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La professionnalisation : impacts sur les dimensions cognitive et politique

SECTION 1 : Question de recherche et cadre théorique

IV. Construction sociale Il existe un phénomène de réseau mais le

3. La professionnalisation : impacts sur les dimensions cognitive et politique

3.1. La dimension cognitive

La professionnalisation développe et structure un savoir expert (Larson 1990, p. 25). Se faisant, elle modifie les représentations des différents groupes professionnels. De nombreuses recherches ont ainsi mis en évidence comment l’appartenance à tel ou tel groupe a des impacts sur les choix effectués par les professionnels dans leurs activités : il existerait d’une certaine façon des « provinces de signification » (Ranson et al. 1980). Dearborn et Simon ont par exemple montré que le département fonctionnel auquel est rattaché un professionnel au sein d’une organisation façonne sa perception sur le type de problème qu’il rencontre et sur la manière de le résoudre1 (Dearborn et al. 1958). D’autres chercheurs ont conclu qu’en fonction de l’orientation professionnelle, en l’occurrence celle des physiciens et des managers, les acteurs diffèrent dans leur allocation de ressources, dans leurs valeurs et dans l’interprétation des problématiques d’allocation de ressources (Dukerich et al. 1996). Il a également été montré que l’émergence de nouvelles professions dans le domaine de la finance modifiait les logiques à l’œuvre sur les marchés (Lounsbury 2002).

En management des systèmes d’information, Orlikowski a indiqué que la position professionnelle dans l’organisation façonne l’usage du logiciel Notes (Orlikowski 2000). Plus largement, Lee et al. ont observé comment les points de vue se modifiaient suivant le groupe professionnel d’origine2 (Lee et al. 1995).

Nous faisons l’hypothèse que ces différences de représentation s’appliquent également au cas de la diffusion des technologies. L’arrivée des technologies web fait donc évoluer le système des professions ainsi que les représentations des problématiques associées à cette diffusion. Mais la dimension cognitive n’est pas suffisante pour comprendre les phénomènes à l’œuvre.

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Ces résultats ont été contestés (Walsh, 1988) mais une recherche plus récente a conclu que les résultats étaient valides mais sans doute plus contingents que ce qui était annoncé (Beyer et al., 1997). Walsh, J.P. "Selectivity and Selective Perception: An Investigation of Managers' Belief Structures and Information Processing," The Academy of Management Journal (31:4), Dec. 1988, pp. 873-896. Beyer, J.M., Chattopadhyay, P., George, E., Glick, W.H., et Pugliese, D. "The Selective Perception of Managers Revisited," The Academy of Management Journal (40:3), June 1997, pp. 716-737.

Comme le montre le cadre d’analyse d’Abbott et d’autres auteurs en sociologie des professions (Johnson 1972; Larson 1977), il existe une lutte entre groupes professionnels qui renvoie à la dimension politique de la professionnalisation. La construction de l’autorité des groupes professionnels est alors un élément clef pour comprendre ces conflits1 (Lazega 2001, p. 161).

3.2. La dimension politique

Comme d’autres auteurs2, nous assimilons l’organisation à un ensemble de groupes professionnels dont les représentations et les intérêts diffèrent. Il existe d’une certaine façon des « logiques corporatistes » : chaque groupe professionnel a tendance à présenter le problème de telle sorte qu’il justifie son intervention. Des conflits peuvent résulter de l’opposition entre ces différentes logiques professionnelles (Zune 2003). Ces luttes fréquentes dans l’histoire des professions (Abbott 1988), le furent aussi dans le cas de la gestion des sites web :

“the battle for control of a Web site is fought daily between the MIS and Marketing Departments of many firms around the world (...) Computer professionals with graduate degrees should not be telling designers their business any more than accomplished visual designers should claim to understand object-oriented coding techniques” (Powell 1998,p. ix).

Si la professionnalisation conduit à une division des connaissances entre les groupes professionnels, ce processus n’est pas suffisant pour justifier le positionnement occupé par les différents groupes dans le système. Il faut également considérer les démarches mises en œuvre par chacun des groupes pour légitimer leur place :

“Distributions of power not only reflect differences in skill and knowledge, but also differential access to other valued resources, the weight of prior institutional practices, and even current strategies of action” (Barley 1988).

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“The issue (…) was not to know what, but who had the authority to know and how this authority was negotiated, constructed and maintained”.

Lazega, E. The Collegial Phenomenon, The Social Mechanisms of Cooperation among Peers in a Corporate

Law Partnership Oxford University Press, Oxford, 2001, p. 346.

2 “An organization is thus better conceived as being composed of a number of groups divided by alternative conceptions, value preferences, and sectional interests. The analytical focus then becomes the relations of power which enable some organizational members to constitute and recreate organizational structures according to their provinces of meaning”.

Ranson, S.H., et Greenwood, R. "The Structuring of Organizational Structures.," Administrative Science

La prise en compte des relations de pouvoir est en fait essentielle pour comprendre comment l’arrivée d’une nouvelle technologie modifie le système des professions1 (op. cit., p. 55). Avec ces nouvelles technologies, le système des professions en place est rediscuté. Très souvent des conflits émergent en raison de cette perturbation. Si le conflit est le plus souvent vécu comme négatif, il est en fait un révélateur du phénomène de diffusion. Il s’agit en effet d’un « processus par lequel se discutent, s’ajustent et tentent de s’aligner des représentations divergentes de l’organisation. » (Besson 1999).

Notre objectif est de démontrer comment les phénomènes de professionnalisation et de diffusion des technologies web sont liés en montrant que :

- il n’existe pas de solution linéaire unique, les solutions sont multiples et diverses ; - pour chaque artefact, il existe plusieurs groupes sociaux en présence ;

- chaque groupe se représente le problème lié à l’artefact différemment ; - et pour chaque problème, il est possible d’envisager plusieurs solutions.

Le processus de diffusion est alors fonction des chaînages entre les groupes professionnels, les problèmes, et les solutions (Pinch et al. 1994). Nous considérons que le concept de professionnalisation permet de préciser comment ce chaînage se structure et s’agence dans une perspective dynamique.

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“By focusing on the dynamics of power and influence rather than distributions of skill, it should be possible to explore the question of when technologies will enhance or degrade a group's position in the division of labor under the presumption that either or both effects are empirically possible”.

4. Professionnalisation, adoption, assimilation et appropriation : temporalités et