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La distinction entre l’acte d’être et l’être dans une affirmation

III. Les occurrences d’actus essendi dans le cadre de la théorie des

2. La distinction entre l’acte d’être et l’être dans une affirmation

Dans le De veritate, la première difficulté que Thomas doit résoudre vient de la défi- nition d’Augustin  «  le vrai est ce qui est  » qui pose l’identité du vrai et de l’étant, mais en prédiquant l’étant du vrai. Il affirme dans un premier temps que cette défini- tion concerne la vérité quant à son fondement (fundamentum) dans la chose et non

55 Par conséquent, la quiddité dépend de l’essence en tant qu’elle est son expression. C’est pourquoi,

dans le passage du De veritate, Thomas dit que le nom « chose » se prend de l’essence ou de la quid- dité, en ce sens que « chose » exprime l’étant selon sa forme, soit constitutive de l’étant, soit considé- rée en elle-même.

56 DV, op. cit., p. 49. La majeure est tirée des axiomes du De hebdomadibus de Boèce que nous abor-

quant à l’accomplissement de sa raison dans l’adéquation de la chose à l’intellect57.

Il faut noter que Thomas d’Aquin distingue trois définitions de la vérité : (1) quant à son fondement dans la chose, (2) en tant qu’adéquation de l’intellect à la chose et (3) en tant qu’expression de ce fondement ou de ce rapport58. Le vrai est ici identifié,

selon la première définition, avec l’étant en tant qu’il lui est une propriété. Il ne se distingue alors de l’étant que selon sa raison propre qui consiste en la convenance de la chose à l’intellect, mais selon qu’elle n’est pas encore accomplie. L’accomplisse- ment de la raison de vérité correspond à la deuxième définition. Celle-ci s’explique par la gnoséologie de l’Aquinate : l’intellect abstrait les espèces intelligibles de la ma- tière sensible et devient intentionnellement, informé par ces espèces, l’essence de la chose appréhendée. La vérité-adéquation consiste notamment en la correspondance de cette connaissance de la chose ainsi produite dans l’esprit à l’essence de la chose même. Or la chose qui n’est pas encore appréhendée ne peut être adéquate à l’intel- lect. Elle est cependant apte à l’être, ce qu’exprime la formule du vrai ontologique comme « l’étant en tant qu’il convient à l’intellect ». La vérité a son fondement dans la chose en tant que c’est d’elle dont on tire la connaissance et que, sans la chose, la raison de vrai n’est pas accomplie selon la deuxième définition. « Le vrai est ce qui est » est donc à entendre dans le sens où « le vrai est ce qui est en tant qu’il convient à l’intellect ».

Thomas propose une deuxième lecture de la formule d’Augustin en distinguant l’être entendu comme acte d’être de l’être signifiant une affirmation dans une proposition. La définition d’Augustin est alors prise dans le sens de la vérité-adéqua- tion, comme celle d’Aristote. Selon le Stagirite, nous disons le vrai «  lorsqu’on dit être ce qui est ou ne pas être ce qui n’est pas »59. Le « est » dans « le vrai est ce qui

est » n’est pas alors à rapporter au vrai comme si l’on signifiait ses propriétés en tant que chose extramentale, mais doit être entendu de façon logique, en tant que signi- fiant le rapport de deux termes, abstraction faite de l’être qu’ils pourraient avoir dans la réalité extramentale. Thomas distingue ici les jugements dont la copule signifie

57 Ibid., p. 56-57. 58 Cf. ibid., p. 54-57.

59 Cette définition d’Aristote est introduite alors que Thomas distingue les trois types de vérité : la véri-

té ontologique dont nous avons traité, la vérité-adéquation dont il est ici question et la vérité manifes- tée. Cf. ibid., p. 55. Ou encore selon l’expression de Thomas : « de quelque (chose) qui est on dit qu’il est », p. 57.

l’être réel d’une chose, soit quant à son existence même, par exemple « Socrate est », soit quant au mode d’être de la chose ayant une existence extramentale, « Socrate est un homme  ». Le «  est  » exprime alors quelque chose qui est réellement et signifie ainsi l’acte d’être du sujet. En revanche, un jugement est dit logique lorsque celui-ci porte sur des termes dont on ne signifie pas l’existence ou le mode d’existence, par exemple « la licorne n’est pas un homme ». Aucune référence à l’existence de quoi que ce soit ne se trouve dans ce jugement. Deux notions sont dissociées, ne s’identi- fiant pas quant à leur raison. Thomas interprète le « est » de la formule d’Augustin en ce sens. Ce faisant, il se trouve cependant à affirmer l’aspect logique d’un jugement dont un des termes signifie le rapport de l’intellect à ce qui est, qui se trouve de ce fait être un rapport de type existentiel. En effet, lorsque l’intellect est dit correspondre à une chose, il ne s’agit pas de l’identité de deux notions, mais d’une notion, celle formée par l’intellect, et de la chose dans la réalité extramentale. Cependant, cette adéquation est signifiée par une notion, dans la formule d’Augustin, le « ce qui est ». Aussi, lorsqu’on affirme que le vrai est ce qui est, le « est » se trouve être l’être de la copule et ne pose aucun attribut réel à un sujet existant comme c’est le cas lorsque l’on dit, par exemple, que le vrai est la convenance de l’étant à l’intellect60.

Dans ces textes sur les transcendantaux, l’acte d’être se distingue de l’étant en tant qu’il est ce par quoi l’étant est dit « étant ». Mais, s’il est ce par quoi l’étant est dit étant, c’est qu’il se trouve d’une certaine façon dans l’étant. L’acte d’être, comme les autres attributs communs, se trouve en effet dans tout étant, du fait même que l’étant est étant, sans ajouter une nature différente que celle qui est déjà la nature de l’étant. Comme les autres transcendantaux, il appartient à l’étant en entier. En effet, ce n’est pas qu’une partie de l’étant qui est ou qui est numériquement distincte d’un autre étant, mais tout l’étant. Pourtant, il ne se prédique pas en tant que tel de l’étant. C’est plutôt un terme dérivé incluant sa raison qui est prédiqué de ce qui est. Ainsi, Socrate n’est pas lui-même un acte d’être, mais plutôt un étant. Cela signifie alors que So-

60 Pour la distinction entre jugement logique et jugement d’existence dans le cadre de la discussion sur

l’étant comme première conception de l’esprit, cf. J. C. Doig, Aquinas on Metaphysics : A Historico-

doctrinal Study of the Commentary on the Metaphysics, The Hague, Nijhoff, 1972, p. 349-352. Il est

aussi à noter que Thomas accorde un certain être aux conceptions de l’intellect, notamment pour cette raison que l’étant « se dit du non-étant quand celui-ci est appréhendé par l’intellect », DV, q. 1, a. 1, ad 7, trad. Peeters-Brouwer, p. 59. L’être intentionnel est cependant à distinguer du « est » copule. En effet, l’être de l’énoncé joint deux termes dans une affirmation. L’être intentionnel est l’être même des conceptions de l’esprit.

crate est considéré quant à son acte d’être, le terme « étant » signifiant l’étant quant à la considération de son acte d’être. De même, lorsque l’on dit que Socrate est un, on considère Socrate quant à l’indivision qui est consécutive à son être. Les termes déri- vés se trouvent ainsi inclure la notion d’étant, tout en ajoutant la considération d’une propriété transcendantale, sauf pour « étant » qui ne signifie en soi rien d’autre que l’acte d’être. Thomas, suivant Aristote, affirme à cet effet que la différence entre les termes dérivés n’est que notionnelle, la considération de chaque transcendantal dans l’étant n’ajoutant que sa notion au terme dérivé correspondant au transcendantal. On voit ainsi se profiler la distinction du plan réel et du plan notionnel. Au plan réel, on trouve l’étant porteur de tous les modes transcendantaux qui lui sont consécutifs en soi. Lorsque l’on dit qu’« étant » est pris de l’acte d’être, il s’agit de l’acte d’être de la chose même. En effet, quelque chose est dit étant parce qu’il est. Au plan notionnel, la raison propre à chacun des transcendantaux est consignée dans un terme dérivé nommant l’étant selon le transcendantal signifié. Leur notion vient ainsi nommer ce que l’on découvre être dans la chose même. Il convient par conséquent de distinguer la chose existante même, et ce qui s’y rapporte, de ce que l’on en affirme, c’est-à-dire distinguer le transcendantal même du terme dérivé selon lequel le transcendantal est prédiqué de l’étant.

L’acte d’être dans la théologie naturelle

Première partie : La simplicité absolue de Dieu

Dans le premier chapitre, nous avons identifié les deux axes de l’étant, c’est-à-dire le plan transcendantal des attributs communs à tout étant et le plan de la substance et des accidents qui divisent l’étant selon ses déterminations propres. Selon le plan des catégories, la substance est l’étant premier, subsistant par elle-même, alors que l’ac- cident est l’étant dans un autre. On peut encore distinguer les différents types de substance en fonction de leur simplicité. La substance matérielle est la moins simple de toutes, en tant que composée de forme et de matière. En revanche, la simplicité de la substance divine est absolue, Dieu étant non seulement immatériel, mais en- core sans composition aucune. L’ange, ou intelligence, ainsi que l’âme rationnelle présentent un statut intermédiaire entre la composition de la substance matérielle et la simplicité de l’essence divine. La principale difficulté de cet ordonnancement quant à la simplicité des substances consiste en la distinction des formes simples et de Dieu. En effet, comment les distinguer alors qu’ils sont incorporels, et par consé- quent dépourvus de matière, alors que la matière est principe d’individuation? L’acte d’être joue un rôle déterminant dans la solution que l’Aquinate propose à ce pro- blème. Nous aborderons les textes qui en font état dans la deuxième partie de ce chapitre. Dans cette première partie, nous traiterons de la simplicité divine en repre- nant les arguments que Thomas avance dans deux articles du Commentaire des Sen-

tences du Lombard où l’on retrouve la notion d’acte d’être, soit « L’être est-il propre-

ment dit de Dieu?  » et «  Dieu est-il dans la catégorie de la substance?  » ainsi que dans les articles de la Somme théologique et des Questions disputées sur la puissance

de Dieu portant spécifiquement sur la question de l’identité de l’être et de l’essence

en Dieu61.

61 Respectivement, In I Sent., d. 8, q. 1, a. 1, p. XXI, In I Sent., d. 8, q. 4, a. 2, p. XXVI, « En Dieu, la

substance, ou l’essence, est-elle la même <chose> que l’être », « L’essence et l’être sont-ils une même <chose> en Dieu ? », ST, Iª, q. 3, a. 4, p. XLVII et DP, q. 7, a. 2, p. L.