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Un nouvel acteur du web insaisissable : la vision des praticiens

SYNTEC [5/07/01] 2005: Syndicat des éditeurs et SS

1.2. Un nouvel acteur du web insaisissable : la vision des praticiens

Les verbatims recueillis dans les entretiens permettent de dresser un tableau contrasté de l’activité de webmestre. Nous avons identifié quatre types de réponses1. Certains professionnels considèrent le terme comme totalement inapproprié. D’autres proposent au contraire une définition de cette nouvelle activité, soit en la définissant comme une activité de généraliste, soit en la considérant comme une activité divisée en plusieurs spécialités. Certains lèvent ces ambiguïtés (existence ou non, généraliste ou spécialiste) en avançant des facteurs de contingence : taille de l’entreprise, secteur, type de site, etc. Enfin, des professionnels abordent la question en des termes plus politiques et évoquent les problèmes liés à la reconnaissance de ce groupe professionnel émergent.

Un terme peu ou pas pertinent : « Webmasters ça ne veut rien dire »2

Selon la plupart les professionnels interrogés, le métier de webmestre n’existe pas ou du moins, le terme devrait être banni des usages. Les praticiens avancent trois raisons principales à cela : « webmestre » renverrait à des situations trop hétérogènes, irréalistes (en raison de la diversité des compétences à mobiliser) ou fonctionnaliste car le mot serait utilisé par les recruteurs pour leur permettre de rester flou sur ce qu’ils attendent et ainsi avoir un profil de poste flexible.

Webmestre : des profils complètement hétérogènes

Selon le premier groupe de réponses obtenues, le mot de webmestre renvoie à des réalités tellement diverses qu’il ne désigne plus grand chose, et il devient impossible de proposer une définition ou même une simple typologie des profils de webmestre :

1 La question posée était : selon vous le métier de webmestre existe-t-il ? Quelle définition donneriez-vous ? 2

a) « Le webmaster n’existe pas, il faudrait bannir le terme, ça n’a plus aucun sens. Il n’y pas de profil de poste correspondant à ça, c’est trop hétérogène, les rôles et les compétences sont trop différents. (…) Bref, webmaster ce n’est pas une profession » (Directeur informatique).

b) « On s’attendait à trouver 2 métiers de webmasters : webmaster technique et webmaster éditorial plus lié au contenu. On a essayé de retrouver cela mais on n’a pas pu le montrer avec les données que l’on avait. On n’a pas réussi à mettre en évidence l’émergence d’un métier. Aujourd’hui, je ne saurai pas définir le métier de webmestre » (responsable d’une enquête quantitative sur les métiers du multimédia). c) “Webmaster (...) has become a catch-all for any of the activities described above, and thus has lost unique meaning” (Barrett et al. 2001).

Webmestre : des professionnels aux « 1000 compétences »

La deuxième idée est que le métier de webmestre renvoie à des profils de généralistes, sensés mobiliser des compétences à la fois techniques, éditoriales et managériales. Réussir à maîtriser toutes ces compétences serait de l’ordre de l’exceptionnel, voire de l’impossible :

a) « J’étais confronté effectivement au problème qu’est-ce qu’un webmaster. Et puis moi-même je peux difficilement me définir comme un webmaster. Le profil sur le papier est à la fois contenu et puis technique mais dans les faits, je ne peux pas dire que je vois beaucoup de webmasters qui correspondent vraiment à ce profil » (formateur).

b) « Webmaster qu’est ce ça veut dire, ça veut dire webmarketer plus journaliste plus développeur… c’est illusoire » (formateur).

Webmestre : une utilisation intéressée

Enfin, la troisième idée est que les recruteurs et les managers utilisent le terme de webmestre car il leur permet de rester très flous sur ce qu’ils peuvent exiger de leurs salariés et ainsi d’avoir une gestion de leurs ressources humaines plus flexible :

a) « Quand je vois les stagiaires qui sortent d’écoles de webmasters, ils ne savent pas faire grand-chose. Tout ça doit s’apprendre sur le tas (…) webmaster ça veut rien dire, nous on nous met webmaster et ça leur permet à eux de nous faire tout et n’importe quoi puisque webmaster n’est pas défini, à part bien sûr si on fait une fiche de poste mais ça bien sûr ils ne le feront jamais » (webmaster 2004).

b) « les entreprises identifient un besoin et ensuite ils cherchent le profil qui correspond. Le nom du métier c’est un peu un truc qui est choisi après par consensus. Dans mon cas, c’était un peu un mouton à 5 pattes » (chef de projet et webmaster).

A l’inverse, selon certains professionnels, le métier de webmestre ne fait pas véritablement débat et ils proposent des définitions pour caractériser cette activité émergente : pour les uns, il désigne une activité de généraliste, pour les autres, il renvoie à de différentes spécialités techniques ou plus éditoriales.

Webmestre : homme à tout faire ou spécialiste ?

Certains professionnels considèrent que le webmestre gère l’ensemble du site, il est l’homme orchestre :

a) « Un webmaster (…) prend en charge les mails que l’on reçoit, les demandes d’évolution, (…) force de propositions pour faire des nouvelles pages ou faire des suppressions (…). orchestrer la création d’un nouveau site. Et pas sur le plan graphique uniquement, même si ça doit être sexy on est d’accord. C’est pas compliqué, il y a des tas de gens qui savent faire ça avec des tas de formations en un mois 2 mois 3 mois… » (Directeur technique).

Et puis, avec la maturation des technologies, les sites web ont été de plus en plus pris en charge par une équipe, le webmestre devenant alors le chef d’orchestre, le chef de projet :

a) « Avant le webmaster était plutôt l’homme orchestre, c’est-à-dire celui qui fait tout, aujourd’hui il serait plutôt le chef d’orchestre, c'est-à-dire celui qui fait faire » (consultant).

b) « Le webmestre est un chef de projet » (Lacroix 2003).

c) “The days of Webmaster are over. Today it is the Webmanager who manages a diverse mix of people to pull off a Web site” (Powell 1998, p. 11).

Enfin, certains considèrent que le terme est générique et qu’il peut ensuite se préciser suivant les spécialités du professionnel. La définition proposée sur le site de Wikipédia adopte d’ailleurs cette vision et définit le terme comme suit :

« Webmestre, francisation de l’anglais webmaster, est un terme assez générique sous lequel se retrouve un panel de métiers ou de fonctions »1 (Wikipedia, 23.08.06).

Voici quelques verbatims recueillis auprès des professionnels allant dans ce sens : a) « Le métier a trois spécialités : technique, graphique et éditoriale » (Carlier 2000).

b) « Certains webmasters ne font qu’acheter des mots clés sur les moteurs de recherche. On les appelle les webmanagers » (responsable marketing d’une entreprise d’affiliation).

c) Spécialités présentées dans des ouvrages destinés aux praticiens : programmation, graphisme, éditorial, administration (Spainbour et Eckstein 2000) ; développeur, webmarketer, journaliste (Ribert 2004).

Une analyse plus fine, prenant en compte des facteurs de contingence pourrait-elle permettre de lever ces ambiguïtés, ces contradictions dans les réponses ?

1 http://fr.wikipedia.org/wiki/Webmaster

De multiples contingences ?

La diversité des profils s’explique peut-être par des variables de contingence comme la taille de l’entreprise, le type de site, ou bien encore le secteur d’activité.

Taille de l’entreprise

Les webmestres de sites web de PME non spécialisées dans le secteur du multimédia n’occupent pas cette fonction à temps plein et n’ont pas ce profil de poste de façon formelle :

a) Nous avons interrogé un chercheur qui avait recueilli des données empiriques auprès d’une vingtaine de PME qui avaient développé un site web. Nous lui avons demandé s’il avait rencontré des webmestres, voici sa réponse : « Nul part. En interne, c’est du bricolage, personne ne s’est positionné comme webmestre » (chercheur).

b) « Dans les PME c’est vraiment le bénévolat. C’est un mec qui dit attend on peut pas se passer d’un site web donc je m’y colle. Quand je dis PME c’est entre 20 et 100 personnes (…) C’est pas une personne dédiée, ni un budget dédié, c’est pas une responsabilité décidée, c’est vraiment quelqu’un qui s’auto-proclame » (consultant).

Par contre, plus la taille de l’entreprise augmente et plus, très logiquement, les profils de webmestre sont spécialisés :

« Il n’y a pas un métier, il y en a plusieurs…ça dépend, si vous êtes dans une entreprise de taille moyenne, il va y avoir un webmaster qui va tout faire, qui va à la fois être le webmaster informatique, il va être aussi être le webmaster (…) développeur mais il va aussi être le webmaster éditorial (…), il va faire tout tout seul, il va faire la maintenance du serveur. (…) dans les boites plus grosses on va trouver des webmasters plutôt éditoriaux, plutôt coté com, et des webmasters juste développeurs de pages mais qui ne vont pas toucher à la partie IT, qui sera laissée à la partie informatique. Et il y a des groupes où il y aura plusieurs webmasters, un qui s’occupe vraiment de la partie code et un webmaster éditorial, il y a plusieurs composantes et en fonction de la taille de l’entreprise, il va être obligé de faire tout ou une seule partie » (chef de projet e-business).

Secteur d’activité :

Le terme de webmestre semble plus usité dans deux secteurs assez différents : les administrations publiques et le secteur des sites pour adulte (pornographie sur Internet).

a) « Webmaster d’une mairie ou d’une collectivité locale, webmaster de Matignon, webmaster du sénat, tout cela ça me semble tout à fait cohérent. Tout ce qui est organisme public ça me paraît plus cohérent » (formateur).

b) « Les interlocuteurs sont à 80 % des webmasters (en majorité ils travaillent dans le net pour adulte) ; pour les sites d’entreprises il s’agit plutôt d’ingénieurs » (responsable marketing fournisseur de

c) « Plus de 80 % de nos interlocuteurs sont des webmasters » (responsable de communication d’un affiliateur spécialisé dans le secteur du net pour adulte).

d) « Les webmasters sont des clients indirects, d’où notre intérêt pour connaître leurs compétences » (responsable marketing d’une entreprise high-tech dans le secteur de la téléphonie mobile spécialisé dans le marché du « charme »).

Secteur de « l’Adult Business » : un débouché porteur pour les webmestres ?

Lors du salon professionnel des webmasters (2004) où nous avons diffusé un questionnaire, la plupart des exposants étaient des représentants d’entreprises issues de « l’Adult Business ». Nous avons discuté avec plusieurs webmestres travaillant dans ce secteur, ainsi qu’avec certains responsables des entreprises, qui les embauchent. Le patron d’une des plus importantes sociétés du domaine, nous a affirmé rémunérer près de 15 000 webmestres chaque mois (à temps partiel pour la majorité d’entre eux) avec des salaires pouvant atteindre, pour certains, 10 000 euros par mois. Plusieurs webmestres m’ont indiqué que ce secteur était le seul à offrir de telles rémunérations et de si nombreuses opportunités. Les webmestres du secteur connaissent une forte cohésion, ont des caractéristiques très similaires et revendiquent leur profession de webmestres (il existe des sites web qui offrent des ressources qui leurs sont entièrement destinés, des sites de forums spécialisés, des associations, etc.). Pour se professionnaliser le webmestre aurait, d’une certaine façon, intérêt à « se marginaliser ».

Une des raisons principales de cette situation renvoie aux modèles d’affaires sur le web. Le secteur de la pornographie fut un des premiers secteurs rentables sur le net et reste aujourd’hui un des premiers marchés en termes de chiffre d’affaires. Selon certaines études, les sites destinés au « divertissement pour adultes », selon l’expression consacrée, drainerait 10 % du trafic Internet (Macke 2005) et représenterait 2.4 % des sites web (Santrot 2001). Les chiffres d’affaires réalisés sont conséquents. « Selon le Washington Post, le marché de la pornographie en ligne pèserait 2,5 milliards de dollars par an, soit plus de deux fois celui de la musique en ligne. Sur le marché national, la place de leader est tenue par la société Carpe Diem. L'entreprise, créée en 1998, a multiplié son chiffre d'affaires par sept entre 1999 et 2004 pour atteindre 23 millions d'euros » (Nunès 2006).

Ces constats n’ont rien de surprenant et le marché de la pornographie s’est souvent révélée être le premier marché rémunérateur pour de nombreuses innovations technologiques :

“One of the first uses of any new communication technology has always been to make pornography. Photography was no sooner invented in the mid-nineteenth century that people were using it to make and distribute dirty pictures” (Becker 2002).

Type de site web

La meilleure façon d’appréhender le terme de webmestre serait de partir du type de site développé :

a) « Webmaster ça dépend du site qui est administré » (chef éditorial technique).

b) « Pour moi la notion de webmestre, ça fait référence à des sites tournés vers les clients » (chercheur). c) « Webmaster on met ce que l’on veut derrière. Ça dépend s’il y a plusieurs sites, si c’est de la technique, de la gestion de projet » (chef de projet web 2004).

d) Avec la diffusion des outils de gestion de contenu, un site simple qui permet de publier du texte ne nécessite plus la présence d’un webmestre à temps plein : « Ressource Information Technology Program Office" a payé 300 000 $ pour le logiciel et les services de emPowerNet (...) à comparer avec les 800 000 $ qu'il aurait fallu dépenser par an si le site était géré par des webmestres » (McGee 2002).

Département de l’entreprise où est développé et géré le site

Un professionnel nous a indiqué que le terme pouvait également renvoyer à des réalités différentes s’il était utilisé au sein des fonctions informatiques ou du service communication de l’entreprise :

« Si on est du côté de l’informatique, le webmaster va être plus un facilitateur, un exécutant des idées des autres alors que si on est rattaché à un service de communication, il aura plus un rôle d’arbitrage » (consultant).

Un vocabulaire instable, fonction du contexte

Enfin, certains expliquent que la même réalité, la même activité, peut être appréhendée avec des noms de métier différents :

a) « Sur certains sites on dira webmaster éditorial (…) Pour le même profil et à peu près le même poste, il peut y avoir plusieurs noms » (responsable éditoriale).

b) « Bref les possibilités des noms ne manquent pas ! Mais tous ont le même rôle : administrer le travail des autres. Un vrai métier ! » (Charton 2003).

Le tableau suivant synthétise les principales contingences telles qu’elles apparaissent dans les entretiens et les observations de terrain.

Tableau 21 : Webmestre : une « réalité » contingente

Webmestre ?

Indépendants - Agences web

Organismes publics PME classique

Grandes entreprises

Type de site Simple ou complexe Simple ou complexe Site simple Site complexe

Proportion Forte Forte Moyenne Faible

Profil Généraliste Généraliste Complément d’une

activité principale : pas de spécificité

Spécialiste : technique ou éditorial

Un métier valorisable ?

Au delà de la question de l’existence et de la caractérisation des webmestres, certains professionnels se sont surtout arrêtés sur l’avenir de ce groupe professionnel. Deux types de réponse ont été relevées : les uns considèrent que l’activité de webmestre est et restera peu valorisée, tandis que d’autres souhaitent trouver des solutions pour donner une véritable place à ce métier dans les organisations.

Webmestre : un simple exécutant

« La vision que j’en ai moi c’est que c’est un exécutant. Un site c’est quelque chose de compliqué, de très très lourd, ça traduit l’organisation d’une entreprise, en même temps que ses objectifs. (…) Donc ça relève beaucoup plus d’une organisation générale que du travail du webmaster. Je le vois comme exécutant, éventuellement comme un exécutant talentueux si on va lui demander des choses qui ne sont pas, enfin qui relèvent vraiment de quelqu’un qui sait manier le graphisme à l’écran mais au-delà de ça » (représentant d’une association / commerce électronique).

Un métier à défendre et à valoriser

« Souvent 01Informatique s’attribue le métier de webmestre mais ce n’est pas dans son champ a priori. Le problème c’est que le webmestre est souvent rattaché au service informatique alors qu’il devrait être rattaché aux entités où il travaille effectivement. (…) Le problème avec le terme de webmestre c’est qu’on l’utilise pour désigner à la fois des professionnels et des amateurs » (webmaster indépendant).

Quel avenir pour les webmestres ?

Dans le portrait que nous avons dressé et qui émerge de nos enquêtes, le champ de compétences et les missions des webmestres restent difficiles à cerner. Ces dernières sont encore mal connues dans l’entreprise, contribuant à rendre la fonction atypique. Ces traits résultent sans doute d’une part de la rapidité avec laquelle les TIC se sont déployées ; ils sont renforcés, d’autre part, par la dimension intrinsèquement transversale de l’activité de webmestre, située aux points de recouvrement de différentes fonctions de l’entreprise.

Nous utilisons les résultats issus du questionnaire en ligne (2005-2006) pour avoir la perception de l’ensemble des professionnels du web et ainsi se détacher de la seule vision des webmestres. Nous aborderons ce point à l’aide de verbatims issus des questionnaires et de données quantitatives.

Tableau 22 : Quel futur pour le métier de webmestre ?

Disparition Evolution

Synthèse

- les technologies vont rendre ce métier totalement obsolète

Synthèse

- les webmasters auront différents types de profils (technique, éditorial, graphique)

- les webmasters vont se focaliser sur la gestion des contenus

Verbatims

- « la fonction de webmaster se décompose déjà » - « les outils comme DreamWeaver ou Frontpage ont totalement décrédibilise les webmasters »

- « le métier de "webmaster" ne signifie plus rien. Pour simplifier : soit on est développeur, soit designer, soit on est la personne qui va faire vivre le site (via le backoffice) »

- « je pense que beaucoup de gens vont se mettre à créer des sites web sans pour autant être des professionnels. Je le constate déjà aujourd'hui. La concurrence est telle que le marché des webmasters connaîtra certainement une implosion dans les années à venir »

Verbatims

« rôle du webmaster : 3 compétences – 3 métiers : Informatique : conception, implémentation, mise à jour / Editoriale et ergonomique : rubricage, choix et rédaction des contenus / Graphique : design et intégration

« un (bon) créateur web est avant tout un polyvalent (design-mise en œuvre-gestion relationnelle-technicien...). » « le webmaster sera une sorte de « journaliste » collectant les infos (…) il sera également l’interface entre sa direction et les agences web »

« les outils CMS (Système de gestion de contenu) pour tout usage vont se généraliser et faire ainsi évoluer les métiers des webmestres vers des postes d'administrateur et d'intégrateur. »

« diffusion des contenus de plus en plus développés et organisés par les webmasters à contenu »

« on va aller vers beaucoup d'outils qui ne nécessiteront pas de vrais connaissances techniques (blog, cms,...) et qu'on va vers beaucoup de "webmasters de contenus" »