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SECTION 1 : Question de recherche et cadre théorique

IV. Construction sociale Il existe un phénomène de réseau mais le

3. Une vision renouvelée et pragmatique de la professionnalisation

1.2. La structure de rôle

Dans la conception des théories bureaucratiques, la structure de rôle est donnée1 (Haga et al. 1974). Mais cette vision est depuis remise en question, en raison notamment, des phénomènes de professionnalisation2 (op. cit.).

La structure de rôle est, malgré ces considérations, un concept peu mobilisé en sciences de gestion. La base de données EBSCO ne fournit pas plus d’une dizaine de résultats lorsque que l’on recherche l’expression « role structure». La plupart des résultats concernent la structure de rôle au sein des familles et les autres sont souvent non pertinents. Il en va de même lorsque l’on entre le terme « role system » (un seul résultat pertinent) ou « role relation » (un seul résultat pertinent). Seuls deux auteurs placent cette notion au cœur de leur recherche et l’utilisent dans un contexte organisationnel : K. Weick (1993) et S. Barley (1986, 1990).

La notion de structure de rôle renvoie chez Weick à deux dimensions. La première est celle de la structure institutionnelle formelle qui attribue des rôles. La tâche y est vue comme un cadre standard structurant les relations entre les acteurs (Lorino 2006, p. 56). Dans la deuxième, la structure de rôles est déterminée par les interactions quotidiennes entre les acteurs. Les rôles de chacun se constituent et évoluent de par ces interactions. Lors des moments de crise, ces interactions ont un impact tout à fait déterminant sur la structure de rôle (Lorino 2006, p. 63). Weick présente le cas d’une équipe de sapeurs pompiers pris dans un incendie. Dans ces conditions extrêmes, la structure de rôle habituelle se désintègre en raison, notamment, de

1 “Bureaucratic theory assumes that people take roles; it does not allow that they can also make them”. Haga, W.J., Graen, G., and Dansereau, F.J. "Professionalism and Role Making in a Service Organization: A Longitudinal Investigation," American Sociological Review (39:1), fev. 1974, pp 122-133.

l’ordre du responsable de l’équipe qui demande à ses subordonnés d’abandonner leurs outils. A partir de cet instant, les pompiers ne sont plus pompiers mais des hommes en danger de mort qui tentent de fuir par tous les moyens, sans respecter les rôles habituellement occupés par chacun des membres de l’équipe (Weick 1993).

Dans notre cas, la structure de rôle se situe à un niveau d’analyse qui considère deux dimensions : d’une part, les actions réalisées, les compétences mobilisées au sein de chaque groupe professionnel ; et d’autre part, les dimensions relationnelles des rôles, c’est-à-dire le rôle d’un groupe en relation avec un ou plusieurs autres groupes professionnels. Weick n’applique son concept qu’au sein d’un seul groupe professionnel, les pompiers, alors que dans notre recherche, nous considérons le rôle pris par différents groupes professionnels.

S. Barley (1990) reprend quant à lui les travaux de Nadel (2004 (1957)), et distingue cette fois-ci les rôles non relationnels (tâches, activités, compétences d’un groupe) des rôles relationnels (relations inter groupes qui renvoient aux relations de dépendance entre groupes). Sa conception n’est pas totalement opposée à celle de Weick mais elle met plus l’accent sur les relations intergroupes. Pour Nadel, la structure sociale est constituée par un système de rôles. La notion de rôle peut s’utiliser pour un groupe professionnel mais il précise qu’il est essentiel de distinguer le rôle et le statut. Un statut correspond par exemple à une fiche de poste comme celle d’un agent en assurance. Le rôle est plus vague au sens où il a un « effet de halo » (Nadel, 2004, p. 28) comme dans le cas des « cols-blancs » qui désigne un ensemble de professionnels respectant certaines caractéristiques mais qui renvoie, dans le même temps, à un ensemble assez vague. Un statut n’implique pas nécessairement un rôle mais tout rôle est fondé sur des statuts.

La notion de rôle est intéressante car elle est située à un niveau intermédiaire entre l’individu et la société (op. cit., p. 20). Elle offre un cadre extrêmement riche pour comprendre à la fois les implications matérielles de l’utilisation d’une technologie mais il permet également de considérer comment ces contraintes matérielles sont transformées au sein des processus sociaux (Barley 1990a). Nous proposons de retenir l’approche de Barley en conservant cette distinction entre les rôles non relationnels et relationnels.

Les rôles non relationnels sont fonction des compétences nécessaires à mobiliser pour réaliser une tâche. Nous ne rentrerons pas dans les débats sur la notion de compétences (Lichtenberger 2003) car cela nous éloignerait trop du cœur de notre problématique. Nous proposons de retenir une définition partagée selon laquelle la compétence « désigne le droit de connaître une situation et la capacité de bien juger d’une chose. Cette définition donne ainsi une double dimension à la compétence : l’expertise sur un sujet et la légitimité à exercer cette expertise » (Plane 2003, p. 76). Cette définition renvoie à un nouveau modèle gestionnaire1, le modèle de la compétence (Zarifian 2004).

Opposé au modèle de la qualification (Plane 2003, p. 84), ce modèle se rapproche et s’oppose tout à la fois du modèle idéal-typique de la profession ou de celui de métier :

1. « la tentation est forte de rapprocher le modèle de la compétence de celui du métier car celui qui possède un « métier » est souvent personnellement investi dans son entretien et son perfectionnement. Pourtant, il ne s'agit plus de la même réalité : d'une part le modèle de la compétence se trouve au sein des organisations, d'autre part la nécessité du changement permanent est souvent fondatrice de la logique de la compétence » (Igalens 2003).

2. « La flexibilisation contribue à créer un espace continu qui concurrence progressivement les descriptions discontinues des professions. Le référent central qui opère l'unification des différents mondes organisationnels est la compétence » (Plane 2003, p. 81).

3. « La compétence ne se substitue pas au métier, elle lui donne une nouvelle signification » (Zarifian 2004, p. 65).

Ces remarques sont tout à fait justifiées si l’on effectue des comparaisons entre le modèle de la compétence et les conceptions traditionnelles, présentées plus haut, du métier et de la profession. Comme nous l’avons souligné, nous souhaitons nous extraire de ce type de problématique pour prendre en considération les groupes professionnels au sein des organisations. Dans notre perspective, l’enjeu est plutôt de comprendre comment chaque groupe professionnel résout un problème et rend son intervention légitime sur ce problème. Dans cette approche, trois pratiques sont constitutives de l’activité même de tout professionnel : le diagnostic, l’inférence puis le traitement2 (Abbott, 1988, p.52).

1

Un modèle de gestion est porté par une représentation de l'entreprise, il dépasse les spécificités sectorielles. Par ailleurs, des institutions permettent la formulation et la diffusion du modèle et enfin, il existe des firmes exemplaires permettant de le caractériser.

Le diagnostic doit permettre de caractériser un cas particulier de façon à le ramener à un cas déjà connu et répertorié au sein d’une catégorie. Dans les cas les plus simples, le diagnostic amène facilement au traitement correspondant alors que dans d’autres il faut réaliser un travail d’inférence pour envisager le traitement adéquat. Quoiqu’il en soit, l’expertise du professionnel est basée sur un système classificatoire qui permet d’effectuer à la fois les diagnostics et les traitements. Ce système doit être stable pour permettre un travail efficient, fondé sur des routines mais il doit également évoluer pour prendre en considération des cas nouveaux. Sans cet équilibre, le groupe professionnel sera décrédibilisé car si tout est routinier, il perd sa spécificité, l’existence même du groupe n’a plus lieu d’être, et si tout est différent, alors il sera incapable de répondre correctement aux problèmes posés (dans des conditions de délais et de coûts raisonnables).

Si la question des compétences est incontournable au sens où elle est constitutive de la pratique de n’importe quel groupe professionnel, elle n’est pas suffisante car il faut également considérer les relations entre les groupes via la notion de rôles relationnels.

Les rôles relationnels : analyse inter-groupes

Dans le cas qui nous intéresse, il est essentiel de prendre en compte la dimension relationnelle car les activités des uns sont rarement indépendantes de celles des autres. Dans le cas des sites web, les relations et dépendances entre groupes sont évidentes. Il faut donc analyser l’évolution des compétences et des activités pour chaque groupe tout en comprenant comment cela affecte le travail des autres. Barley (1990) analyse très finement des séries d’interactions entre radiologues et techniciens. Nous n’avons pas le matériau nécessaire pour mener des analyses aussi fines. Cependant, nous chercherons à caractériser les nouvelles relations de dépendance entre groupes professionnels au fur et à mesure de l’utilisation de la technologie.

C’est d’ailleurs l’approche adoptée par Gash dans une recherche sur l’effet des TI sur des professionnels, qu’ils soient spécialistes ou non de ces technologies. Selon lui, ce concept de rôle ne doit cependant pas se confondre avec celui de division du travail ou de tâches :

Role structure “captures elements of organizational and individual specialization, while incorporating more than simple functional division of labor. It is more focused than the general notion of the division Abbott, A. The System of Professions. An Essay on the Division of Expert Labor. University of Chicago Press, Chicago and Londres, 1988, p.52.

of labor and less narrow and restrictive than the concept of task and task performance” (Gash 1991, p. 24).

Ce concept permet d’analyser l’effet de l’introduction de nouvelles TI sur la place occupée par les groupes professionnels sans adopter une vision déterministe du changement et en introduisant une dimension politique au processus. Les TI sont alors considérées comme donnant des occasions pour une redistribution potentielle des rôles1 (op. cit., p. 26).

Cette approche prend en compte l’effet systématique de la diffusion de nouvelles technologies sur les rôles (Hughes 1956, p. 65) en évitant les débats, parfois un peu trop manichéens, sur la déprofessionnalisation d’un groupe professionnel, en l’occurrence des praticiens des SI :

“One could argue that both the forces contributing to the redefinition of organizational roles and the processes through which they emerge should lead to the deprofessionalization of IS personnel precisely because they erode the traditional bases of professionalism – particularly the possession of expert knowledge bases, circumscribed membership, and arcane part and specific languages. Paradoxically, this has not occurred as predicted, in part, perhaps because (a) as long as systems keep changing and processing, there will always be technical knowledge that remains beyond the training, interest, or goals of non-professionals, and (b) given (a), the field is actually undergoing continuous differentiation and powerful existing segments constantly fight to maintain their organizational status” (op. cit., p. 40).

Si notre définition de la professionnalisation organisationnelle permet de saisir à la fois les dimensions cognitive et politique, via la notion de structures de rôles, elle ne distingue pas bien ce qui concerne l’évolution d’un groupe pris isolément. Pour pallier cette lacune, nous avançons le concept de professionnalisme organisationnel.

1 “Information technologies (...) are seen as providing occasions for role altering, of which the parties involved may or may not take advantage”.