• Aucun résultat trouvé

L’équilibre entre subjectivisme et objectivisme dans la relation Suisse-UE

Section 1. Les éléments subjectifs classiques

B. Le subjectivisme lié à la nature des sujets de droit international

conventionnels. En outre, l’Union européenne est soumise à des conditions supplémentaires : elle peut prétendre, du fait de cette personnalité juridique internationale, à une capacité normative, mais celle-ci est en outre conditionnée par un second élément : sa charte constitutive. La nature de sujet, originaire ou dérivé, influence ainsi l’étendue et l’exercice du pouvoir attaché à la volonté.

B. Le subjectivisme lié à la nature des sujets de droit international

La Suisse est un sujet originaire du droit international, qui tire de sa qualité étatique des attributs de souveraineté qui lui confèrent un « pouvoir de vouloir » étendu171. En revanche, l’Union européenne est un sujet dérivé du droit international, institué et déterminé par une charte institutive qui conditionne son « pouvoir de vouloir ». Cependant, la volonté de la Suisse même si elle est un Etat souverain, n’est pas illimitée (1), et le pouvoir de vouloir de l’Union européenne, bien que davantage limité par sa nature, est étendu sur le plan matériel au fur et à mesure que ses compétences internationales progressent (2).

170 En effet, au vu de la structure décentralisée et peu institutionnalisée de l’ordre juridique international, la volonté du sujet de droit international joue un rôle essentiel dans l’élaboration du droit international.

171 La faculté de contracter des engagements internationaux est classiquement considérée comme un attribut de la souveraineté de l’État : CPJI, 17 août 1923 (arrêt), affaire du vapeur Wimbledon, série A, n° 1, p. 25.

70

1. Le « pouvoir de vouloir » de la Suisse

La qualité et le rôle de la volonté de la Suisse dépendent de la perception de la souveraineté, elle-même intrinsèquement liée à la conception du droit international. L’Etat exprime ainsi une volonté en vertu de ce qui est un attribut fondamental de sa qualité étatique : la souveraineté. La qualité de la volonté dépend alors de celle de la souveraineté. Or, sur ce point, différentes conceptions sont possibles. Dans une acception absolue de la souveraineté, celle-ci est considérée comme un « pouvoir originaire, illimité et inconditionné de l’État ». Cette vision peut alors conduire à considérer que « plus rien, à part sa propre volonté ‘d’autolimitation’, ne l’empêche d’empiéter sur la volonté des autres États »172. Ce n’est pas la conception qui sera retenue ici, compte tenu de certains arguments opposés aux doctrines purement volontaristes, arguments qui s’inscrivent dans un postulat que l’on rappellera.

D’abord, cette doctrine volontariste, en considérant que la « volonté créatrice de droit est forcément ‘autonome’ »173, ne parvient pas à expliquer

« la question majeure […] de savoir pourquoi l’État souverain est lié par sa volonté et pourquoi, une fois lié, il l’est irrémédiablement »174. Il y a des éléments objectifs qui s’appliquent et notamment des règles du droit international qui imposent à la volonté à t+1 de respecter les engagements pris à un instant t : c’est le principe pacta sunt servanda.

Une autre critique de la conception absolutiste de la souveraineté tient à la structure horizontale de l’ordre juridique international : « dans la société internationale contemporaine, largement interétatique, la souveraineté de chaque État se heurte à celles, concurrentes et égales, de tous les autres États. Dès lors, contrairement à ce qu’écrivent les auteurs volontaristes, la limitation de la souveraineté ne découle pas de la volonté de l’État mais des nécessités de coexistence des sujets de droit international »175.

172 Patrick DAILLIER/Mathias FORTEAU/Alain PELLET, Droit international public, Paris, LGDJ, 2009, 8ème éd., p. 466.

173 Ibid., p. 111.

174 Ibid., p. 114. Voir également la démonstration opérée par Alain PELLET, « Lotus que de sottises on profère en ton nom!: remarques sur le concept de souveraineté dans la jurisprudence de la Cour mondiale », in L’État souverain dans le monde d’aujourd’hui, Paris, Pedone, 2008, pp. 215-230, à propos de la place excessive accordée à la volonté de l’État à la suite de l’affaire du Lotus (CPJI, 7 septembre 1927, affaire du Lotus, Rec. série A, n° 10).

175 Patrick DAILLIER et a., Droit international public, op. cit., p.467. Dans le même sens : Juan-Antonio CARRILLO-SALCEDO, « Droit international et souveraineté des États », op. cit., p.45. Voir aussi Jean-Marc SOREL, « L’institutionnalisation des relations internationales », in E. LAGRANGE/J.-M. SOREL (dir.), Droit des organisations internationales, Issy-les-Moulineaux, 71

72

Les éléments subjectifs et objectifs déterminant la relation

La limitation de la souveraineté trouve ainsi son origine dans une coexistence des États souverains objectivement nécessaire.

Enfin, un troisième argument, qui laisse clairement apparaître le postulat choisi, tient à la prise en compte du contexte dans lequel se forme le droit.

L’approche réaliste retenue par Michel Virally176 s’efforce d’appréhender le droit « comme il se présente (comme un ensemble normatif), mais [aussi] de le replacer dans son environnement socio-historique sans lequel il n’a pas de réalité »177. Les volontaristes « négligent totalement le fait que l’État qui exprime une "volonté"

agit sous la pression de nécessités économiques et politiques déterminées et dans un cadre social donné »178. C’est l’idée, que l’on retrouve dans la théorie de l’acte de Jean Hauser, selon laquelle l’entrecroisement de la volonté et de l’objectif factuel relève de la « réalité la plus élémentaire »179 – « Le monde objectif y est étroitement combiné dès l’origine avec la volonté parce que c’est la volonté d’un homme qui y vit et parce que sa cause finale est ce monde objectif »180. Il en est de même pour l’État qui évolue dans une société internationale déterminée par des considérations géopolitiques, économiques, culturelles… Certains auteurs soulignent ainsi que l’interdépendance entre les Etats « est un phénomène aussi marquant que leur souveraineté »181. Compte tenu de ces interdépendances, le Conseil fédéral suisse considère même que l’indépendance est « dans un certain sens, un concept relatif »182. De l’interaction évidente et élémentaire de la volonté

LGDJ, 2013, p. 28, qui explique que le principe de l’égalité souveraine entre les Etats, « est une limite au volontarisme car la volonté de l’Etat est bridée par la coexistence avec d’autres Etats ».

Toutefois pour l’auteur ce principe est « une fiction et ne correspond pas à la réalité de la vie internationale. Le droit international actuel, au lieu de postuler seulement l’égalité souveraine des Etats, pose plutôt ce principe comme un objectif car les règles réelles et matérielles du droit international sont organisées à partir de la constatation de l’inégalité réelle des Etats » (Id.).

176 Ce qualificatif ne renvoie pas aux classifications des courants de théories du droit. Il vise une approche qui tente d’équilibrer l’étude et l’influence des facteurs volontaristes et objectivistes, légaux comme factuels.

177 Michel VIRALLY, « Panorama du droit international contemporain », R.C.A.D.I., 1983, V, t. 183, pp. 9-382, spéc. p. 26.

178 Patrick DAILLIER/Mathias FORTEAU/Alain PELLET, Droit international public, op. cit., p.115.

179 Jean HAUSER, Objectivisme et subjectivisme dans l’acte juridique, op. cit., p.82.

180 Id.

181 Pierre-Marie DUPUY/Yann KERBRAT, Droit international public, Paris, Dalloz, 2012, p. 409.

182 Il poursuit en concluant qu’ « Aucun pays n’est entièrement indépendant » si le mot devait être compris comme impliquant l’absence d’influence concrète d’éléments extérieurs : Rapport du Conseil fédéral du 24 août 1988 sur la position de la Suisse dans le processus d’intégration européenne, FF 1988, vol. III, n° 37, pp. 233-445, spéc. p. 322. Voir également les réflexions sur la souveraineté dans l’ouvrage : Katja GENTINETTA/Georg KOHLER (dir.), Souveränität im Härtetest : Selbstbestimmung unter neuen Vorzeichen, Zürich, NZZ Libro, 2010, 335 p.

de l’État avec l’élément objectif factuel, il résulte que la volonté de l’État est non-illimitée ; et c’est cette volonté non-abstraite qu’il exprimera dans l’exercice de sa capacité normative. Ces qualités de la volonté peuvent également être constatées s’agissant des organisations internationales.

2. Le « pouvoir de vouloir » de l’Union européenne

Fondées par un acte juridique établi par des Etats, les organisations internationales sont soumises au principe de spécialité183 qui tout à la fois impulse et contient leurs actions. Il signifie que les organisations doivent agir en vertu de leurs chartes constitutives, actes fondateurs par lesquels les Etats leur confèrent implicitement ou explicitement certains attributs : buts, missions, compétences, personnalité juridique.

Bien que la nature exacte de l’Union européenne ne puisse probablement pas être enserrée trop rapidement dans une catégorie, elle présente des caractéristiques d’une organisation internationale184. Ses compétences et pouvoirs sont limités en fonction de ses traités fondateurs185. Les traités UE et FUE définissent la compétence de l’Union européenne, c’est-à-dire le domaine matériel à l’intérieur duquel elle peut déployer ses activités, mais aussi le pouvoir de l’Union, c’est-à-dire le moyen juridique attribué à ses institutions pour mettre en œuvre les compétences qui lui sont reconnues186. Quand bien même des compétences supplétives permettent à l’Union de vouloir et d’agir dans une situation qui n’a pas été prédéterminée par le traité, ces dispositions ne lui confèrent pas un pouvoir de vouloir comparable à celui de l’Etat.

Ces limites sont importantes pour la relation Suisse-UE puisqu’elles conditionnent la volonté et la capacité de l’Union européenne d’agir

183 « Principe en vertu duquel les droits et les devoirs d’une organisation internationale sont restreints aux buts et aux fonctions de celle-ci, énoncés ou impliqués par son traité constitutif et développés dans la pratique » : Jean SALMON, Dictionnaire de droit international public, op. cit., p.1047.

184 Denys SIMON/Anne RIGAUX, « Les Communautés et l’Union européenne comme organisations internationales », in E. LAGRANGE/J.-M. SOREL (dir.), Droit des organisations internationales, op. cit., pp. 114-141.

185 Sur les compétences et pouvoirs, on se reportera aux définitions données par Vlad CONSTANTINESCO, Compétences et pouvoirs dans les Communautés européennes, Paris, LGDJ, 1974, spéc. pp. 68 et s. et 82 et s.

186 La définition est reprise de la formule employée par Denys SIMON, L’interprétation judiciaire des traités d’organisations internationales, Paris, Pedone, 1981, spéc. p. 165, note 58.

73

74

75

Les éléments subjectifs et objectifs déterminant la relation

juridiquement avec la Suisse. Au sein de l’Union, cette limitation se manifeste par un choix approprié de la base juridique de l’acte adopté, qui est une question d’ordre constitutionnel déterminante pour la validité de son consentement187. Selon le type de compétences dont l’Union dispose, elle peut établir ou non une relation conventionnelle avec la Suisse. Ces limites conditionnent « le périmètre de la relation Suisse-UE » mais elles peuvent être partiellement « compensées » par la conclusion d’accords mixtes, qui permettent à la relation Suisse-UE de s’établir même lorsque l’Union ne dispose pas d’une compétence externe couvrant l’ensemble de l’accord envisagé, en associant les Etats membres de l’UE188. En outre, ces limites sont évolutives et le pouvoir attaché à la volonté de l’Union est étendu au fur et à mesure que ses compétences augmentent. Une relation entre la Suisse et les Etats membres de l’UE ou certains d’entre eux peut ainsi théoriquement devenir une relation Suisse-UE compte tenu de l’évolution des compétences de l’Union européenne189.

Dès que la capacité de l’Union européenne est acquise, c’est-à-dire dès que la relation Suisse-UE « a vocation » à s’établir, l’Union est alors juridiquement dans une situation comparable à la Suisse dans l’ordre international sur un point : le consentement des organisations internationales est en principe requis pour que celles-ci soient liées par des règles conventionnelles, comme

187 CJCE, 6 décembre 2001, Protocole de Cartagena, avis 2/00, Rec. 2001, p. I-09713, pt. 5 :

« la Communauté ne disposant que de compétences d’attribution, elle doit rattacher le protocole à une disposition du traité qui l’habilite à l’effet d’approuver un tel acte. Le recours à une base juridique erronée est donc susceptible d’invalider l’acte de conclusion lui-même et, partant, de vicier le consentement de la Communauté à être liée par l’accord auquel cette dernière a souscrit ». Du point de vue du droit international, en vertu de l’art. 46, par.2, de la Convention de Vienne de 1986 sur le droit des traités entre Etats et organisation internationale (qui reprend des règles coutumières), la nullité du traité conclu en violation du droit interne d’une organisation est (comme pour les Etats) limitée.

188 Sur les accords mixtes dans la relation Suisse-UE, voir, infra, chapitre 2, section 2, n° 174 et s.

189 Une hypothèse de substitution comparable à celle réalisée pour le GATT ne semble pas s’être posée dans le cadre des relations entre la Suisse et les Etats membres de l’UE.

Toutefois, on soulignera l’évolution de la convention de Lugano de 1988 conclue entre la Suisse (et les autres Etats de l’AELE) et les Etats de la CE (RO 1991 2436 /JO L 319 du 25.11.1988, p. 9), qui reprenait la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 signée entre les Six (JO L 299 du 31.12.1972, p. 32). Après l’entrée en vigueur du traité d’Amsterdam, le Conseil de l’UE a « transformé » la Convention de Bruxelles en un règlement (n° 44/2001 du 22 décembre 2000, dit « Bruxelles I », JO L 12 du 16.01.2001, p. 1). La convention de 1988 a ensuite été remplacée par une « nouvelle convention de Lugano » du 30 octobre 2007 (RO 2010 5609 / JO L 147 du 10.06.2009, p. 5), conclue cette fois entre la Suisse (et les autres Etats de l’AELE) et la Communauté (ainsi que le Danemark en raison de sa position particulière dans ce domaine).

76

c’est le cas pour les sujets étatiques. Par conséquent, la relation Suisse-UE ne peut s’établir en principe que par des traités internationaux auxquels la Suisse et l’Union ont consenti. De ce point de vue, un « pouvoir de vouloir » de l’Union et de la Suisse est nécessaire pour que s’établissent entre elles des liens conventionnels. Et c’est parce que la relation Suisse-UE part juridiquement sur une situation égalitaire ou du moins similaire, que les éléments factuels d’inégalité auront une influence marquée dans cette relation juridique190. Par conséquent, malgré certaines différences quant aux contraintes supplémentaires qui pèsent sur l’Union européenne, cette dernière et la Suisse peuvent exprimer une volonté propre qui permet de fonder une relation juridique notamment conventionnelle. Si l’on cherche à en préciser le contenu, on peut souligner, toujours à partir des enseignements généraux du droit international, que leur volonté est celle d’établir des relations tout en conservant la plus grande marge de manœuvre possible.

II. La prétention à l’autonomie des sujets de droit international

L’analyse du contenu de la volonté de la Suisse et celle de l’Union européenne se fonde ici sur les travaux de Michel Virally qui cherche à identifier les contraintes objectives et subjectives auxquelles sont soumis les Etats, et qui peuvent être généralisées aux organisations internationales.

Parmi ces éléments, la prétention à l’indépendance et plus largement à l’autonomie, constitue une aspiration classique et commune des sujets de droit international (A). Mais il s’agit d’une revendication à une liberté d’action « aussi totale et incontrôlée que possible »191 : elle se heurte donc à des aspirations similaires et contraires, à des nécessités de coopérations et notamment à des nécessités de sécurité juridique. Ces éléments sont, du point de vue du sujet qui manifeste une volonté d’autonomie, objectifs.

Dès lors, la volonté d’autonomie intègre des éléments objectifs qui enserrent son action entre l’objectivement nécessaire et le réalisable (B).

190 Voir, infra, chapitre 2, section 1, n° 133 et s.

191 Michel VIRALLY, « Panorama du droit international contemporain », op. cit., p.35.

77

Les éléments subjectifs et objectifs déterminant la relation