme accidents puisqu’ils ne cor- respondent pas à la nature même de l’étant dans lequel on les considère, mais on les distingue des accidents prédicamentaux en les disant « par soi ».

de sa Métaphysique, en ce qu’« étant » est pris de l’acte d’être, tandis que le nom « cho- se » exprime la quiddité ou l’essence de l’étant51.

Ce que Thomas distingue dans l’étant, ce sont les propriétés transcendantales mêmes, à savoir l’être, l’essence, l’indivision, la distinction d’un autre étant, la convenance de l’étant à l’appétit et celle à l’intellect52. Celles-ci se trouvent dans tout étant. Pourtant,

elles ne se prédiquent pas de l’étant comme telles. On ne dit pas que Socrate est une distinction d’un autre étant ou une indivision.  Nous nommons toutefois l’étant en vertu de ces différents modes consécutifs à tout ce qui est. C’est ainsi que nous dési- gnons ce qui est par les noms « étant », « chose », « quelque chose », « bien » et «  vrai  », selon qu’il est considéré selon l’une ou l’autre des propriétés communes. Thomas distingue ainsi la propriété même, que l’on retrouve dans la réalité, du nom par lequel on nomme l’étant en fonction de la considération de cette propriété. Par conséquent, on nomme ce qui est « étant » lorsqu’on veut signifier son acte d’être, à savoir qu’il est. On le nomme « chose » lorsqu’on signifie l’étant en fonction de son essence. Acte d’être et essence sont donc deux propriétés ontologiques consécutives à tout étant dont les termes dérivés se distinguent à la manière dont Thomas distingue les noms tirés des transcendantaux, à savoir d’une différence notionnelle. En effet, « étant » et « chose » ne se trouvent pas numériquement différents, ni n’ajoutent de natures différentes à la nature même de l’étant. Ils signifient chacun une propriété différente du même étant et ne se distinguent que par la notion correspondant à cette propriété qu’ils prédiquent de ce qui est.

Dans l’extrait de l’Exposé de la Métaphysique d’Aristote où « acte d’être » apparaît, on retrouve le même cadre théorique :

En effet, on doit savoir que ce nom « homme » est imposé à partir de la quiddité ou de la nature de l’homme, et que ce nom «  chose  » est imposé à partir de la quiddité seule- ment. Quant à ce nom « étant », il est imposé à partir de l’acte d’être, et ce nom « un » à partir de l’ordre ou de l’indivision.  En effet, l’un est l’étant indivis. Or c’est une même <chose> qui a une essence, et une quiddité par cette essence, et qui est en soi indivise.

51 « Non autem invenitur aliquid affirmative dictum absolute quod possit accipi in omni ente nisi essen-

tia eius secundum quam esse dicitur, et sic imponitur hoc nomen res, quod in hoc differt ab ente, se- cundum Avicennam in principio Metaphysicæ, quod ens sumitur ab actu essendi sed nomen rei ex- primit quidditatem vel essentiam entis », trad. Peeters-Brouwer, p. 50-53.

D’où il vient que ces trois <termes>, « chose », « étant » <et> « un », signifient absolu- ment la même <réalité>, mais selon différentes (diversæ) raisons53.

Les termes « étant », « chose » et « un » se prédiquent tous de l’étant en tant qu’ils expriment des propriétés de l’étant, respectivement l’acte d’être, la quiddité et l’ordre ou l’indivision. Dans la deuxième partie du passage, Thomas affirme que les termes « étant », « chose » et « un » désignent une même réalité en signifiant que leur raison se prédique d’une même chose. La raison de l’« un » est formulée comme « ce qui est en soi indivis ». Par contre, nous retrouvons pour l’étant la formulation « ce qui a une essence » et pour la chose, « ce qui a une quiddité par cette essence ». « Étant » se trouverait alors défini par la propriété de laquelle est tiré le terme « chose » dont on cherche à le distinguer en raison. En effet, la notion d’étant se voit apposer la pos- session de l’essence. Pourtant, Thomas affirme juste avant qu’elle est prise de l’acte d’être. En fait, si la notion « étant » exprime l’acte d’être, l’étant réel n’est pas sans être d’une certaine façon. Cette façon d’être est appelée « essence ». Celle-ci n’est pas qu’une propriété transcendantale découlant de la constitution même d’un étant comme le sont les transcendantaux un, quelque chose, bien et vrai, mais principe de l’étant avec l’acte d’être54. L’étant réel se trouve ainsi constitué d’acte d’être et d’es-

sence. Par conséquent, si on l’appelle « étant » en tant qu’il est, il n’est pas sans avoir d’essence, d’où la formulation de l’étant comme « ce qui a une essence ». En revan- che, le terme « chose », s’il est tiré de l’essence, n’exprime pas proprement ce qui a une essence, mais que ce qui a une essence a une essence. Plus simplement, « cho- se » signifie l’étant en tant qu’il est tel, à savoir qu’il présente telle détermination for- melle. Néanmoins, si l’on peut dire que l’étant est tel, c’est qu’il est tel, l’expression de la détermination formelle suivant de la détermination formelle dans l’étant. En dis- tinguant l’essence de la quiddité, Thomas pose ainsi une distinction entre le mode d’être essentiel de la chose et la formulation de cette essence. En d’autres mots, la

53 « Patet autem ex prædicta ratione, non solum quod sunt unum re, sed quod differunt ratione. Nam

si non differrent ratione, essent penitus synonyma; et sic nugatio esset cum dicitur, ens homo et unus homo. Sciendum est enim quod hoc nomen Homo, imponitur a quidditate, sive a natura hominis; et hoc nomen Res imponitur a quidditate tantum; hoc vero nomen Ens, imponitur ab actu essendi: et hoc nomen Unum, ab ordine vel indivisione. Est enim unum ens indivisum. Idem autem est quod habet essentiam et quidditatem per illam essentiam, et quod est in se indivisum. Unde ista tria, res, ens, unum, significant omnino idem, sed secundum diversas rationes.  », éd.  Marietti, op.  cit., p.  186,

nº 553, Textes traduits, p. LXXIV.

54 En effet, l’essence n’est pas une négation, comme l’indivision de l’étant, ni un rapport à un autre

étant, mais le mode consécutif à tout étant dit affirmativement et de façon absolue, cf. citation du DV, p. 10 et corps de l’article dans la traduction de Peeters-Brouwer, p. 50-57.

quiddité exprime ce que la chose est en réalité. C’est la formulation de son essence réelle55. Or « étant » ne signifie pas à proprement parler ce qui a une quiddité, puis-

que ce que l’on désigne par ce terme est qu’il est. En revanche, le nom de « chose » est apposé dans la mesure où tout étant est selon un certain mode d’être et qu’en ver- tu de ce mode d’être il est dit avoir une quiddité.

Une troisième occurrence reprend le rapport entre être et étant dans la solution de Thomas au premier contre-argument du De veritate. Il va ainsi :

Dans toutes les créatures, l’être et ce qui est sont différents; Or « vrai » signifie l’être de la chose;

Donc dans les choses créées, le vrai est différent de ce qui est.

Et comme ce qui est est synonyme d’étant, on peut conclure que, dans les créatures, le vrai est différent de l’étant56.

Afin de résoudre cette difficulté, l’Aquinate rappelle que le nom « étant » est imposé à partir de l’acte d’être et qu’en cela consiste la distinction à faire entre l’acte d’être et à quoi cet acte convient. Comme le vrai n’est pas ce dont le nom d’étant est pris, l’argument avancé ne conclut pas. L’objection suppose, en effet, une identité entre « vrai » et « être ». Pour réfuter cette identité présumée, Thomas montre que le rap- port de l’être à l’étant ne s’applique pas entre le vrai et l’étant. Puisque le vrai ne se présente pas tel que l’être dans son rapport à l’étant, le vrai ne peut être dit identique à l’être et, par conséquent, n’est pas distinct de l’étant à la manière dont l’être se dis- tingue de l’étant.