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L’influence générale des lois adaptées au droit de l’Union européenne

Conclusion du chapitre 1

Section 2. Les éléments objectifs juridiques

B. L’influence des lois fédérales adaptées au droit de l’Union européenne

1. L’influence générale des lois adaptées au droit de l’Union européenne

Les lois fédérales suisses peuvent avoir une influence sur la relation Suisse-UE en premier lieu et classiquement, lorsqu’elles mettent en œuvre un accord Suisse-UE. La mise en œuvre des règles posées par les accords Suisse-UE dépend de leur régime juridique interne d’exécution, y compris celui déployé dans des mesures dites d’accompagnement597. L’hypothèse d’une application correcte et commune entre la Suisse et l’Union européenne incite par ailleurs au développement des relations conventionnelles.

D’autres dispositions fédérales, sans être des mesures d’exécutions des accords Suisse-UE, ont néanmoins une influence sur la relation Suisse-UE.

Il y a d’abord des dispositions financières qui ont défini le cours de la monnaie suisse par rapport à l’euro598, ou qui tentent de « compenser » la non-participation de la Suisse à des programmes de l’UE, dans l’optique de conclure ultérieurement un accord assurant cette participation. Dans le domaine audiovisuel599, de l’éducation ou de la recherche600, la Suisse a

597 Voir notamment celles de l’ALCP : Daniel VEUVE, « Mesures d’accompagnement de l’Accord sur la libre circulation des personnes », in D. FELDER/ C. KADDOUS (dir.), Accords bilatéraux Suisse-UE, op. cit., pp. 291-311 ; Daniel VEUVE, « Les mesures d’accompagnement liées à l’extension de l’ALCP », in C. KADDOUS/ M. JAMETTI GREINER (dir.), Accords bilatéraux II Suisse-UE, Bruxelles, Bruylant, 2006, pp. 849-867.

598 La Banque nationale suisse avait décidé le 6 septembre 2011 de fixer le franc suisse sur un cours plancher de l’euro, avant de mettre fin à ce taux, le 15 janvier 2015. Sur ces questions, voir la thèse en économie de Guillaume VALLET, Intégration économique et autonomie politique : le cas Suisse-Union européenne : le franc suisse et l’euro, 2009, 436 p. ainsi que son article « La Suisse et la zone euro : une zone monétaire optimisée ? », R.M.C.U.E, n° 543, déc. 2010, pp 624-635. Voir également les réflexions de la politique monétaire de la Suisse, sous le prisme de sa souveraineté, développées par Ernst BALTENSPERGER,« Geldpolitik: Autonomie als Stabilitätsanker », in K. GENTINETTA/G. KOHLER (dir.), Souveränität im Härtetest : Selbstbestimmung unter neuen Vorzeichen, Zürich, NZZ Libro, 2010, pp. 163-190.

599 « Depuis le non à l’EEE de 1992, l’office fédéral de la culture (OFC) essaie, à coup de mesures financières compensatoires, de prévenir l’isolement de la Suisse dans le domaine de l’audiovisuel. […]. Mais 227

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Les éléments subjectifs et objectifs déterminant la relation

adopté des mesures visant à pallier, au moins partiellement, la non-participation aux programmes MEDIA, Erasmus + ou Horizon 2020.

Méritent enfin une attention, les lois fédérales adaptées de manière autonome au droit de l’UE. Si cette adaptation concerne également le niveau cantonal601, elle fait l’objet d’une certaine officialisation au niveau fédéral dans la mesure où le législateur fédéral a mis en place une stratégie d’étude de la compatibilité de certains projets de loi avec le droit européen. Cette stratégie répond à une contrainte précédemment identifiée, celle de l’influence du processus d’unification du droit entre les Etats membres de l’UE602. Sur le fond, les lois fédérales peuvent intégrer des dispositions du droit de l’UE au fur et à mesure que progresse l’harmonisation au sein de l’Union européenne, en reprenant par exemple des prescriptions techniques de sécurité pour les marchandises ou produits phytosanitaires, ou des prescriptions en matière sociale. Les lois fédérales peuvent également reprendre certains principes cardinaux du droit de l’UE de la libre circulation en l’absence d’harmonisation des règles entre les Etats membres. Ainsi, en 1994, la loi sur le marché intérieur impose entre les cantons suisses une

ces mesures ne pouvaient et ne peuvent d’aucune façon remplacer la participation de la Suisse au programme MEDIA. Les coproductions entre la Suisse et les pays membres de l’Union sont difficiles, parce que, si elles apportent une compensation du côté suisse, ces mesures sont inopérantes pour le partenaire » : message du Conseil fédéral du 1er octobre 2004 relatif à l’approbation des accords bilatéraux entre la Suisse et l’Union européenne, FF 2004, vol. I, n° 44, pp. 5593-5924, spéc. pp. 5678-5679.

600 La votation « Contre l’immigration de masse » du 9 février 2014 avait entraîné la suspension des négociations sur la participation de la Suisse aux programmes de l’Union européenne Erasmus + et Horizon 2020. Le 16 avril 2014, le Conseil fédéral a adopté des solutions transitoires pour permettre une mobilité des étudiants. Il a prolongé cette solution pour les années 2015, 2016 et 2017. Les coûts de ces solutions transitoires sont couverts par les crédits prévus initialement pour les contributions aux programmes destinées à être versées à la Commission européenne en vue de l’association initialement prévue de la Suisse à Erasmus+ (soit 22,7 millions de francs CHF pour 2014 ; 23,9 millions CHF pour 2015 ; 25,1 millions CHF pour 2016 et 36 millions CHF pour 2017). En matière de recherche, la Suisse et l’Union européenne se sont accordées pour permettre du 15 septembre 2014 au 31 décembre 2016 aux chercheurs suisses de participer en tant que partenaires associés à droits égaux à certaines activités du programme Horizon 2020 (les activités dites de «premier pilier»). La Suisse conservait un statut de pays tiers pour les autres appels à propositions du programme de l’UE ; les chercheurs suisses ne pouvant bénéficier de financements dans ces projets, le Conseil fédéral a décidé le 25 juin 2014 de prévoir un fonds de financement national. Depuis le 1er janvier 2017, la Suisse participe pleinement à tous les piliers du programmes Horizon prévus par l’accord de coopération scientifique de 2014.

601 Bettina KAHIL, Suisse-Europe : mesurer le possible, viser à l’essentiel, Centre Patronal, Lausanne, 1995, 105 p., spéc. pp. 26-27 et les références citées.

602 Voir, supra, §1, B), n° 180 et s.

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reconnaissance fondée sur le principe « Cassis de Dijon » développé par la Cour de justice des Communautés européennes603 ; et en 2009, la loi sur les entraves techniques au commerce est modifiée dans le sens d’une application du principe « Cassis de Dijon » aux produits originaires de l’UE (et plus largement de l’EEE)604.

Ces législations contribuent à la mise en place d’un « espace juridique eurocompatible »605 avec l’espace juridique de l’Union européenne et favorisent la conclusion ultérieure d’accords entre la Suisse et l’Union européenne.

En effet, compte tenu de l’importance du droit de l’UE606, la relation entre la Suisse et l’Union européenne s’établit sur le plan conventionnel par des accords fondés sur le droit de l’UE. Plus précisément, les accords peuvent imposer à la Suisse la reprise de règles de l’Union européenne, en général listées en annexe ; ils peuvent aussi reconnaître l’équivalence entre les législations suisses et européennes listées, et en réalité l’équivalence de la législation suisse à celle de l’Union européenne607. L’adaptation autonome de la Suisse au droit de l’UE facilite ainsi la reconnaissance par l’Union de la possibilité pour la Suisse d’appliquer un accord de reprise du droit de l’UE puisque les modifications seront limitées ; de même, elle facilite la reconnaissance par l’Union de l’équivalence de la législation suisse au droit de l’UE608. En d’autres termes, l’adaptation unilatérale de la Suisse au droit de l’UE prépare l’application conventionnelle d’un droit commun, en facilitant l’aboutissement des négociations et la mise en œuvre de l’accord conclu.

603 Comme l’explique le Conseil fédéral suisse, la loi sur le marché intérieur (LMI) « entend en tout premier lieu appliquer le principe dit Cassis-de-Dijon, adapté à cette occasion au cadre juridique suisse » : Message du 23 novembre 1994 concernant la LMI, FF 1995, vol. I, n° 10, pp. 1193-1272, spéc. p. 1216. Cette application est matériellement étendue à la reconnaissance des autorisations accordées à toutes les formes d’activités lucratives. S’agissant des marchandises, voir la liste des réserves d’intérêts publics, jugée compatible avec la jurisprudence de la CJCE : message du 15 février 1995 concernant la loi fédérale sur les entraves techniques au commerce (LETC), FF 1995, vol. II, n° 15, pp. 489-603, spéc. p. 547.

604 Sur cette loi, voir, infra, n° 232 et s.

605 Rapport Europe 2006 du Conseil fédéral, op. cit., p.6477.

606 Importance que l’on a pu apercevoir au titre des éléments factuels (supra, section 1, n° 141, et n° 153) et légaux (supra, section 2, n° 169 et s.).

607 Sur les principes de reprise et d’équivalence dans les accords Suisse-UE, voir, infra, titre 2, chapitre 1, n° 434 et s.

608 Par exemple, à propos de l’accord sur les obstacles techniques au commerce : « Cet accord est le résultat de la voie de l’adaptation autonome empruntée par la Suisse dans différents domaines » : Message du Conseil fédéral du 23 juin 1999 relatif à l’approbation des accords sectoriels entre la Suisse et la CE, FF 1999, vol. VI, n° 34, pp. 5440-6398, spéc. p. 5482, pt. 166.3.

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Les éléments subjectifs et objectifs déterminant la relation

L’influence sur la relation Suisse-UE de ces lois fédérales varie cependant selon l’optique dans laquelle l’adaptation est réalisée. Du point de vue de l’objet, les lois fédérales, comme celle sur le marché intérieur ou une partie de la loi sur les avocats, peuvent reprendre des dispositions qui s’appliquent entre les Etats membres de l’Union européenne pour approfondir le marché intérieur entre les cantons suisses. Les lois fédérales peuvent également soumettre des situations qui ont plus directement « vocation » à entrer en relation avec l’Union européenne (par exemple des produits marchands) à un droit qui en reprend les solutions. Du point de vue de la technique, l’adaptation peut être envisagée de manière négative, pour éviter une distorsion avec le droit de l’UE ; ou de manière positive, lorsque l’acte (ou la disposition en cause) est un instrument à part entière de poursuite des intérêts suisses609. Certes, en évitant une divergence qu’elle juge inutile, la Suisse poursuit un objectif positif, celui d’améliorer « l’efficacité » de la règle en cours d’élaboration. Dans les deux cas, l’adaptation se réalise parce qu’elle répond à un objectif de la Suisse, et correspond ainsi à une approche pragmatique considérant la portée européenne de sa législation. Mais dans le premier cas, le projet législatif est dessiné et la divergence avec le droit de l’UE est un effet que l’on gomme parce qu’il y va d’un intérêt de la Suisse ; dans le second au contraire, des contours entiers de l’acte envisagé sont fonction du droit de l’Union européenne. Bien plus que des contours, c’est parfois l’existence même de la législation suisse qui s’explique par l’adoption du droit de l’UE comme référentiel. Est topique de cette hypothèse, la modification de la loi sur les entraves au commerce qui vise à insérer un principe équivalent au principe européen « Cassis de Dijon ». Elle constitue néanmoins un cas particulier d’adaptation à la fois sur sa portée directe dans la relation Suisse-UE et sur la technique juridique qu’elle met en œuvre.