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SECTION 1 : Question de recherche et cadre théorique

IV. Construction sociale Il existe un phénomène de réseau mais le

6. Niveaux d’analyse : multiplier les cadres et les angles de vue

6.3. Niveau d’analyse et assimilation

L’analyse des processus d’assimilation est faite essentiellement au niveau organisationnel à l’aide de trois études de cas. Nous présentons, en complément, des données issues des questionnaires qui permettent d’approcher le phénomène au niveau des groupes professionnels. Les résultats issus de ce travail permettent de resituer les « histoires » présentées pour chaque cas au regard d’un contexte plus macro.

155 7. Modalités du recueil des données : démarches qualitatives et quantitatives

Il existe une forme de contradiction entre les ouvrages de méthodologie qui essaient de caractériser ce qu’est la recherche qualitative en précisant le cadre épistémologique et les techniques méthodologiques associées (Denzin et al. 1998), et ceux qui refusent de diviser la recherche en deux paradigmes, l’un quantitatif et l’autre qualitatif (Brabet et al. 2004; Hammersley 1988; Rymeyko 2004), et qui proposent des postures nettement plus « pragmatiques »1 (Bryman 1988, p. 49).

Les distinctions entre les types de recherche ne peuvent pas se limiter à la seule opposition entre le qualitatif et le quantitatif car il existe de nombreuses dimensions qui conduisent à des clivages entre les recherches. Hammersley propose ainsi de différencier sept oppositions car il considère que la distinction entre ces deux approches ne permet pas de capturer l’ensemble des options sur lesquelles le chercheur doit se prononcer 2 (Hammersley, p. 80).

Il présente les sept oppositions suivantes :

1. études ethnographiques versus expérimentations

2. focalisation sur les significations versus sur les comportements

3. choix d’adopter ou au contraire de refuser le modèle des sciences naturelles (sachant que ce modèle est évidemment très difficile à spécifier)

4. approches inductives versus déductives

5. volonté d’identifier des patterns culturels ou des lois scientifiques 6. postures proches de l’idéalisme versus du réalisme (Hammersley 1988).

Cette position ouvre des perspectives pour les recherches qui assument le couplage entre le qualitatif et le quantitatif et revendiquent une cohérence épistémologique et méthodologique. De

1 “The distinction between quantitative and qualitative research is really a technical matter whereby the choice between them is to do with their suitability in answering particular research questions”.

Bryman, A. "The Debate about Quantitative and Qualitative Research," in: Quantity and Quality in Social Research, A. Bryman (ed.), Unwin Hyman, Londres, 1988, pp. 34-69.

2

“The distinction between quantitative and qualitative approaches does not capture the full range of options that we face; and that it misrepresents the basis on which decisions should be made”.

Hammersley, M. "Deconstructing the Qualitative-Quantitative Divide," in: Quantity and Quality in Social Research, A. Bryman (ed.), Unwin Hyman, Londres, 1988, pp. 34-69.

nombreux auteurs souhaitent voir augmenter cette combinaison des méthodologies dans les travaux (Mingers 2001; Robey 1996). Si le nombre de recherches qui adopte cette pluralité de méthodes reste relativement stable dans le champ du management des systèmes d’information avec une proportion égale à 20 % des recherches empiriques (Mingers 2003), ces approches sont en nette augmentation dans le domaine des recherches interventions en gestion car ces méthodes semblent permettre de mieux répondre à des enjeux opérationnels complexes pour les entreprises (Munro et al. 2002). Les recherches qui portent plus spécifiquement sur la question de la diffusion des technologies adoptent dans certains cas cette posture mixte (Kraut et al. 1998; Swan et al. 1995).

Nous avons fait le choix de coupler diverses méthodes de collecte de données. Comme nous l’avons noté, vu le caractère très global du phénomène étudié, il était indispensable de recueillir des données à différents niveaux d’analyse (micro, meso ou macro) et sur la base de données à la fois qualitatives et quantitatives. Le travail nous a permis de croiser les résultats issus de ces diverses approches, en validant nos observations et en compensant certains biais inhérents à chaque méthode. Ceci étant, notre approche est avant tout qualitative, elle est en cela proche des méthodes majoritairement utilisées dans les thèses en SI (Fallery 2001), car l’analyse quantitative n’a pas pour objectif de mettre en évidence un modèle explicatif mais plutôt d’apporter des compléments pour affiner la description du phénomène étudié. L’avantage de ce couplage est de pouvoir traiter des données hétérogènes avec l’analyse qualitative (Dumez et al. 2005) et, grâce à l’analyse quantitative, de pouvoir obtenir des données comparables et donc dénombrables (Boudon 1969, p. 31).

Nous avons par exemple tenté de réconcilier ces deux caractéristiques en dénombrant un certain nombre de termes dans les comptes-rendus d’entretien. Cette méthode de comptage des mots ne considère pas le contexte dans lequel le mot est utilisé ni même sa connotation (positive ou négative) et permet donc de procéder à des comparaisons (Ryan et al. 2000). Cette méthode a été utilisée par certains chercheurs pour évaluer des niveaux de compétences1 (Bourdieu et al. 1969).

1

Ces auteurs utilisent cette méthode pour analyser le niveau d’appropriation des œuvres d’art : « 55 % des visiteurs des classes populaires ne peuvent citer un seul nom de peintre et ceux qui le font nomment à peu près toujours les mêmes auteurs, consacrés par la tradition scolaire et par les reproductions des livres d’histoire et des encyclopédies » (Bourdieu et Darbel, 1969, p. 91).

157 Enfin, pour mieux comprendre les limites de cette démarche quantitative, à la fin des entretiens le questionnaire était soumis à la personne qui venait d’être interrogée. L’objectif était de tester le questionnaire mais aussi de voir si les résultats obtenus par des méthodes différentes étaient corroborés. Nous avons relevé quelques incohérences, ou du moins des résultats qui nous apparaissaient contradictoires.

Confronter les méthodes :

A chaque fois que les conditions le permettaient, le questionnaire a été soumis une fois l’entretien réalisé. Si dans la majorité des cas, les réponses recueillies étaient similaires, certaines réponses fournies lors de l’entretien et celles rédigées dans le questionnaire étaient contradictoires.

Ces contradictions ne portaient pas toujours sur des éléments subjectifs. Nous avons constaté dans un des cas une situation assez troublante avec une réponse différente au sujet du niveau de formation. Lors de l’entretien, le professionnel explique qu’il a passé deux ans en Belgique dans une école de cinéma pour devenir assistant caméra. Il a également suivi une formation de webmaster de 18 mois dans une école spécialisée. D’après ces éléments, il était justifiable de conclure que son niveau de formation équivalait à un Bac + 4. Sur le questionnaire, le niveau Bac + 2 était renseigné. Surpris, nous avons interrogé le professionnel sur cette incohérence apparente. Il nous a alors expliqué que l’Ecole en Belgique était en 3 ans et qu’il avait échoué pour le passage de la deuxième à la troisième année. Il considérait donc qu’il n’avait pas validé ces deux années de formation.

L’interprétation de cet écart d’évaluation n’est pas simple. Il nous a semblé que le professionnel interrogé sous-estimait systématiquement son niveau de formation : soit par un dénigrement de la qualité de la formation dans le cas de son cursus de webmestre, soit par une évaluation nulle de ses années dans sa formation d’assistant caméra. Il semblait être assez mal à l’aise vis-à-vis de sa position et de son évolution :

« J’ai parfois la prétention de dire que je suis rédacteur graphiste mais en fait je ne parle pas de mon boulot…parce que voilà, dire que je travaille à [X (1)] ça jette un froid…les gens sont étonnés, surpris et parfois admiratifs mais je parle le plus rarement possible de mon boulot. Evidemment quand je vais dans tel ou tel milieu et que ça m’intéresse ».

Cet écart, Bac + 2 à + 4, n’est pas d’une importance cruciale si l’on considère ce cas de façon isolée, mais cet exemple illustre bien les limites de ne retenir qu’une seule méthode et souligne l’intérêt de soumettre un questionnaire à la fin d’un entretien.