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L’appropriation : un processus orienté par les utilisateurs finaux ?

SECTION 1 : Question de recherche et cadre théorique

IV. Construction sociale Il existe un phénomène de réseau mais le

3. L’appropriation : un processus orienté par les utilisateurs finaux ?

3.1. L’appropriation : revue de littérature et définition

L’appropriation renvoie très directement à la question des usages, de l’utilisation par les utilisateurs finaux (de Vaujany 2005a). Dans un contexte d’entreprise, l’appropriation est définie comme le processus par lequel les individus incorporent les technologies dans leurs pratiques de travail (DeSanctis et al. 1994). Cette incorporation peut prendre diverses formes. Comme nous l’avons indiqué ci-dessus, une fois la technologie adoptée par l’organisation ou par l’individu, cela n’implique pas nécessairement que l’outil est utilisé et, dans tous les cas, il existe plusieurs manières de l’utiliser. Certains l’utilisent de façon très limitée, ou sont de véritables opposants à la technologie adoptée. D’autres encore l’utilisent mais de manière détournée ou modifiée. En fait, rares sont les usages totalement conformes à ce qui était envisagé, prévu, défini par les concepteurs. Certains auteurs vont même jusqu’à considérer que l’appropriation n’est réalisée qu’à partir du moment où les utilisateurs ont modelé la technologie pour satisfaire leur propre conception des usages1 (Robertson et al. 1996).

Il n’y a pas dans cette perspective une meilleure manière de s’approprier les technologies, tout dépend des contextes d’usage :

“The notion of appropriation is not prescriptive about the precise configuration of technological innovation. Instead, outcomes are assessed in terms of the extent to which user firms manage to (re)design technological solutions that are appropriate for their own unique problems” (Clark 1987).

Le niveau d’appropriation peut être plus ou moins élevé en fonction du degré de modifications apportées par les utilisateurs. Le processus se défini alors comme une transformation progressive de l’innovation (Clark,1987).

Il existe différentes perspectives sur cette question de l’appropriation. La notion est, schématiquement, abordée à partir de deux grandes approches : soit à l’aide du modèle de l’école de la théorie de la décision, soit par l’école institutionnaliste (Dennis et al. 2001). Dans les deux cas, c’est l’utilisateur final qui est au cœur de l’analyse. L’approche institutionnaliste

1 “Appropriation occurs when users manage to unpack the technology as it is presented by the technology suppliers and reconfigure this in order to generate firm-specific solutions”.

Robertson, M., Swan, J., et Newell, S. "The Role of Networks in the Diffusion of Technological Innovation,"

permet de se détacher d’une analyse focalisée sur un seul utilisateur pour prendre en compte les phénomènes sociaux. Certains auteurs considèrent ainsi que pour que l’appropriation soit durable, il est indispensable qu’une convention émerge (par l’intermédiaire des formations ou des certifications) pour, d’une certaine façon, naturaliser des modes d’usage (Boullier 2001).

Notre approche veut se démarquer d’une vision déterministe de la technologie. La théorie de la structuration adaptative (DeSanctis et Poole, 1994), actuellement dominante dans le champ des systèmes d’information, intègre ainsi la dimension sociale de la technologie en proposant le concept de structures sociales des TIC. Ces structures sont composées de deux dimensions : les « caractéristiques structurelles des TIC » et « l’esprit technologique ». La première notion renvoie aux possibilités offertes par le système technique. Les caractéristiques définissent de quelle façon l'information peut être rassemblée, manipulée et gérée par les utilisateurs. L’appropriation est alors composée de trois éléments :

“faithfulness (the extent to which structures provided to a group are used in a manner consistent with the spirit of the technology), consensus (the extent of the agreement among group members on how the technology should be used), and attitude (beliefs about ease of use or usefulness)” (Chin et al. 1997).

Des auteurs montrent comment l’usage peut conduire à une nouvelle conception des outils, mais dans la plupart de ces recherches concepteurs et utilisateurs sont des groupes distincts et nettement séparés (DeSanctis et al. 1994; Orlikowski 2000; Tyre et al. 1994). L’enjeu même de l’appropriation est cette confrontation des points de vue avec d’un côté les concepteurs qui s'efforcent de normaliser l'outil et ses utilisations et celui des utilisateurs qui souvent contournent ou détournent un outil afin de le rendre propre à un usage local (de Vaujany 2005b).

3.2. Le cas des sites web : appropriation par les utilisateurs ou par l’organisation ? Lorsque l’adoption est réalisée, l’analyse de l’appropriation est-elle suffisante ? Est-il satisfaisant de se focaliser sur les seuls utilisateurs finaux pour comprendre comment l’innovation technologique est intégrée aux pratiques de travail ? Selon nous, la réponse est négative car il existe une multitude d’acteurs qui ne peuvent être classés ni parmi les utilisateurs finaux ni parmi les concepteurs. Dans le cas des sites web, la distinction entre les concepteurs d’un côté et les utilisateurs de l’autre est simplificatrice. Il existe d’une certaine manière des acteurs intermédiaires qui vont produire un site web, le mettre en forme, à partir

outil comme Dreamweaver, jusqu’à l’équipe web qui réalise le site et agrège différents composants (webmestres, développeurs, designers, graphistes, chefs de projet, responsables de communication, responsables marketing, etc.), en passant par les contributeurs qui apportent du contenu et les utilisateurs finaux qui peuvent être internes ou externes à l’entreprise. Dans ces conditions, les questions classiquement posées lorsque l’on aborde le problème de l’appropriation ne peuvent être tout à fait les mêmes. Certes, les théories structurationnistes ne se limitent pas au seul niveau des utilisateurs et ont pour objectif de lier les niveaux organisationnel et individuel, mais le point focal reste les utilisateurs finaux. Or, comme nous l’avions indiqué dans la première partie de ce travail, les technologies web peuvent être considérées comme des innovations de type 31 au sens de Swanson (1994) et impliquent par conséquent le travail de multiples parties prenantes. La question de la division du travail, de la répartition des rôles, est donc nettement plus présente avec cette nouvelle approche. Nous aborderons cette question de l’appropriation par les professionnels du web, c’est-à-dire ceux qui développent et gèrent les sites, à l’aide du concept d’assimilation présenté dans la partie précédente. L’assimilation renvoie alors au déploiement de la technologie, à son intégration dans les processus organisationnels. Cette intégration est prise en charge par un ensemble de professionnels désignés ou non par la direction générale.

1

“Innovation integrates IS products and services with core business technology, and typically impacts upon general business administration as well. The whole business is potentially affected, and the innovation may well be strategic, in terms of offering competitive advantage to those which are among the early adopters" Swanson, E.B. "Information Systems Innovation Among Organizations," Management Science (40:9) 1994, pp. 1069-1092.