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Conclusion du chapitre 1

Section 2. Les éléments objectifs juridiques

B. L’unification du droit au sein de l’Union européenne

Le processus d’unification du droit au sein de l’Union européenne influence les volontés de la Suisse et de l’Union d’intervenir juridiquement (1), et le type de règles considéré comme approprié (2).

1. L’influence sur les volontés d’agir juridiquement

Le processus d’unification du droit au sein de l’Union affecte la volonté de celle-ci d’établir des relations juridiques avec la Suisse, en particulier lorsque l’efficacité d’une disposition est menacée par un risque de contournement de la législation européenne projetée. L’unification du droit dans certains domaines tels que la taxation bancaire détermine la volonté de l’Union d’établir des relations avec la Suisse sur ce point437, et par ricochet les concessions qu’elle est prête à accorder dans d’autres dossiers438.

Mais c’est probablement du point de vue de la Suisse que les effets du droit de l’UE influencent le plus les relations extérieures. En effet, le processus d’unification du droit au sein de l’Union européenne peut être, pour la Suisse, vecteur de désavantages qui résultent de l’application d’un droit différent à ses ressortissants qui souhaitent entrer en relation économique ou personnelle avec des ressortissants communautaires439. Ces désavantages sont d’autant plus perceptibles qu’ils se combinent avec la puissance de l’Union, avec l’inégalité factuelle précédemment évoquée440. La Suisse va alors vouloir agir juridiquement pour modifier la situation objective

437 Voir les développements relatifs à l’accord sur la fiscalité de l’épargne, infra, titre 2, chapitre 2, n° 482 et s.

438 Cette contrainte explique la dérogation accordée à la Suisse dans un autre dossier en cours de négociation, sur la reprise de l’acquis Schengen relatif aux demandes de perquisition et de saisie pour les infractions dans le domaine de la fiscalité directe. La Commission considérait en effet que cette dérogation était « nécessaire pour conclure un accord avec la Suisse dans le domaine de la fiscalité des revenus de l’épargne qui, à son tour, était nécessaire à l’entrée en vigueur de la directive 2003/48/CE du Conseil du 3 juin 2003 en matière de fiscalité des revenus de l’épargne » : exposé des motifs de la proposition du 14 septembre 2004 de décision du Conseil relative à la signature, au nom de l’Union européenne, de l’accord [d’association à Schengen], COM(2004) 593 final.

439 Ces désavantages sont parfois perçus comme des « discriminations » : rapport du Conseil fédéral du 24 août 1988 sur la position de la Suisse dans le processus d’intégration européenne, FF 1988, vol. III, n° 37, pp. 233-445, spéc. p. 285.

440 Sur cet élément qui évolue en fonction de la construction juridique de l’Union, voir, supra, section 1, n° 155.

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désavantageuse. Ce processus l’a conduit à envisager l’adhésion à l’Union européenne441, à conclure des accords avec l’Union européenne, ainsi qu’à utiliser son droit interne pour limiter les effets négatifs de l’unification du droit entre les Etats membres de l’Union européenne. La réponse apportée au processus d’unification se caractérise ainsi par l’utilisation du droit de l’UE pour fonder les accords Suisse-UE et certaines lois fédérales suisses.

2. L’influence sur la structure des actes juridiques

L’unification du droit entre les Etats membres de l’Union européenne conduit la Suisse à réagir de manière unilatérale, en adaptant spontanément son droit à celui de l’Union (a). En outre, cette unification a également des conséquences sur les accords Suisse-UE, dont les règles (primaires notamment, secondaires parfois) sont basées sur le droit de l’UE (b).

a. L’adaptation autonome du législateur fédéral suisse au droit de l’UE

Compte tenu de l’importance des effets du droit communautaire pour la Suisse442, le Conseil fédéral a mis en place en 1988 un contrôle de compatibilité des projets législatifs fédéraux suisses avec le droit communautaire. Ce contrôle « d’eurocompatibilité », qui vise désormais le droit de l’UE, peut aboutir à une adaptation « autonome »443.

L’examen des projets de lois suisses à l’aune du droit européen permet au Conseil fédéral de préciser « dans quelle mesure les dispositions proposées sont compatibles »444 avec ce droit. Puisque le droit de l’UE est un droit commun, mettant en œuvre un processus d’unification, et produisant des effets pour la Suisse, cette dernière cherche à éviter des divergences qui seraient

441 Rapport du Conseil fédéral du 18 mai 1992 sur la question d’une adhésion de la Suisse à la Communauté européenne, FF 1992, vol. III, n° 27, pp. 1125-1320, spéc. p. 1129.

442 Voir les remarques relatives à la volonté de la Suisse d’agir en raison du processus d’unification au sein de l’UE (supra, n° 144), et de la puissance notamment économique de l’Union européenne (supra, n° 156).

443 Cette expression vise à distinguer ces législations de celles qui sont liées à une obligation d’adaptation contenue dans les accords conclus avec l’Union. L’adaptation est autonome en ce qu’elle n’est pas l’exécution d’un accord Suisse-UE.

444 Rapport du Conseil fédéral du 24 août 1988, op. cit., p.365.

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Les éléments subjectifs et objectifs déterminant la relation

« inutiles »445, « infondées »446, celles qui ne correspondraient pas à un intérêt spécifique de la Suisse. L’examen d’eurocompatibilité est ainsi une réponse au processus d’unification existant au sein de l’Union européenne.

Cet examen n’aboutit en revanche pas systématiquement à un alignement sur le droit de l’UE447. En d’autres termes, les dispositions du droit suisse (des règles primaires qui régissent le comportement des individus placés sous la juridiction suisse) ne sont pas toujours – et c’est logique – adaptées au droit de l’UE. Cette adaptation n’a lieu que si le législateur considère qu’il en va de l’intérêt de la Suisse, par exemple pour les entreprises et particuliers établis en Suisse, qui ont une relation avec une entreprise et des individus de l’Union européenne.

Certes, dans certains domaines – politique fiscale, agricole, étrangère – le droit suisse maintient des spécificités, René Schwok soulignant que « les multinationales, les banques et les assurances ont transformé la Suisse en un havre de législations "spéciales" »448. Pour autant, la spécificité ne concerne pas l’ensemble de la législation relative à ces domaines449, pas plus qu’elle n’est figée. La part de législations adaptées au droit de l’UE est ainsi susceptible d’évoluer en fonction de l’intérêt que la Suisse perçoit450. De manière générale, le droit suisse a très largement, voire quasiment systématiquement451, été rendu eurocompatible. « Dans la pratique, le Parlement et le Conseil fédéral n’adoptent qu’exceptionnellement des actes juridiques qui ne sont pas compatibles »452. L’influence du processus d’unification est ainsi particulièrement forte. L’adaptation

445 Ibid., p. 330.

446 Rapport Europe 2006 du 28 juin 2006, FF 2006, n° 35, pp. 6461-6622, spéc. p. 6478.

447 Rapport du Conseil fédéral du 24 août 1988, op. cit., p.330 ; Rapport Europe 2006 du 28 juin 2006, op. cit., p.6477.

448 René SCHWOK, « Théorie du "petit Etat" européen et pays originairement de l’AELE », in M. DUMOULIN/G. DUCHENNE (dir.), Les petits Etats et la construction européenne, Bruxelles, PIE-Peter Lang, 2002, pp. 111-133, spéc. p. 121, l’auteur analysant en outre le rapport de la politique agricole et la politique étrangère suisse avec la construction européenne.

449 Dans son message relatif à la loi sur les services financiers (LSFin), le Conseil fédéral souligne que « la formulation des nouvelles dispositions tient compte de la réglementation européenne sur les marchés financiers » mais, afin de tenir compte des particularités du marché suisse, les nouvelles prescriptions « ne reprennent pas systématiquement le droit européen » : message du 4 novembre 2015 concernant la LSFin, FF 2015, n° 50, pp. 8101-8288, spéc. p. 8139, pt. 1.7.6.

450 Sur l’évolution de l’adaptation autonome, voir, infra, partie 2, titre 1, n° 636 et s.

451 Rapport du Conseil fédéral du 3 février 1999 sur l’intégration, FF 1999, vol. IV, n° 22, pp. 3600-4011, spéc. p. 3609.

452 Rapport sur l’intégration du 3 février 1999, op. cit., p.3634.

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autonome peut ainsi se réaliser de manière substantielle comme lors de l’adoption des modifications de seize lois dans le « paquet Swisslex »453, ou alors « par doses homéopathiques, au "coup par coup", à l’occasion de chaque projet législatif »454. La Suisse a, par exemple455, jugé nécessaire d’avoir une législation équivalente à celle de l’UE relative aux marchandises avec la loi fédérale sur le marché intérieur456 ou encore la loi fédérale sur les entraves techniques au commerce457. Cette dernière a même été modifiée pour introduire un principe équivalent au principe Cassis de Dijon458. De même, dans le domaine de la concurrence, la loi sur les cartels a fait évoluer une législation nationale permissive vers un droit proche de celui de l’Union européenne459. L’adaptation s’étend à des matières diverses : on la retrouve dans des lois sur le secteur bancaire460, sur les produits thérapeutiques461, sur l’égalité entre femmes et hommes462 ou sur la libre circulation des avocats463.

453 Message du Conseil fédéral du 24 février 1993 sur le programme consécutif au rejet de l’Accord EEE, FF 1993, vol. I, n° 11, pp. 757-942, spéc. p. 786. La Suisse a repris 16 des adaptations du paquet « Eurolex » en l’état (les seules modifications étant rédactionnelles ou tenant à la technique législative) : voir Blaise KNAPP, « La Suisse et l’Union européenne, une intégration douce », in Mélanges en l’honneur de Louis Dubouis, Paris, Dalloz, 2002, pp. 387-405, spéc. pp. 391-395.

454 Olivier JACOT-GUILLARMOD, « L’ordre juridique suisse face à l’ordre juridique communautaire », in D. SCHINDLER et a. (dir.), Le droit suisse et le droit communautaire : convergences et divergences, Zürich, Schulthess, 1990, pp. 1-20, spéc. p. 4.

455 Pour une étude de l’adaptation autonome du droit privé suisse en fonction notamment des périodes et des outils juridiques de la reprise, voir : Vincent MIGNON, « Analyse méthodologique comparée des droits français, allemand et suisse », in Le droit privé suisse à l’épreuve du droit privé communautaire, pp. 202-241.

456 Loi fédérale sur le marché intérieur (LMI), du 6 octobre 1995, RO 1996 1738. Le texte de cette loi « est directement inspiré du droit européen » : Olivier MACH, « La place des Accords bilatéraux II dans l’ordre juridique suisse », in C. KADDOUS/M. JAMETTI GREINER (dir.), Accords bilatéraux II Suisse-UE, Bruxelles, Bruylant, 2006, pp. 169-192, spéc. p. 181.

457 Loi fédérale sur les entraves techniques au commerce (LETC), du 6 octobre 1995, RO 1996 1725.

458 Loi fédérale du 12 juin 2009 modifiant la loi sur les entraves techniques au commerce (LETC), RO 2010 2617. Voir le message du Conseil fédéral du 25 juin 2008 concernant la révision partielle de la LETC, FF 2008, vol. I, n° 35, pp. 6643-6730.

459 Sur ce point voir André MACH, « Quelles réponses politiques face à la globalisation et à la construction européenne? Illustration à partir de la révision de la loi suisse sur les cartels », Swiss Political Science Review, vol. 4, n° 2, 1998, pp. 25-49. La loi fédérale sur la concurrence déloyale a été partiellement révisée par la loi du 17 juin 2011 (RO 2011 4909).

Cette adaptation porte notamment sur l’art. 8, dont la rédaction « s’inspire largement » de la directive 93/13/CEE du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives (message du Conseil fédéral du 2 septembre 2009, FF 2009, n° 38, pp. 5539-5578, spéc. p. 5561).

460 Loi sur la Banque nationale (LBN) du 3 octobre 2003, RO 2004 1985 ; Loi fédérale sur les placements collectifs de capitaux (LPCC) du 23 juin 2006, RO 2006 5379. Ces exemples

Les éléments subjectifs et objectifs déterminant la relation

b. L’arrimage des accords entre la Suisse et l’UE sur le droit de l’UE

L’unification du droit au sein de l’Union européenne favorise également un

« arrimage »464 des accords Suisse-UE sur le droit de l’UE, à deux niveaux.

D’une part, la plupart des règles primaires qu’ils posent (celles qui régissent le comportement des particuliers établis en Suisse et dans l’Union) sont largement fondées sur le droit de l’UE. L’unification des règles entre les Etats membres de l’UE, par exemple celles de l’aviation civile, explique l’européanité des règles primaires posées dans les accords dont celui sur le transport aérien465. D’autre part, le processus d’unification du droit au sein de l’Union européenne influence parfois aussi les règles secondaires. Dans le domaine de la fiscalité de l’épargne, certains Etats membres avaient subordonné leur vote d’une directive à la conclusion d’accords avec des Etats tiers dont la Suisse, afin d’éviter le risque de concurrence fiscale.

Par conséquent, l’accord conclu en 2004 établit non seulement des règles primaires basées sur la directive 2003/48/CE finalement adoptée, mais aussi des règles secondaires qui lient la vie juridique de l’accord à celle de la directive466.

ainsi que ceux mentionnés ci-dessous sont cités dans le rapport Europe 2006 du Conseil fédéral, FF 2006, n° 35, pp. 6461-6622, spéc. p. 6477.

461 Loi fédérale sur les médicaments et les dispositifs médicaux du 15 décembre 2000 (LPTh), RO 2001 2790. Voir le message du Conseil fédéral du 1er mars 1999 concernant la LPTh, FF 1999, vol. III, n° 21, pp. 3151-3349, spéc. pp. 3160-3161.

462 Loi sur l’égalité entre femmes et hommes (LEg) du 24 mars 1995, RO 1996 1498.

L’adaptation réalisée est expliquée en ces termes : « Bien que la Suisse ne puisse ratifier l’Accord EEE, elle doit s’efforcer de rendre son ordre juridique eurocompatible », en particulier avec l’art. 119 du Traité de Rome, la jurisprudence de la Cour de justice, et six directives (message du Conseil fédéral du 24 février 1993 concernant la LEg, FF 1993, vol. I, n° 16, pp. 1163-1248, spéc. p. 1204).

463 Loi fédérale sur la libre circulation des avocats (LLCA) du 23 juin 2000, RO 2002 863. Il faut néanmoins distinguer les dispositions de la loi qui constituent des adaptations autonomes et les modifications qui étaient nécessaires en vertu de l’ALCP (message du Conseil fédéral du 28 avril 1999 concernant la LLCA, FF 1999, vol. VI, n° 34, pp. 5331-5398, spéc. p. 5339 ; message du Conseil fédéral du 23 juin 1999 relatif à l’approbation des accords sectoriels entre la Suisse et la Communauté européenne, FF 1999, vol. VI, n° 34, pp. 5440-6398, spéc. p. 5445).

464 Cécile RAPOPORT, Les partenariats entre l’Union européenne et les Etats tiers européens, Bruxelles, Bruylant, 2011, spéc. p. 63.

465 Accord du 21 juin 1999 sur le transport aérien, RO 2002 1705 / JO L 114 du 30.4.2002, p. 73.

466 Voir, infra, titre 2, chapitre 2, n° 482 et s.

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En somme, le processus d’unification du droit au sein de l’Union européenne favorise le développement juridique de la relation Suisse-UE, sur la base du droit de l’UE, et par ricochet l’européanisation du droit suisse.

Cet effet se retrouve sous le prisme de l’union économique et politique, même si ce volet de la construction de l’Union européenne fait aussi apparaître des limites au développement de la relation Suisse-UE.