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La méthode : Une lecture de l’objectivisme et du subjectivisme

II. L’utilisation des analyses de l’acte juridique

La relation Suisse-UE repose d’abord sur des actes juridiques, analysés en tenant compte de l’objet de cette étude : appréhender la construction juridique européenne mise en place progressivement. Le recours à des théories juridiques, dès lors qu’elle visent à « l’explication rationnelle »129 des

Commission européenne, les mandats et conclusions du Conseil de l’UE, les décisions autorisant la signature ou conclusion, ou les résolutions du Parlement européen.

127 L’essentiel de ses travaux sont disponibles en langue française ou anglaise, tandis que pour la doctrine s’exprimant en allemand il existe de nombreux renvois des auteurs bilingues qui permettent d’en prendre la mesure.

128 Voir, supra, n° 10 et s.

129 Gérard CORNU, Vocabulaire juridique, Paris, PUF, 2011, 9ème éd., V° Théorie juridique.

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règles de droit, est alors susceptible d’apporter de précieux éclairages sur la structure des actes juridiques qui fondent cette relation. En se référant à une théorie de l’acte juridique, il était ainsi possible d’inclure non seulement les accords Suisse-UE, mais aussi les législations suisses adaptées spontanément au droit de l’UE et qui ont une incidence considérable dans la relation Suisse-UE130.

Sans remettre en cause la qualité des autres théories de l’acte juridique131, il a semblé adéquat de s’appuyer sur celle élaborée par le Professeur Jean Hauser132, quand bien même elle fut fondée sur l’observation de mécanismes relevant du droit privé. En effet, la théorisation proposée se veut générale ; l’auteur n’hésite d’ailleurs pas à faire des parallèles avec les questions qui se posent en droit public. En outre, l’utilisation de cette théorie n’a pas vocation à reconstruire une théorie des actes applicables dans la relation Suisse-UE133 mais simplement à bénéficier, dans le cadre de la relation Suisse-UE, de la grille d’analyse de l’interaction des éléments subjectifs et objectifs qui « marquent dès l’origine la structure de l’acte »134. Cet appui n’est au demeurant pas exclusif du recours à d’autres moyens d’analyse, comme celle de Michel Virally qui précise l’action des éléments objectifs que constituent l’interdépendance ou l’inégalité sur l’action juridique des sujets de droit international135.

Différents travaux doctrinaux permettent par ailleurs d’apporter des précisions sur les actes régissant la relation Suisse-UE. Ils fondent des distinctions sur la structure des actes, traditionnellement considérés en tant que mode de production du droit et comme produit de cette opération. L’on s’appuiera en

130 Ces législations « régissent » aussi la relation Suisse-UE, non pas dans la dimension autoritaire et extérieure du terme, mais elles produisent des effets juridiques dans la relation Suisse-UE : effets immédiats (que l’on pense à la « loi Cassis de Dijon ») ou médiats (en ce qu’elles favorisent la conclusion ultérieure d’accords Suisse-UE).

131 Sans exhaustivité, l’on peut souligner les importantes contributions de Léon Duguit, Hans Kelsen ou Charles Eisenmann.

132 Jean HAUSER, Objectivisme et subjectivisme dans l’acte juridique, Paris, LGDJ, 1971, 339 p.

133 Une telle perspective impliquerait une étude approfondie de la possibilité de transposer l’analyse du Professeur Hauser dans le cadre international. Dans sa démarche de théorisation de l’acte juridique en droit international public, Jean Paul Jacqué refusait par exemple d’opérer une transposition des analyses du droit interne : Jean Paul JACQUÉ, Eléments pour une théorie de l’acte juridique en droit international public, Paris, LGDJ, 1972, 511 p.

134 Ibid., p. 16.

135 Michel VIRALLY, « Panorama du droit international contemporain », op. cit.

La méthode

particulier sur la distinction des règles selon leur fonction136, notamment celle du Professeur Hart, selon lequel les règles primaires « prescrivent à des êtres humains d’accomplir ou de s’abstenir de certains comportements, qu’ils le veuillent ou non », alors que les règles secondaires veillent « à ce que les êtres humains puissent, en accomplissant certains actes ou en prononçant certaines paroles, introduire de nouvelles règles de type primaire, en abroger ou en modifier certaines, ou, de différentes façons, déterminer leur incidence ou contrôler leur mise en œuvre »137. Employée principalement dans le cadre d’un ordre juridique étatique, cette dichotomie de la fonction des règles a également été utilisée dans l’analyse des règles du droit international en général138, ou des règles conventionnelles139.

Si l’on met en perspective cette lecture de l’acte juridique dans son rapport au temps – puisque tel est l’objet d’étude de la relation Suisse-UE –, il faut souligner qu’elle offre une lecture « instantanéiste » de la relation Suisse-UE.

Il s’agit là d’un point d’entrée indispensable pour analyser cette relation entre deux sujets qui choisissent d’établir des liens juridiques, même si ces choix peuvent être orientés par des éléments objectifs. Cette lecture instantanéiste, qui éclaire les fondements de la relation Suisse-UE, en apporte une conception essentiellement statique : elle explique l’équilibre entre l’objectivisme et le subjectivisme établi par les divers actes juridiques140. Elle peut également, dans une certaine mesure, en révéler certains aspects dynamiques. D’une part, la lecture de ces actes juridiques dans le temps, conçu comme un espace de successions d’instantanés, laisse apparaître la construction qui se met en place par la juxtaposition des règles applicables dans la relation Suisse-UE.

136 Pour Paul Roubier, ce sont ainsi les normes à caractère substantiel qu’il faut distinguer du

« droit régulateur » (Paul ROUBIER, Théorie générale du droit. Histoire des doctrines juridiques et philosophie des valeurs sociales, Paris, Sirey, 1946, spéc. p. 262). Pour une présentation des différentes théories voir Guillaume TUSSEAU, Les normes d’habilitations, Paris, Dalloz, 2006, spéc. pp. 119 et s.

137 Herbert L. A. HART, Le concept de droit, op. cit., p. 105.

138 Jean Combacau distingue ainsi les « règles dans le jeu » et les « règles du jeu » : Jean COMBACAU,

« Le droit international : bric-à-brac ou système ? », A.P. D., t. 31, 1986, pp. 85-105.

139 Florence Poirat distingue l’acte juridique en tant que mode de production du droit et en tant que produit. Ainsi un traité international produit des règles primaires et secondaires.

Parmi ces dernières, certaines sont dissociables de l’acte qui les pose, comme celles qui habilitent des organes à créer du droit dérivé ; d’autres sont intimement liées à l’acte, « elles ont pour objet de régir le traité qui les pose », telles que les clauses finales (relatives au mode de production) et les clauses de règlement (relatives au produit) : Florence POIRAT, Le traité, acte juridique international – Recherches sur le traité international comme mode de production et comme produit, Leiden, M. Nijhoff, 2004, 506 p., spéc. p. 391.

140 Voir, infra, partie 1, n° 53 et s.

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En reprenant l’image du puzzle de la construction européenne, l’on peut remarquer que les nouveaux actes et règles adoptés sont autant de pièces qui forment une image, et posent par incidence la question de la nature de l’image voulue et de ses contours141. D’autre part, l’on peut encore regarder non plus seulement la juxtaposition des règles entre les actes juridiques, mais leur juxtaposition dans le temps, même encore conçu de manière instantanée. A l’instar d’un « flip book » dont les images, défilant rapidement, donnent une impression de mouvement, cette succession de règles laisse penser qu’elle n’est pas neutre et qu’elle a un sens142. C’est alors à des outils qui permettent une analyse de la relation Suisse-UE dans la durée que l’on doit recourir pour compléter l’approche dynamique de cette relation.