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Conclusion du chapitre 1

Section 2. Les éléments objectifs juridiques

B. L’influence des lois fédérales adaptées au droit de l’Union européenne

2. L’influence de la loi fédérale « Cassis de Dijon »

L’introduction en droit suisse du principe européen « Cassis de Dijon » constitue une forme d’adaptation autonome qui se distingue de la plupart

609 En ce sens, voir Francesco MAIANI, « Legal Europeanization as Legal Transformation:

Some Insights from Swiss ‘Outer Europe’ », in F. MAIANI et a. (dir.), EUI Working Papers n° 2009/10, pp. 111-123, spéc. p. 113. Pour l’auteur, l’européanisation unilatérale renvoie au fait que le droit de l’UE peut être « a major source of inspiration in a logic of lesson-drawing » ; bien plus, elle peut désigner une politique législative « aiming specifically at euro-compatibility », l’auteur limitant toutefois à ce dernier cas le terme d’adaptation autonome.

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des autres. Avec la révision de la loi sur les entraves techniques au commerce610, l’adaptation n’est pas conçue négativement pour éviter des divergences inutiles, mais positivement parce qu’elle a pour but « de doter l’instrumentaire visant à lutter contre les entraves techniques au commerce d’un volet supplémentaire »611. Ici c’est l’intérêt de la Suisse qui suscite l’adoption d’une loi alignée partiellement sur le droit de l’UE. La différence porte donc sur le moment de prise en compte de l’intérêt de la Suisse : a posteriori et comme rectificatif dans les premiers cas, alors qu’il apparaît en amont de la loi de 2009 comme élément déterminant l’existence même de cette loi parce que l’adaptation au droit de l’UE constitue l’objet même de l’intérêt de la Suisse tel qu’identifié par le législateur fédéral. L’introduction du principe Cassis de Dijon par cette loi est en particulier considérée comme l’un des volets de la lutte contre les entraves techniques au commerce, les deux autres étant

« l’harmonisation autonome et le développement du réseau d’accords internationaux »612. L’adaptation au droit de l’UE constitue donc l’objet même de la loi qui appréhende une situation commerciale avec l’Union.

Le contenu de cette adaptation au droit de l’UE rend également spécifique la loi sur les entraves techniques. Dans la plupart des autres cas613, l’adaptation portait sur les dispositions du droit de l’UE, et aboutissait à une harmonisation. L’équivalence du droit suisse avec le droit de l’UE qui en résultait était une équivalence des dispositions matérielles des deux législations. La loi suisse de 2009 renforce cette harmonisation des prescriptions suisses avec le droit de l’UE mais elle va plus loin en réglant le cas des prescriptions qui n’auraient pas été harmonisées avec le droit de l’UE614. Pour ces dernières, la loi suisse reprend – partiellement – le principe Cassis de Dijon applicable entre les Etats membres de l’UE615.

610 Loi fédérale du 12 juin 2009 modifiant la loi sur les entraves techniques au commerce (LETC), RO 2010 2617.

611 Message du 25 juin 2008 concernant la révision partielle de la loi fédérale sur les entraves techniques au commerce (LETC), FF 2008, vol. I, n° 35, pp. 6643-6730, spéc. p. 6657.

612 Message concernant la révision partielle de la LETC, op. cit., p. 6659.

613 La loi sur le marché intérieur avait également repris le principe « Cassis de Dijon » pour régler la circulation entre les cantons suisses. Voir, supra, 1, n° 229.

614 Cette différence se dégage également des rapports du Conseil fédéral qui distingue la révision de la LETC visant à introduire le principe « Cassis de Dijon » de l’harmonisation autonome (sur les dispositions matérielles) : Message du 25 juin 2008, op. cit., p. 6659.

615 Au sein de l’UE, comme toutes les prescriptions ne sont pas harmonisées entre les Etats membres, la Cour de justice considère depuis 1979 que les Etats doivent reconnaître la législation appliquée lors de la fabrication du produit et permettre la commercialisation 233

Les éléments subjectifs et objectifs déterminant la relation

Cette législation permet ainsi, lorsque les prescriptions suisses et européennes ne sont pas harmonisées, de commercialiser en Suisse un produit légalement mis en circulation dans l’Union (et plus largement dans l’EEE). L’adaptation du droit suisse au droit de l’UE porte donc sur le principe de reconnaissance mutuelle ; elle constitue en quelque sorte une

« équivalence sur le principe d’équivalence ».

Mais cette adaptation met aussi en exergue l’action unilatérale du législateur suisse, en tant qu’elle est l’expression juridique d’un pouvoir qui n’implique pas de réciprocité. D’une part, cette adaptation unilatérale met en évidence le pouvoir du législateur suisse. Dès lors que l’application du principe Cassis de Dijon ne trouve pas sa source dans une obligation juridique616, la Suisse peut moduler ce principe. A cet égard, une liste d’exceptions a été établie et un régime spécial a été mis en place pour les denrées alimentaires. Mais, et d’autre part, la loi suisse ne peut que reconnaître les effets de la législation d’un Etat membre sur le territoire suisse. Elle ne peut reprendre que partiellement le principe Cassis de Dijon, en permettant la circulation en Suisse de produits fabriqués selon la législation d’un Etat de l’UE, et en obligeant l’administration suisse et les individus sous sa juridiction à respecter cette norme. En effet, en tant qu’acte unilatéral interne, la loi suisse ne peut poser des droits et obligations qu’à l’égard des personnes placées sous sa juridiction. Elle ne peut prétendre produire des effets juridiques extraterritoriaux qui consisteraient en une obligation pour un Etat de reconnaître la législation suisse applicable aux marchandises617. En d’autres

dans un Etat membre d’un produit mis en circulation conformément à la législation d’un autre Etat membre (CJCE, 20 février 1979, Rewe-Zentral AG, aff. 120/78, Rec. 1979, p. 649).

616 Certes, l’accord de libre-échange de 1972 permet la libre circulation de certains produits ; en outre, les règles de libre circulation posées par cet accord ont été reprises de celles du droit communautaire, notamment les articles 30 et 36 du Traité CEE. Mais si ces dernières dispositions ont fondé le développement du principe Cassis de Dijon au sein de l’ordre juridique communautaire, une conséquence similaire n’a pas été établie juridiquement dans les rapports Suisse-UE. Voir le message du Conseil fédéral du 15 février 1995 concernant la LETC, FF 1995, vol. II, n° 15, pp. 489-603, spéc. p. 504.

617 Dans une conception dualiste, une telle loi pourrait être considérée juridiquement comme valide dans l’ordre interne. Mais, d’une part, elle ne pourrait jamais prétendre à une application normale (celle-ci étant le fait d’un Etat sur lequel elle n’a pas de moyens d’emprise exécutifs et juridictionnels). D’autre part, elle ne serait pas reconnue par le droit international qui limite la compétence normative et exécutive des Etats à certains titres de compétences personnelle et territoriale, établis en tenant compte de la coexistence de plusieurs Etats souverains. Enfin, même si elle était considérée comme un acte unilatéral international, cette loi suisse ne pourrait valablement engendrer des obligations à charge d’Etats tiers. Elle entrerait donc dans la catégorie des « prétentions qui cherchent à faire acquérir

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termes, la loi suisse ne peut valablement obliger un Etat membre de l’UE à reconnaître les effets de sa législation en permettant la circulation dans cet Etat d’un produit fabriqué selon les prescriptions suisses618. Avec cette loi, la Suisse ne peut adopter en réalité qu’un principe de reconnaissance partielle.

Une reconnaissance mutuelle complète impliquerait une réaction juridique de l’Union européenne619, en concluant à cet effet un accord avec la Suisse, ou en procédant elle aussi à une reconnaissance unilatérale des marchandises conformes aux prescriptions du droit suisse620.

En somme, la loi fédérale sur les entraves techniques au commerce appréhende des situations (commerce des biens) présentant un élément d’extranéité spécifique (importation de biens commercialisés selon la législation d’un Etat de l’UE). Bien qu’elle prévoie plusieurs dérogations, cette loi consacre le principe Cassis de Dijon. La reconnaissance n’est cependant pas mutuelle dès lors qu’elle n’a été érigée en principe que par un acte unilatéral suisse. Néanmoins, sa portée externe est importante : en vertu de ce principe repris du droit européen, les produits légalement mis sur le marché dans l’Union ou dans l’EEE peuvent être commercialisés librement en Suisse. Les effets attendus de cette loi, en termes de concurrence et de

des droits à leur auteur mais n’en ont pas la capacité » (Jean CHARPENTIER, « Engagements internationaux et engagements conventionnels, différences et convergences », in Essays in honour of Krzysztof Skubiszewski, La Haye, Kluwer, 1996, pp. 367-380, spéc. p. 367) ; cette loi ne serait alors pas un acte juridique mais un simple fait, voire un fait juridique (auquel le droit international ne confère pas la possibilité de produire des obligations juridiques à charge d’Etats tiers).

618 Le message du Conseil fédéral explique ainsi que « le projet suisse, de par sa nature autonome, prévoit l’application du principe aux seuls produits importés en Suisse, tandis que le principe s’applique de manière réciproque dans la CE » : message du 25 juin 2008, op. cit., p.6671.

619 A la suite de l’arrêt Cassis de Dijon rendu par la Cour de justice en 1979, la Suisse, « pays non membre a donc saisi ce jugement pour obtenir la possibilité d’exporter ses bières en Allemagne à partir du territoire français. Mais la Commission a refusé d’étendre le principe de la reconnaissance mutuelle des normes à ce produit suisse » : René SCHWOK, « L’AELE face à la Communauté européenne : un risque de satellisation », J.E.I., 1989, vol. XIII, n° 1, pp. 15-53.

620 Une telle réaction soulèverait diverses questions. Si l’Union prend un acte par lequel elle reconnaît que les marchandises légalement mises en circulation en Suisse peuvent être commercialisées au sein de l’Union, quelle serait la nature de cet acte de l’UE et de la LETC ? S’agirait-il de « législations parallèles »? Ou d’« actes unilatéraux croisés » ? Ces actes devraient-ils être regardés comme s’apparentant davantage à un traité ? Devraient-ils, dès lors, être considérés comme des actes internationaux ? Sur ces distinctions conceptuelles, voir Paul REUTER, « Principes de droit international public », R.C.A.D.I.

1961-II, t. 103, pp. 425-655, spéc. p. 565 ; Julio A. BARBERIS, « Le concept de ‘traité international’ et ses limites », A.F.D.I., 1984, vol. 30, n° 1, pp. 239-270, spéc. pp. 250-251 ; Michel VIRALLY, « Sur la notion d’accord », in Fetschrift für Rudolf Bindschedler, Berne, Stämpfli, 1980, pp. 159-172, spéc. p. 165.

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Les éléments subjectifs et objectifs déterminant la relation

baisse des prix621, montrent par ailleurs que dans ce cadre, l’adaptation constitue pleinement un instrument au service d’une politique, en l’occurrence économique.

L’adaptation autonome du législateur suisse se réalise ainsi de manière discrétionnaire par le biais d’actes unilatéraux et influence la manière dont la Suisse se place par rapport à l’ordre juridique de l’Union. Que l’adaptation autonome soit perçue comme un « parallélisme »622, comme un « arrimage législatif »623 ou de manière plus péjorative comme un « suivisme »624, elle constitue, sur le plan de la technique juridique, un moyen de poursuivre une politique européenne qui concilie européanité et sauvegarde de l’autonomie décisionnelle de la Suisse et de l’Union.

621 Voir les rapports annuels de la Commission de la concurrence, du Surveillant des prix et les rapports du Secrétariat d’Etat au Commerce et l’Economie.

622 Rapport du Conseil fédéral du 24 août 1988, op. cit., p. 365.

623 Cécile RAPOPORT, Les partenariats entre l’Union européenne et les Etats tiers européens, Bruxelles, Bruylant, 2011, spéc. p. 63.

624 C’est notamment une expression employée par le Nouveau Mouvement Européen Suisse (NOMES) qui milite pour l’adhésion de la Suisse à l’Union européenne.

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