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SECTION 1 : Question de recherche et cadre théorique

IV. Construction sociale Il existe un phénomène de réseau mais le

2. Définir la profession : quelle utilité pour comprendre les enjeux gestionnaires de la professionnalisation ?

2.1. Métier ou profession ?

La dimension sociale et instituée des notions de métier et de profession explique que leurs significations et leurs contenus sont très différents selon les contextes. Pour Dubar (2004), le métier est à la fois un mode d’organisation (que l’on peut rattacher historiquement à celui des corporations) et une forme identitaire (c’est-à-dire une façon de se caractériser, de s’inscrire dans un environnement organisationnel et social). Selon cet auteur, cette double dimension explique en partie pourquoi le métier est en « crise profonde ». En effet, la conception traditionnelle des métiers s’inscrit dans un système organisé et institutionnalisé supposant la reconnaissance et la mise en place de parcours de formation, de grilles de qualification, de trajectoires de carrières. Or ce modèle est aujourd’hui fortement concurrencé par un modèle de la compétence (Lichtenberger et Paradeise, 2003) reposant au contraire sur l’autonomie des individus dans la résolution de situations de gestion non prescrites. Dans cette perspective, on peut dès lors s’interroger pour savoir si l’expression « nouveaux métiers » a réellement un sens, le métier relevant fondamentalement d’un modèle ancien et dépassé.

Pourtant, « la référence au métier fuse de toutes parts » (Osty, 2003). Comme le note Boyer (2003), la notion de métier individuel évolue avec l’industrialisation pour se définir comme « l'ensemble des compétences individuelles requises pour accomplir une activité et occuper un poste (au sens classique du terme : unité élémentaire de transformation) ». Piotet (2002) interprète les évolutions en cours en relevant qu’elles ne remettent pas en cause la notion de métier mais son expression : la qualification de métier deviendrait en particulier « décontextualisée de l’entreprise » et « patrimoniale »1.

La définition du concept de profession soulève des débats du même ordre (Dubar et al. 1998). Son contenu a lui aussi évolué au cours du temps. Desrosières et Thévenot (2002), confondant d’ailleurs les deux termes, notent que « le « métier » ou la « profession » se sont longtemps inscrits dans des unités de type familial. La notion de profession relevait essentiellement d’une qualification très générique et était peu usitée : en 1954, le questionnaire du recensement ne comportait qu’une seule question – ouverte – sur la profession : « quelle est votre profession ? ». Par la suite le terme se précise et évolue, parallèlement aux modifications

1 “Avoir un métier (…) c’est être détenteur d’un patrimoine dont on pense, à tort ou à raison, qu’il a une valeur sur un marché du travail qui transcende celui de l’entreprise. Le métier est ici synonyme d’une qualification décontextualisée de l’entreprise ».

du système économique et social. Ce n’est qu’en 1982, à l’occasion de la refonte de la nomenclature, que « la logique des emplois qualifiés, standardisés dans les grilles des conventions collectives, fut étendue, dans la question fermée, à toute l’échelle du salariat, depuis les cadres jusqu’aux manœuvres » (Desrosières et al. 2002).

La notion de profession pose un problème supplémentaire en raison des spécificités culturelles. Le terme recouvre des significations et des contenus symboliques très différents dans les contextes français ou anglo-saxons. D’après un auteur de référence en sociologie des professions :

« le mot anglais qui désigne les métiers dont les membres disposent d'un degré important d'autonomie dans leur travail est « profession ». On appelle « professionnalisation» le processus par lequel un métier conquiert cette autonomie, fondée sur une position stable sur le marché du travail, un statut de classe moyenne et un haut niveau de prestige » (Freidson 1994, p. 120).

Au-delà des différents attributs listés dans cette citation, l’auteur souligne bien que son propos ne concerne que le mot anglais de profession. Cette précision est d’importance car, si certains auteurs proposaient des définitions universelles de la profession (Carr-Saunders et al. 1933; Flexner 1915; Greenwood 1988; Wilensky 1964), depuis quelques années les recherches visant à mettre en évidence des spécificités nationales se multiplient (Evetts et al. 2002; McClelland 1990). Plus fondamentalement, le contexte anglo-saxon se démarque nettement des autres1, à tel point que certains considèrent la notion de profession, telle qu’elle est utilisée dans la littérature américaine et anglaise, comme idiosyncratique à ces cultures2 (Freidson 1983, p. 26; Torstendahl 1990, p. 59). Pour cette raison, il serait dangereux d’importer les théories anglo-saxones sans aucune réflexion préalable sur les particularités nationales.

La sociologie des professions différencie classiquement les professionnalisations « from above », domination de forces externes au groupe, des professionnalisations « from inside »,

1

“The theoretical literature on the professions is almost wholly Anglo-American (...) as an institutional concept, the term 'profession' is intrinsically bound up with a particular period of history and with only a limited number of nations in that period of history”.

Freidson, E. "The Theory of Professions: State of the Art," in: The Sociology of the Professions. Lawyers,

Doctors and Others, R. Dingwall and P. Lewis (eds.), The MacMillan Press, Londres, 1983, pp. 19-37.

2 “Current research of professionalism and professionalization has been fundamentally chained to the English language (...) there is no immediate counterpart to these concepts in other countries”.

manipulation réussie du marché par le groupe (McClelland, 1990, p. 107). Le premier cas correspond globalement au modèle anglo-saxon, tandis que le deuxième renvoie plus à celui de l’Europe continentale (Meyer 1995)1.

En France, la profession est tantôt envisagée comme une identité professionnelle que l’on déclare, comme une fonction qui donne accès à une position professionnelle dans les entreprises, comme un métier qui indique une spécialisation professionnelle ou comme un emploi relevant d’une classification professionnelle (Dubar et Trépier, 1998). Ce terme de métier, que nous avons déjà abordé, trouve ses origines dans le système des corporations2.