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Cognition et politique : deux dimensions inhérentes aux processus de diffusion

SECTION 1 : Question de recherche et cadre théorique

IV. Construction sociale Il existe un phénomène de réseau mais le

4. Critique de la littérature

4.5. Cognition et politique : deux dimensions inhérentes aux processus de diffusion

Pour ce faire, il nous faut analyser l’ensemble des groupes professionnels impliqués dans le développement et la gestion des technologies web mais aussi intégrer l’effet de la diffusion de ces technologies sur les compétences et les professions. Nous proposons donc de considérer le changement comme un processus dialectique et d’autre part de recourir au concept de professionnalisation, classiquement mobilisé quand il s’agit d’étudier l’effet de la diffusion des technologies sur les professions.

Le changement est habituellement conceptualisé par quatre théories : le cycle de vie, l’évolution téléologique, la théorie évolutionniste et la perspective dialectique (Van de Ven et al. 1995). Cette dernière vision du changement conduit à expliquer la stabilité et le changement en faisant référence aux relations de pouvoir entre des entités opposées (op. cit.). Cette vision amène nécessairement à l’analyse des processus :

“A dialectical view is fundamentally committed to the concept of process. The social world is a continuous state of becoming - social arrangements which seem fixed and permanent are temporary, arbitrary patterns and any observed pattern are regarded as one among many possibilities” (Benson 1977).

Cette théorie permet de prendre en compte le rôle des différents groupes et évite les approches trop réductionnistes :

“Dialectic theory highlights the roles of totality as well as the segments comprising it and recognizes the possibility that different groups may socially construct the same situation (e.g. the same technology)” (Sabherwal et al. 2003).

La littérature en management des systèmes d’information considère que les situations où « les systèmes d'information ne déterminent ni les organisations, ni les comportements (…) d'inévitables décalages et réactions du terrain amènent alors à considérer le changement comme dialectique » (Rowe 1999). Cette dialectique est d’autant plus prononcée que la nouvelle technologie remet en cause les pratiques traditionnelles en place dans l’organisation : “The most fundamental dialectic occurs between, on the one hand, the old knowledge embedded in business processes and practices associated with legacy systems and, on the other hand, the new business processes and practices that ERP is designed to support. Where older processes are deeply ingrained into organizational memory, they represent formidable barriers to the implementation of new knowledge associated with ERP” (Robey et al. 1999).

C’est dans ce type de situation que les conflits de métiers sont les plus fréquemment rencontrés comme nous l’avons d’ores et déjà signalé dans le tableau précédent (Besson et al. 2001). Pour pleinement intégrer ces conflits, nous utilisons et adaptons le concept de professionnalisation. Nous présenterons dans la partie qui suit cette notion et l’application que nous en faisons – nous proposerons le concept de professionnalisation organisationnelle. Nous montrerons alors en quoi cette approche par la professionnalisation permet de renouveler la question de la diffusion. Avant d’ouvrir une nouvelle partie, nous résumons notre approche par le schéma de la page suivante qui définit la diffusion comme un phénomène composé de trois processus interdépendants : l’adoption, l’assimilation et l’appropriation.

Les flèches du schéma indiquent qu’il existe des relations entre les niveaux d’analyse et entre les processus. Un logiciel tel que Dreamweaver fut ainsi adopté par des particuliers, des

hypothèse est que ces différents niveaux d’analyse sont nécessairement interdépendants : je choisis plus facilement Dreamweaver pour un usage privé si mon organisation l’a choisi, je propose à mon entreprise Dreamweaver car cela fonctionne très bien pour mon usage personnel, ma compagnie choisit Dreamweaver car c’est le standard du moment, etc. Ce phénomène est possible en raison de l’usage très peu borné des technologies web comme nous l’avons indiqué précédemment. En effet, ce type de raisonnement n’a aucun sens pour une technologie telle que les PGI.

Nous n’avons pas pu récolter de données empiriques permettant d’aborder l’ensemble des processus du schéma. Nous nous focaliserons, dans le cadre de cette recherche, sur deux dimensions : l’adoption et l’assimilation. La dimension appropriation ne sera évoquée qu’à titre de piste de recherche car nous n’avons pas effectué de recueil de données sur les utilisateurs finaux.

Figure 7 : Les trois processus de la diffusion DIFFUSION DES TECHNOLOGIES WEB ADOPTION Marché Organisation Utilisateur ASSIMILATION Marché Organisation APPROPRIATION Organisation Utilisateur

CHAPITRE 3

Diffusion des technologies et phénomènes de professionnalisation

La professionnalisation du travail est considérée comme une tendance historique de long terme inhérente à l’industrialisation (Johnson 1972). Ce processus est vu comme le résultat de l’évolution technologique (Becher 1999, p.83; Mills 1951, p. 137) et plus précisément du développement d’un savoir expert (Larson 1990) et de la spécialisation du travail (Menger 2002, p. 26). Elle ne concerne pas uniquement certaines catégories telles que celles des avocats ou des professeurs d’Université. Elle est présente dans des contextes organisationnels divers (Leicht et al. 1997) et la notion de professionnalisme est très répandue dans les discours des praticiens (Evetts 2003).

Selon certains auteurs, la professionnalisation est au centre du nouveau modèle de croissance, d’une nouvelle ‘économie de la qualité’ (Karpik 1995). Elle accompagne cette dynamique de gestion par les compétences qui se substitue au modèle de la qualification, voire au modèle taylorien (Osty 2003; Piotet 2002). Le couple professionnalisation-compétences aurait remplacé, dans la dernière décennie, les termes de qualification d'une part et d'employabilité d'autre part1 (Labruyere 2000). La professionnalisation est, dans cette perspective, un moyen de donner de l’autonomie aux acteurs (Freidson 1984) et ainsi de faire face à l’incertitude grandissante en augmentant la flexibilité (Gadrey 1999).

Au-delà de ces débats très généraux qui mettent en évidence l’actualité de la notion de professionnalisation, ce chapitre a un double objectif : le premier est de remettre en cause la façon avec laquelle les sciences de gestion abordent cette thématique ; le second propose une approche renouvelée qui permettra de répondre aux enjeux posés par la question de la diffusion des technologies.

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Certains auteurs refusent d’opposer ces deux termes et considèrent plutôt que la compétence est une nouvelle forme de qualification encore émergente.

Nous présenterons une synthèse des débats sur ces questions à partir d’une revue de littérature, essentiellement issue de la sociologie des professions1. Cette synthèse ne se veut pas exhaustive et développée car ce travail a été réalisé à plusieurs reprises (Bianic 2003; Dubar et al. 1998; Evetts 2003). Nous montrerons que les gestionnaires retiennent les résultats d’un courant bien spécifique : « l’approche par les traits ». La professionnalisation y est vue comme une dynamique où un groupe se constitue en profession via le respect d’un certain nombre d’attributs : formation formelle requise pour entrer sur le marché du travail, expertise reconnue fondée sur un savoir abstrait, champ d’intervention contrôlé par les professionnels, etc. Après avoir rappelé que cette perspective est datée et remise en cause en sociologie, nous montrerons qu’elle est surtout peu adaptée pour répondre aux questions posées par les situations de gestion. Nous proposerons de substituer cette approche à un autre courant et un auteur en particulier, Andrew Abbott (1988). La question initiale n’est plus de comprendre par quels mécanismes un groupe arrive à se constituer en profession mais d’analyser la résolution d’un problème2 empirique via une certaine division du travail entre professions (Tolbert 1990). Le problème est ici composé à la fois d’une dimension objective (il est identifié comme problème, et il existe un consensus relatif sur le fait qu’il doit être géré) et d’une dimension d’indétermination (ce problème demande à être défini, et cette définition est un enjeu pour divers groupes professionnels). La professionnalisation renvoie alors à la façon dont les groupes professionnels légitiment leurs interventions dans le temps sur ce problème via, notamment, la constitution de structures formelles et informelles.

Cette nouvelle perspective, nettement plus pragmatique, est une base féconde pour réfléchir à la question de la diffusion des technologies. Elle reste néanmoins ancrée dans un cadre sociologique. Il faut donc la faire évoluer pour mieux répondre aux enjeux gestionnaires. Pour ce faire, nous suggérons un nouveau concept, fondé sur l’approche proposée par Abbott : la professionnalisation organisationnelle. Ce terme désigne l’organisation d’une nouvelle activité via la structuration des rôles des différents groupes professionnels.

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La sociologie des professions est devenue un champ de recherche spécifique qui ne se confond pas dans celui de la sociologie du travail ?

Menger, P.-M. Les professions et leurs sociologies. Modèles théoriques, catégorisation, évolutions. Maison des sciences de l'homme, Paris, 2003, p. 269.

Les mots de la professionnalisation : métier, profession, occupation…

Une première difficulté pour spécifier les processus de professionnalisation dans les entreprises tient à l’usage ordinaire des termes de « métier » ou de « profession », couramment utilisés pour couvrir des réalités très différentes (Lucas 1994). Par ailleurs, les notions de profession et d’occupation ont, dans les pays anglo-saxons, des connotations précises que l’on ne retrouve pas en France.

Dans le début de cette partie, nous présenterons les travaux en sciences de gestion sur la question en reprenant le vocabulaire utilisé par les auteurs, sans le questionner1. Puis, progressivement, nous préciserons les définitions. Notre objectif est d’amener le lecteur à la conclusion selon laquelle l’important n’est certainement pas de définir les termes de profession, de métier ou encore d’occupation. Bien au contraire, tenter de les définir risque de nous éloigner des véritables enjeux gestionnaires.

Caractériser une profession, un métier, une activité : confrontation avec le terrain…

Avant de présenter la revue de littérature, il nous a semblé utile de souligner toute la complexité des situations de terrain. Au début de notre recherche, nous voulions caractériser la profession émergente de webmestre. Pour ce faire, nous avons réalisé des entretiens avec différents praticiens. Nous avons notamment eu une opportunité pour rencontrer le « webmestre » (terme utilisé par notre contact) d’un grand magazine de presse français. Cet objectif n’a pas été atteint : nous avons bien rencontré l’ensemble des membres de l’équipe mais nous n’avons jamais réussi à déterminer qui était le webmestre, ou si tout au moins il en existait un. Le schéma de la page suivante permet de comprendre pourquoi.

Ce cas suggère en quoi une vision focalisée sur l’émergence d’une seule profession, par exemple celle des webmestres, n’est pas très pertinente pour les praticiens. Nous verrons pourtant que toute la littérature en sciences de gestion aborde la question de la professionnalisation en adoptant des approches centrées sur un seul groupe professionnel.

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4.1.5..1. 4.1.5..2.

Directrice des éditions électroniques Ancienne documentaliste dans l’entreprise

Première personne à avoir géré le site Web en 1996 (Technologie Compuserve dans un premier temps).

Rédacteur en chef Journaliste

Intéressé par les NTIC, le Web (il a fait un site Web en HTML au début de l’Internet en France).

Rédacteur en chef technique Ingénieur informaticien

« Je suis un assembleur de briques »

Le Web n’est qu’un des aspects de son travail Il est impliqué dans le Web depuis le début.

Responsable éditoriale

Etudes d’histoire et Master en communication et TIC. Poste d’interface entre la technique et l’éditorial.

Journaliste graphiste Ecole Multimédia et Ecole de cinéma Intégration Web

Mène des interviews avec d’autres journalistes (5 % du temps)

Vidéo (Flash, 20 % du temps). Journaliste graphiste

Ecole Multimédia Intégration web

Video (Flash, 30 % du temps).

Trois personnes travaillent pour la publicité du Web

Deux documentalistes transmettent les articles de la rédaction Un à deux stagiaires (rôle journalistes).

“Il est le webmestre”

“Je suis un électron libre” “Je ne suis pas

le webmestre mais je suis considéré par les autres comme le webmestre”

“Il est le webmestre”

“Il est le webmestre” “Il est le webmestre en chef”

“L’autre journaliste

graphiste et moi sommes les webmestres.”

Presse : l’équipe du magazine en ligne

Qui est le webmestre, ou l’intérêt d’une vision systémique.

“Dans d’autres journaux, mon poste est parfois intitulé webmestre éditorial”.

“Il est le webmestre”

Personne qui nous a introduit

“Il est le webmestre”

Nous n’avons pas interrogé ces professionnels qui n’étaient pas intégrés à