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Exemptes de matière, les formes simples sont dites subsistantes par soi105. En effet,

contrairement aux formes matérielles qui incluent dans leur raison la composition à la matière, la forme simple consiste en la raison complète ou essence totale de la substance. Dans le corps de l’article du Commentaire aux Sentences, Thomas oppose en effet l’être par soi de la forme simple à l’être dans un autre de la forme de la substance composée. Cette dernière est dans le sujet, qui est autre que la forme puis-

104 « Ainsi, on pourrait concéder en lui une matière et une forme, si tout acte devait être dit forme et

toute puissance matière. Mais cela ne convient pas pour la <thèse> proposée, parce que l’être n’est pas un acte qui soit une partie de l’essence, comme la forme <l’est>. », Quodl. IX, co., p. XLV.

qu’il inclut aussi la détermination de la matière. Mais qu’en est-il pour l’âme ration- nelle qui est forme du corps organique humain? N’a-t-elle pas l’être par sa conjonc- tion au corps dont elle est la forme?

Dans sa solution à la deuxième objection de l’article du Commentaire aux Sentences, Thomas répond que l’âme a en soi un être parfait, du fait qu’elle est dépourvue de matière. L’objection pose que ce qui est composé a l’être à partir de ses composan- tes. Or comme l’âme rationnelle est composée, elle doit avoir l’être à partir de ses composantes. Il se trouverait par conséquent deux êtres dans l’homme, celui de l’âme et celui du composé «  homme  ». Dans la solution à la première objection, Thomas dit que, de même qu’aucune forme n’est composée des parties qui consti- tuent sa quiddité, de même l’âme n’est pas composée de parties qui seraient des par- ties de sa quiddité. D’une part, il faut distinguer la forme réelle, qui est une, de sa rai- son dont la formule présente un terme commun et un terme spécifique. Par exemple, dans la définition « âme douée de raison », « âme » est un terme commun désignant tous les types d’âme tandis que « douée de raison » précise la spécificité de l’âme rationnelle. D’autre part, s’il est vrai qu’il se trouve plusieurs facultés en l’âme ration- nelle, à savoir ses différentes puissances intellective, volitive, sensitive, etc., celles-ci ne sont pas principes d’être de l’âme rationnelle comme si cette dernière était un tout résultant de la composition des facultés; ce sont plutôt les puissances de l’âme qui sont conséquentes et corrélatives à ce que l’âme rationnelle est. Comme l’aptitude à rire n’est pas cause de l’être de l’homme, mais est conséquente à sa faculté cognitive, les puissances de l’âme ne sont pas principes d’être de l’âme rationnelle, mais inhé- rentes à son essence. Par ailleurs, l’être parfait de l’âme rationnelle n’est cependant pas l’être par soi de Dieu. En effet, Dieu seul a l’être à partir des principes de son es- sence, si l’on peut s’exprimer ainsi. Par conséquent, l’objection ne conclut pas puis- que l’âme n’est pas réellement composée. De plus, comme l’être des formes maté- rielles se trouve être l’être du composé, l’être de l’âme rationnelle n’est pas un autre être que celui de l’homme uni. En effet, la subsistance de l’âme rationnelle après la corruption du composé ne prouve pas qu’elle ait un être distinct alors qu’elle est principe du composé.

Les formes des substances matérielles sont ainsi conçues comme moins parfaites que celles des substances simples en raison de leur composition avec la matière. En effet,

celles-ci sont mêlées à plus de puissance que les formes simples. La raison en est que plus une forme est parfaite, plus elle s’assimile à Dieu qui est sans puissance. La per- fection d’une chose ne doit pas être attribuée à sa nature incorporelle, mais à une plus grande ressemblance de la nature divine qui est acte pur. C’est donc en vertu de cette ressemblance que l’âme rationnelle présente des perfections attribuées à Dieu telles la subsistance par soi, la connaissance intellectuelle et la capacité de mou- voir106. Comme la perfection est pensée proportionnelle à l’actualité de l’essence,

l’ange est dit plus noble que l’âme rationnelle qui est liée au corps.

Conséquemment, Thomas affirme que les espèces angéliques se distinguent selon le degré de puissance qui se trouve en elles. En effet, les essences angéliques ne sont pas plusieurs espèces d’un même genre, ce qui supposerait la composition de leur essence, mais chacune est un genre distinct. Comme la substance de l’ange est en puissance par rapport à son être, on peut la comparer à la matière qui est en puis- sance par rapport à la forme107. Si l’on définissait l’essence d’une matière, on pren-

drait le genre de ce qu’elle est et sa différence de son ordonnancement à la forme. Par exemple, la matière d’un banc de bois serait définie en tant que bois d’un banc. De même, dans la définition de l’essence d’un ange, le genre se prend de la substance même de l’ange et la différence de son ordonnancement à l’être108. Ainsi,

les anges diffèrent selon leur espèce et sont ordonnés à Dieu selon qu’il y a plus ou moins de puissance dans leur substance.

Enfin, si l’immatérialité de l’âme rationnelle garantit la subsistance de celle-ci et, par conséquent, sa survie à la corruption du composé homme, elle ne rend pas compte de son individuation. En effet, contrairement à l’ange dont l’essence s’identifie à un genre, les âmes rationnelles ne se distinguent pas quant à leur raison, mais sont indi- viduées par un corps109. C’est ainsi que l’essence de l’âme rationnelle est reçue dans

divers corps selon leur capacité propre, capacité de laquelle résulte la diversité de noblesse et de pureté des âmes. Aussi, lorsque le corps est détruit, l’âme conserve les affectations et les dispositions qui l’ont limitée en tant que perfection de tel corps.

106 Cf. In I Sent., q. 5, a. 2, ad 1, p. XXXIV et ad sed contra 2, p. XXXV. 107 Cf. Quodl. IX, ad 3, p. XLV-XLVI.

108 Cf. ibid., ad 4, p. XLVI.

Thomas tire cette solution d’Avicenne qui compare l’âme à la cire qui conserve l’em- preinte du sceau qui l’a marquée. Contrairement à l’eau qui, lorsqu’on la divise dans plusieurs vases, ne conserve pas la forme des vases lorsqu’on les retire, l’âme qui re- tient l’être par soi, conserve la limitation qui lui a été imprimée.

IV. Les occurrences d’actus essendi dans les extraits portant sur la théo-