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Un commun construit sur celui des Etats membres de l’Union européenne

L’objet : Le temps et le commun dans la relation Suisse-UE

B. Un commun construit sur celui des Etats membres de l’Union européenne

L’approfondissement de la relation entre la Suisse et l’Union européenne (et ses Etats membres) s’est réalisé dans le sens de l’Union européenne.

Les accords conclus sont généralement basés sur le droit de l’UE et les législations suisses considérées sont adaptées au droit de l’UE. La relation Suisse-UE est ainsi une relation qui rapproche la Suisse des Etats membres de l’Union européenne et du statut d’Etat membre, ce qui conduit à soulever trois remarques.

1. La question incidente de la frontière entre Etat membre et Etat tiers

L’application par la Suisse de règles basées sur le droit de l’UE pose la question de la frontière entre l’Etat membre et l’Etat tiers à l’Union européenne116, et rejoint partiellement les réflexions sur la différenciation et

116 Isabelle BOSSE-PLATIÈRE/Cécile RAPOPORT (dir.), L’État tiers en droit de l’Union européenne, actes du colloque de Rennes des 21 et 22 juin 2012, Bruxelles, Bruylant, 2014, 501 p.

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plus exactement sur l’intégration différenciée117. Ces questions seront également abordées dans cette étude. Mais elles ne le seront qu’à titre incident : uniquement dans la mesure où l’utilisation de l’Union comme référentiel, influence le « mouvement de fond » de cette relation dans la durée. Ce n’est donc pas la question de la frontière entre Etat membre et Etat tiers qui sera étudiée ici, mais celle de l’incidence de ce mouvement de réduction de cette frontière pour la relation Suisse-UE. Dès lors que le sens de ce mouvement se réalise vers l’Union, se posent deux autres questions dont seule l’une d’entre elles peut recevoir des pistes de réponse.

2. La question centrale de l’articulation entre le commun de l’UE et le commun Suisse-UE

Le commun de la relation Suisse-UE se construit en prenant pour référentiel le commun établi au sein de l’Union européenne. Il s’agit alors d’identifier les éléments qui expliquent ce rattachement sur le droit de l’UE, mais aussi les techniques juridiques qui assurent un tel « arrimage »118 sur le droit de l’UE. Il faut encore analyser l’évolution de ce rattachement sur le droit de l’UE : une fois conclu, l’accord suit-il une application et une modification qui correspondent à celles du droit de l’UE ayant servi de base au sein de l’Union européenne ? Si oui, cette évolution est-elle le résultat de l’application de règles ayant une emprise sur le futur ? Dans le cas contraire, comment peut-on expliquer une telle évolution et que signifie-t-elle pour la relation Suisse-UE ?

Une telle utilisation de l’ordre juridique de l’UE comme référentiel est déterminante pour savoir si le commun établi entre l’Union européenne et la Suisse a acquis une certaine part d’objectivité, et pour évaluer l’objectivité susceptible d’être acquise dans une telle construction européenne.

Cette question, appréhendée dans sa dimension temporelle, est en réalité celle de la liberté exercée par la Suisse et par l’Union européenne dans leur

117 Christine GUILLARD, L’intégration différenciée dans l’Union européenne, Bruxelles, Bruylant, 2006, 619 p. Pour une actualité sur les recours introduits par le Royaume-Uni, mettant en cause les fondements des décisions établissant la position de l’UE au sein des comités mixtes EEE, Suisse-UE, et UE-Turquie, voir Catherine FLAESCH-MOUGIN/Cécile RAPOPORT,

« L’Union européenne confrontée à la gestion de la différenciation dans son action extérieure », R.T.D.E, 2014, n° 1, pp. 180-183.

118 Le terme est emprunté à Cécile RAPOPORT, Les partenariats entre l’Union européenne et les Etats tiers européens, op. cit.

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relation commune. La question est trop vaste pour être traitée dans cette étude ; mais l’on peut néanmoins tenter d’en « situer les lieux », de préciser dans quelle mesure la question de la liberté se pose dans la relation Suisse-UE. Cette étude du rapport « de fond » entre le commun Suisse-UE et le commun de l’UE laisse apparaître des limites intrinsèques à l’autonomisation du commun Suisse-UE, c’est-à-dire les limites du développement institutionnel par la voie bilatérale. Se pose ainsi sous un nouvel angle la question de l’adhésion de la Suisse, bien qu’elle ne puisse faire l’objet d’aucune prédiction.

3. La question sous-jacente de l’adhésion comme point d’arrivée du rapprochement sur le statut d’Etat membre Le rapprochement du droit auquel se soumet la Suisse, sur le droit applicable aux Etats membres de l’Union européenne, faciliterait juridiquement une adhésion puisque la reprise de l’acquis de l’UE serait d’autant plus aisée.

La Suisse (comme les autres Etats de l’AELE) a « atteint avec l’UE un niveau d’intégration juridique sans précédent, qui [lui] permettrait de satisfaire dans un délai relativement bref aux critères d’adhésion »119. Mais l’on ne peut prédire la suite du mouvement.

On peut mettre en évidence le sens du rapprochement ou les tensions que ce rapprochement rend prégnantes. De tels mouvements résultent d’éléments objectifs mis en évidence dans cette étude tant leur influence semble essentielle bien qu’ambivalente. Si par exemple la contrainte factuelle de l’enclavement de la Suisse joue plutôt en faveur d’une construction fondée sur le référentiel de l’UE, elle se heurte aux exigences constitutionnelles d’autonomie de l’Union européenne et de la Suisse. De même le prisme de l’objectivisme permet-il de mesurer le degré de réalité objective, le degré d’autonomie de l’ensemble formé entre la Suisse et l’UE. Mais l’étude de l’objectivisme ne peut réduire la part incompressible du subjectivisme de la Suisse et de l’Union européenne.

119 Cécile RAPOPORT, Les partenariats entre l’Union européenne et les Etats tiers européens, op. cit. p. 77,

§121 (voir également p. 52, §86 où l’auteur souligne qu’une adhésion serait « relativement aisée », compte tenu du développement économique, de sa qualité d’Etat démocratique et du nombre important de normes qu’elle a en commun avec les Etats de l’UE).

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Et dans ce subjectivisme, sensible à la dimension volontariste de la relation, certains éléments sont difficiles à appréhender pour la science juridique : le choix des peuples et dirigeants, leur liberté politique, s’exerce non seulement au regard de données objectives, mais aussi au regard d’éléments psychologiques qu’une étude juridique peinerait à deviner. Ainsi, même en achevant l’analyse avec une conception large du droit, notamment celle de Maurice Hauriou, on ne peut que cerner ce qu’est la relation au regard des éléments objectifs et subjectifs existants et identifier les limites de cette relation, limites que les volontés de la Suisse et de l’Union européenne peuvent prendre en compte sans qu’elles ne soient, seules, déterminantes dans leurs choix futurs.

Identifier des « limites de la voie bilatérale » n’implique pas que la relation Suisse-UE ne pourra pas perdurer en l’état, mais simplement qu’en perdurant, elle rendra prégnantes certaines des tensions identifiées. La suite appartient au politique et ce que l’on peut espérer ici, c’est de cerner par une approche juridique les lieux dans lesquels la part de politique se pose.

L’étude de la relation Suisse-UE part ainsi du subjectivisme, de la volonté de la Suisse et celle de l’Union européenne, et s’achève en tenant compte de ce