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SECTION 1 : Question de recherche et cadre théorique

IV. Construction sociale Il existe un phénomène de réseau mais le

1. L’adoption des technologies web : un processus orienté par un ensemble limité de groupes professionnels homogènes et stables ?

1.2. Adopter un site web : entre composants et packages

Dans le cas du web, les raisonnements « toutes choses étant égales par ailleurs » ne sont pas tenables car les professionnels qui prescrivent et/ou prennent la décision d’acheter étaient dans certains cas inconnus avant l’émergence de ces technologies. Il n’existait pas de webmestre avant le web. Toutes les théories qui partent de l’hypothèse que les groupes professionnels restent relativement stables ne sont donc pas adéquates. Il faut nécessairement prendre en considération l’évolution des groupes professionnels : apparition, disparition et évolution. Par ailleurs, et cela découle de ce que l’on vient de montrer, il ne faudrait pas restreindre l’analyse aux seuls informaticiens et décideurs. Certains auteurs ont déjà montré l’importance du type de qualification et d’expertise détenu par les professionnels non praticiens du SI. Ils soulignent notamment le rôle des « professionnels SI implicites »1 (Lecoeur, 1991, p. 22) experts informels2 (Meyer et al. 1988) :

1 « Il est de plus en plus fréquent de trouver, dispersés dans l’entreprise, des commerciaux développeurs de logiciels, des ingénieurs techniques chefs de projet, des contrôleurs de gestion correspondants informatiques (…) dont l’activité liée à la gestion des SI n’est que partielle et souvent épisodique ou temporaire ».

(Lecoeur, 1991, p. 22). 2

“Informal computer experts are a very important feature of staff and operations departments where computers are used extensively. There is a folk terminology for describing people who are especially skilled or knowledgeable: computer gurus, computer mavens, power users. Office workers and managers alike depend upon such people for advice, for training, for figuring solution to new problems (...). These skills are developed by people whose main responsibilities are doing work, not building system. They ability and role may even go unnoticed by higher management or by firm's computer specialists. This is very different from acquiring expertise by the traditional sense, which required hiring a formally-trained staff of computer professionals”. Meyer, A.D., et Goes, J.B. "Organizational Assimilation of Innovations: A Multilevel Contextual Analysis,"

“Given the need for expertise, large firms hire professional experts in-house (...). However, it is striking that many computerized businesses don't employ computer professionals. In the 1982 survey, 70% of computerized firms with under 20 employees had no in-house computer specialists, and 42 % of computerized businesses with 250-499 employees lacked a programming professional. (...) What is striking about the computer revolution was the emergence of institutional arrangements that removed a large part of the burden of knowledge acquisition from the backs of potential users, and enabled a relatively complex technology to diffuse rapidly into firms that initially lacked expert knowledge and did not employ in-house specialists” (Attewell 1992).

Si les comparaisons historiques sont toujours à utiliser avec la plus grande prudence, il est malgré tout utile de mettre en parallèle le phénomène décrit dans cette citation, qui renvoie à la diffusion des micro-ordinateurs, avec la diffusion des technologies web. Ne pas se focaliser sur les seuls praticiens du SI1 apparaît comme fondamental. Il faut intégrer dans le périmètre de l’analyse un ensemble hétéroclite d’acteurs.

Cette perspective permet de compléter les analyses centrées sur des dimensions plus formelles qui analysent le rôle des associations professionnelles. Le problème posé par de telles approches tient là encore à son aspect relativement figé. En effet, dans le cas d’une innovation comme celle des technologies web, le paysage associatif s’est fortement modifié avec l’évolution des groupes professionnels. Il existe une forme de dialectique entre les associations existantes d’une part (cf. encadré sur le conflit entre le Syntec et l’UNETEL) et, d’autre part, l’émergence de nouvelles structures qui peut transformer les relations de pouvoir existantes (cf. encadré sur la création de nouvelles associations).

Conflit SYNTEC / UNETEL

En janvier 2001, pour pallier l’absence de convention collective (CCN) des salariés de l’Internet, Jean-Marie Messier (Vivendi), soutenu par Marc Blondel (Force ouvrière), prônait la mise en place d’une nouvelle convention collective, spécifique aux métiers du Net. Jusqu’alors, dans le flou ambiant qui régnait quant au choix de la CCN applicable, les Net-sociétés pouvaient se tourner vers l’une des deux conventions collectives déjà existantes :

- celle de l’Unetel pour les métiers dits de « tuyaux » - ou de contenant : opérateurs réseau, fournisseurs d’accès et de services Internet, sociétés de commercialisation de services de télécommunications,

- celle du Syntec pour les métiers de création de contenu : bureaux d’études, sociétés de conseils, éditeurs de logiciels. Dans les faits, une majorité de start-ups avaient opté pour cette convention. Apparaissaient alors des zones d’ombre évidentes : portails, sites Internet, et activités intermédiaires relevaient-ils de la fourniture de services Internet ou de la création de contenu ?

L’offensive du Syntec : litige de compétence

En juillet 2001 la signature d’un accord entre le Syntec, le CICF, la CGC, la CFDT et la CFTC sur l’extension du champ d’application de sa convention collective à neuf métiers du Net a finalement mis un terme définitif à l’idée de Jean-Marie Messier de la nécessité d’une convention collective unique. Ce projet du Syntec, s’il représentait effectivement une avancée en terme de définition précise des postes, leur conférant une première légitimité avec l’établissement d’une grille salariale et d’obligation de formation professionnelle, empiétait néanmoins directement sur le domaine de compétence de l’Unetel. L’accord précisait en effet que les 9 métiers répertoriés « relevaient du champ de compétence de la branche dès lors qu’ils étaient exercés au sein d’une société dont l’activité principale était de fournir des services ou des solutions logicielles ». Ainsi, une grande majorité de start-ups, dotées de ces métiers, se seraient retrouvées de fait associées au Syntec, même si leur domaine principal d’activité relevait plutôt du secteur des télécommunications. L’Unetel n’a donc pas tardé à contester cette demande d’extension du Syntec, réclamant l’ouverture de négociations pour une délimitation précise des champs d’application de leur convention respective. En effet, en l’absence de protestation de la part des organisations professionnelles concernées dans un délai de 15 jours à compter de la parution au Journal officiel (le 25 août 2001), la demande d’extension du Syntec aurait été ratifiée officiellement par le ministère de l’Emploi, devenant ainsi applicable définitivement et de plein droit.

Principe de partage de compétence : l’activité principale de l’entreprise

En décembre dernier, les deux organisations patronales ont finalement mis un terme à ce casse-tête du droit social en s’accordant, sur une répartition des domaines de compétence non plus suivant une nomenclature des métiers comme le voulait le Syntec, mais en fonction de l’activité principale de l’entreprise, principe de bon sens, par ailleurs déjà en vigueur dans l’Internet dans une majorité de cas.

Ainsi, toute société dont l’activité Internet ne constitue que le prolongement de l’activité principale de l’entreprise mère, dépendra logiquement de la convention collective applicable à cette dernière (…) Concernant la question épineuse des « fournisseurs de services Internet » évoquée précédemment, c’est la convention collective des télécoms qui emporte la part du lion. « Si l’activité relève de l’informatique et des systèmes d’information, l’entreprise se tournera vers le Syntec. Si, en revanche l’activité de l’entreprise s’apprécie en référence aux réseaux de télécommunications et aux services associés, la CCN sera celle de l’Unetel » explique Laurence Berthonneau, secrétaire générale de l’Unetel.

De nouvelles associations professionnelles

Le Journal du Net répertorie, de manière non exhaustive, les associations, professionnelles ou autres, syndicats et lobbies du Web. Seuls les mouvements/sites ayant une existence spécifique sur Internet ou nés grâce à ce support ont été retenus. Le dernier comptage fait état de 196 associations et lobbies répertoriés (certaines étaient déjà existantes avant l’apparition des technologies web et ont simplement étendu leurs activités).

Nous proposons de classer ces associations parmi cinq classes différentes (nous citons certaines de ces associations à titre purement illustratif) :

1) Association de promotion, de régulation, de standardisation - World Wide Web Consortium (W3C)

- Fondation pour l'Internet Nouvelle Génération (FING)

2) Association dédiée à un outil technique

- Association Francophone des Utilisateurs de Linux et des Logiciels Libres (AFUL)

- Association Francophone des Utilisateurs de PHP (AFUP)

3) Association dédiée à un enjeu gestionnaire spécifique - Association pour le commerce et les services en ligne (ACSEL)

4) Association dédiée à une communauté professionnelle

- Association des professionnels Internet et Webmestres Territoriaux (APRONET)

- Club informel des Directeurs Artistiques de la communication interactive (Directeursartistiques.net)

- Club des directeurs Marketing du secteur des TIC (AM.IT)

5) Association fondée par des particuliers qui cherche à défendre une cause spécifique - Ligue de protection des Internautes câblés (IFPIC)

Les sites web sont adoptés avec des modalités totalement différentes suivant les contextes. Il peut s’agir d’acheter différents composants ou au contraire d’acheter un site totalement finalisé. La palette de coûts est extrêmement large et il est impossible de classer a priori le site web comme étant un produit peu onéreux : de l’intranet mondial au site web e-commerce en passant par le petit site vitrine, les situations sont très hétérogènes. Au-delà de cette problématique de coût, l’enjeu se situe également au niveau des compétences à mobiliser. Là encore, entre un blog développé en quelques heures et des sites complexes, la question de l’adoption se pose dans des termes totalement différents. Il est donc essentiel de préciser le niveau de compétences requis en fonction des usages. Nous verrons par la suite comment notre approche théorique – dite de la professionnalisation organisationnelle – permet de prendre pleinement en compte cette dimension.

Une fois que la technologie est dans l’organisation, c’est-à-dire achetée, elle n’est pas nécessairement déployée et utilisée. Il ne suffit pas de réfléchir aux modalités de l’adoption pour comprendre comment une technologie se diffuse. Pour expliquer comment l’adoption se concrétise par un usage, et pour réussir à caractériser cette utilisation, il faut étudier les notions d’assimilation et d’appropriation.

2. L’assimilation des technologies web : un enjeu pris en charge par les seuls managers