• Aucun résultat trouvé

Conclusion du chapitre 1

Section 2. Les éléments objectifs juridiques

A. L’influence du droit constitutionnel suisse

1. L’influence de la neutralité

La neutralité de la Suisse est l’un des principaux éléments déterminant la politique de la Suisse à l’égard de l’Union européenne. De manière générale, le sens d’influence de la neutralité réside probablement dans la position prudente et pragmatique de la Suisse à l’égard de la construction européenne.

Il s’agit là d’une influence générale, et on soulignera que la neutralité a pu être considérée comme un obstacle à l’adhésion de la Suisse aux Communautés européennes514 mais aussi comme n’empêchant pas une adhésion515. Cette variation s’explique au regard de la distinction entre le droit de neutralité qui en cerne les limites véritablement juridiques, et la politique de neutralité déployée pour garantir l’efficacité et la crédibilité de la neutralité,

« définie en fonction du droit, de la situation internationale, de l’histoire et de la tradition, ainsi que de l’intérêt du pays »516.

Le droit de neutralité n’impose que des restrictions assez précises à la Suisse dans ses affaires étrangères. Ces obligations trouvent une partie de leurs fondements en droit international517. En contrepartie de l’inviolabilité de son territoire, la Convention de la Haye de 1907 impose à la Suisse le devoir de ne pas participer à la guerre, d’assurer sa propre défense et de garantir l’égalité de traitement des belligérants. Quant à la Constitution fédérale suisse, elle établit les compétences de l’Assemblée fédérale et du Conseil

514 Message du Conseil fédéral du 5 février 1960 sur la participation de la Suisse à l’association européenne de libre-échange, FF 1960, vol. I, n° 10, pp. 869-1131, spéc. p. 889.

515 Rapports du Conseil fédéral du 18 mai 1992 sur la question d’une adhésion de la Suisse à la Communauté européenne, FF 1992, vol. III, n° 27, pp. 1125-1320, et du 29 novembre 1993 sur la neutralité, FF 1994, vol. I, n° 3, pp. 200-237, spéc. pp. 227 et s., pt. 5.

516 Définition du site du Département fédéral des affaires étrangères suisse. Une telle distinction est ancienne et se retrouve par exemple dans le rapport du Conseil fédéral du 26 octobre 1962 concernant les relations de la Suisse avec le Conseil de l’Europe, FF 1962, vol. II, n° 46, pp. 1073-1104, spéc. pp. 1085 et s.

517 La neutralité apparaît en 1516 à la suite de la bataille de Marignan, et sera consacrée dans l’ordre juridique international par le Traité de Paris du 20 novembre 1815, par lequel les grandes puissances européennes reconnaissent la neutralité perpétuelle de la Suisse et garantissent l’inviolabilité de son territoire. Déclaration du 20 mars 1815 des Puissances signataires de la Paix de Paris du 30 mai 1814 [l’Autriche, la France, la Grande-Bretagne, le Portugal, la Prusse, et la Russie], l’Accession de la Confédération suisse du 27 mai 1815 et l’Acte portant reconnaissance et garantie de la neutralité perpétuelle de la Suisse et de l’inviolabilité de son territoire du 20 novembre 1815.

Le régime juridique de la neutralité de la Suisse est ensuite précisé en 1907 avec les Conventions de La Haye du 18 octobre 1907 concernant les droits et les devoirs des puissances et des personnes neutres en cas de guerre sur terre (RO 26 376) et de guerre maritime (RO 26 530), ratifiées le 12 mai 1910 par la Suisse.

206

207

Les éléments subjectifs et objectifs déterminant la relation

fédéral afin d’assurer la neutralité et l’indépendance de la Suisse518, mais elle n’en fait pas un but de la Confédération ou de la politique étrangère519. Par conséquent, juridiquement, le droit de neutralité qui impose à la Suisse de ne pas prendre parti matériellement dans un conflit international, ne s’oppose pas directement à l’adhésion de la Suisse à l’Union européenne et, auparavant, la Communauté. Si en 1960 la Suisse rejette cette perspective520, c’est en application d’une politique de neutralité.

Or, cette politique de neutralité varie car « les limites à ne pas dépasser pour que la neutralité suisse reste crédible ne peuvent pas être fixées une fois pour toutes. Elles dépendent, en particulier, des modifications politiques et économiques qui peuvent survenir tant en Europe que dans le monde »521. De manière générale cependant, cette politique de neutralité a souvent été définie dans le sens d’une retenue de la Confédération à l’égard d’alliances politiques, compte tenu de l’histoire de la Suisse. En effet, une politique de neutralité restrictive peut apparaître comme une garantie de la cohésion interne de la Confédération. D’une part, la Suisse s’est construite notamment depuis 1516 en instaurant une tradition de neutralité. La neutralité est ainsi une notion qui « plonge ses racines dans la longue histoire du pays »522, une notion ancrée « dans la conscience nationale suisse »523. D’autre part, la Suisse s’est formée à partir de l’union de cantons avec d’importantes différences sur le plan linguistique, culturel, économique ou confessionnel.

518 Art. 85, par. 6 et art. 102, par. 9, de la Constitution fédérale du 29 mai 1874.

Art. 173, par. 1, pt. a) et art. 185, par. 1, de la Constitution du 18 avril 1999.

519 Les rédacteurs des Constitutions de 1848, 1874 et 1999 ont « sciemment évité de citer la neutralité dans les buts de la Confédération ou dans les principes de politique étrangère » : DFAE, L’essentiel sur la neutralité de la Suisse, p. 1.

520 « Une adhésion de la Suisse à une organisation telle que la communauté, dont le caractère politique est évident et qui est en outre nettement limitée du point de vue géographique, ainsi que l’abandon partiel de l’indépendance nationale - fondement de la neutralité suisse - que cette adhésion aurait impliqué, auraient été considérés comme le début d’un processus de dégradation de la neutralité et de l’indépendance de la Suisse, même si les obligations incombant à un Etat neutre en cas de guerre pouvaient être formellement réservées » : Message du Conseil fédéral du 5 février 1960 sur la participation de la Suisse à l’AELE, op. cit., p.889.

521 Rapport du Conseil fédéral du 24 août 1988, sur la position de la Suisse dans le processus d’intégration européenne, FF 1988, vol. III, n° 37, pp. 233-445, spéc. p. 323. Sur la position initiale de la Suisse face à l’intégration européenne, voir Henri RIEBEN, « La Suisse et la Communauté européenne », Revue économique, 1960, vol. 11, n° 5, pp. 705-738, qui souligne le lien entre la politique économique extérieure et la politique étrangère.

522 Etienne BOURGNON, « La Suisse dans le conflit idéologique contemporain », Politique étrangère n° 1, 1952, p. 477.

523 Rapport du Conseil fédéral du 24 août 1988, op. cit., spéc. p. 321.

208

La neutralité de la Confédération est ainsi un moyen de préserver la cohésion interne d’un pays susceptible de voir des choix de la Confédération entraîner des tensions internes entre des cantons hétérogènes524. Par conséquent, les limitations induites par le principe juridique de neutralité sont en général renforcées par la perception que les Suisses se font du principe de neutralité, c’est-à-dire par la politique de neutralité.

Compte tenu de la contingence des autres facteurs (l’économie, la situation politique sur le plan international), il est difficile de préciser davantage la politique de neutralité, laquelle influence à son tour la politique de la Suisse à l’égard de l’Union européenne. Cette position est en outre liée à celle que la Suisse adopte à l’égard des autres organisations internationales qui interviennent au niveau régional525 ou mondial526. Ainsi, la position de la Suisse à l’égard de l’Union européenne est-elle susceptible d’évoluer depuis l’adhésion en 2002 de la Suisse à l’Organisation des Nations Unies.

Aujourd’hui, « une majorité de Suisses continue d’estimer que la neutralité suisse est incompatible avec une adhésion [à l’Union européenne]»527. En revanche,

524 Par exemple, le DFAE souligne que : « L’abandon de la neutralité au profit d’une politique extérieure active aurait certainement débouché, au XVIe siècle par exemple (conflits confessionnels), sur des tensions que la Suisse n’aurait pas pu supporter ». DFAE, La neutralité de la Suisse, 4ème éd., p. 3.

525 La coopération économique européenne réalisée dans le cadre de l’OECE a été envisagée sous l’angle de la neutralité. Le Conseil fédéral avait considéré que: « Notre statut de neutralité s’oppose à ce que nous participions à une alliance politique ouverte ou déguisée, mais il n’empêche pas — et la solidarité, qui est le complément naturel de cette neutralité, nous le commande au contraire — de prendre part au relèvement économique de l’Europe » : message du Conseil fédéral du 26 août 1948, concernant la ratification de la convention de coopération économique européenne, FF 1948, vol. II, n° 34, pp. 1113-1157, spéc. p. 1135.

En revanche, la Suisse n’a pas adhéré au Conseil de l’Europe lors de sa création en 1949, et a attendu qu’il relègue ses ambitions « de constituer le cadre d’une politique européenne commune » : message du Conseil fédéral du 15 janvier 1963 concernant l’adhésion de la Suisse au Statut du Conseil de l’Europe, FF 1963, vol. I, n° 4, pp. 109-112. Voir également le rapport du Conseil fédéral du 26 octobre 1962 concernant les relations de la Suisse avec le Conseil de l’Europe, FF 1962, vol. II, n° 46, pp. 1073-1104.

526 Bien qu’elle ait été membre de la Société des Nations, la Suisse n’a pas adhéré à l’Organisation des Nations Unies lors de sa création. Seule la participation à certaines institutions spécialisées (UNICEF, UNESCO) avait été jugée compatible avec sa neutralité.

En 1986, le peuple suisse rejetait à plus de 75% des voix le projet d’adhésion à l’ONU,

527 René SCHWOK, « Un rapprochement... qui éloigne la Suisse d’une adhésion », R.M.C.U.E., 2004, n° 483, p. 650.

209

210

Les éléments subjectifs et objectifs déterminant la relation

la politique de neutralité de la Suisse n’exclut pas l’alignement de la Suisse sur les sanctions de l’Union européenne528, le Conseil fédéral soulignant même que, « depuis 1998, la Suisse a repris à son compte pratiquement toutes les sanctions décidées par l’UE »529. En outre la politique de neutralité n’exclut pas la participation de la Suisse à des missions de PESC/PESD de l’Union, de nature civile mais aussi militaire530. Néanmoins, Cécile Rapoport souligne que contrairement à la coopération établie entre l’Union européenne et d’autres Etats tiers, la participation de la Suisse n’a pas été systématisée par un accord-cadre : ce modèle d’accord « n’est pas adapté à la neutralité suisse »531, du moins à la politique de neutralité.

C’est ainsi peut-être moins la dimension juridique de la neutralité suisse que sa signification politique pour la Suisse qui explique sa volonté de ne pas adhérer à l’Union européenne. Un constat similaire peut être fait à l’égard du fédéralisme caractérisant l’Etat suisse.

2. L’influence de l’organisation fédérale de la Suisse