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LA STRUCTURE FAMILIALE ET SA RÉGULATION

Dans le document Td corrigé Gregory Bateson - Ma Pomme pdf (Page 109-112)

VI - La communication et le système de contrôle et régulation

LA STRUCTURE FAMILIALE ET SA RÉGULATION

Le système des contrôles et des équilibres qui semble caractéristique des organisations politiques américaines se retrouve dans le style des relations interpersonnelles du cercle familial. La famille américaine est une unité dont le leadership est imparfaitement défini et au sein de laquelle les opinions sont diverses. Aucun des parents ne se voit reconnaître une position d'autorité absolue. Il arrive quelquefois que l'un d'eux soit plus diligent que l'autre comme lien entre la famille et la communauté ou bien pour prendre telle ou telle décision. Mais un

parent qui remplit des fonctions particulières de ce genre n'est quand même pas une autorité suprême ni le champion de l'unité familiale. Il (ou elle) n'est pas en état de prendre des décisions en étant certain (ou certaine) que les autres accepteront ou apprécieront 187 celles-ci. Plutôt, le parent qui se distingue doit manifestement agir comme s'il (ou elle) était en train d'harmoniser une diversité d'opinions et il (ou elle) doit s'acquitter de ce rôle non pas avec une simple baguette silencieuse, mais en jouant effectivement dans l'orchestre, en exerçant une influence intégrative seulement par sa contribution à la totalité de la séquence sonore. Il s'ensuit que l'apport de celui qui aspire à diriger, pour être efficace, doit avoir beaucoup d'éléments en commun avec les tonalités et les thèmes joués par les autres musiciens.

Lorsque l'un des parents se comporte en leader, il (ou elle) parviendra à influencer les autres seulement si ceux-ci peuvent reconnaître un écho de leurs propres sentiments exprimés, dans la voix de ce leader. Réciproquement, les sentiments et les idées de ceux qui le suivent sont en quelque sorte sa caisse de résonance, déterminant la direction qu'il peut prendre et délimitant jusqu'où il peut aller.

Les Américains acceptent avec beaucoup de tolérance le «baratin» de leurs dirigeants. C'est comme si l'évitement de la confrontation conduisait à une nouvelle forme de sagacité et à une nouvelle forme de sincérité. Pour des oreilles européennes, le baratineur n'est qu'un simple charlatan que l'on peut mépriser comme tel. Aux yeux des Américains, son improbité est tolérée du fait que chacun sait que, dans ses discours, le dirigeant porte-parole doit introduire ce qu'il veut dire, mais le diluer au milieu des nombreuses choses qu'il estime que les gens veulent entendre. 11 lui faut donner à ses auditeurs ce qu'ils désirent. Personne ne croit réellement plus que la moitié de ce qu'il dit et il peut donc continuer à être une personnalité appréciée dont la supercherie est ressentie comme vaguement bienfaisante - et même thérapeutique.

Le statut psychologique de ce genre de personnages est illustré d'une manière vivante par les très populaires histoires pour enfants du Magicien d'Oz. Ce célèbre bonimenteur, même après que ses tromperies ont été dévoilées, donne un cœur à Tin Woodsman (le rétameur), un cerveau à Scarecrow (l'épouvantail) et du courage à Cowardly Lion (le lion poltron). A l'héroïne Dorothée, il donne la foi qui lui permettra de retourner au Kansas.

Au cours de ce processus continu où tous contribuent à l'intégration du groupe, il est dangereux d'exprimer directement 188 un désaccord; mais les Américains peuvent très bien «se mettre d'accord pour n'être pas d'accord». Cette phrase a en général plus de signification qu'il n'y paraît. Normalement, cela impliquerait que chacune des deux parties soit d'accord sur le fait que l'autre défend une opinion différente de celle qu'elle a elle-même. Mais, quand deux individus sont d'accord pour n'être pas d'accord, ils reconnaissent qu'en dépit des différences d'opinion ils ont également un but commun. Au minimum, ils ont le désir commun d'éviter les discussions continuelles et les querelles; mais généralement ils pensent aussi à d'autres objectifs encore plus positifs. Et c'est l'appel implicite ou explicite à poursuivre ensemble ces objectifs qui est le ciment grâce auquel des opinions diverses continuent à rester réunies en un système contrôlé et régulé.

Les Américains évitent de s'affronter, de proclamer leurs prises de position et de souligner les différences, toutes choses qui se produiraient dans beaucoup de cultures européennes. L'évitement des confrontations est associé à la finalisation et

au fait que le regard est résolument tourné vers l'avenir. Cependant, les compromis et la capacité de se rassembler en vue d'objectifs communs empêchent toute possibilité de blocage et jettent un pont entre les différences d'opinion.

Chaque membre d'un groupe familial exerce un contrôle sur les autres membres.

Les rôles sont constamment en train de changer et c'est pour cela que l'enfant américain doit affronter de nombreuses difficultés pour délimiter son identité. Par exemple, dans le discours du père, on peut reconnaître des nuances des sentiments de la mère; et la voix de la mère, quand elle s'adresse à l'enfant, exprime une certaine complicité avec celui-ci. Et pourtant, en termes de réalité humaine, si l'on transcende toutes les particularités culturelles, l'enfant constitue une entité séparée qui vit dans son propre monde, avec son système personnel de buts et d'aspirations. S'il vit dans une famille américaine, chaque fois que ses parents parlent, il entend ses propres aspirations imbriquées dans un système qui n'est pas le sien. Les occasions qui lui permettraient de découvrir ce qu'est réellement l'individualité humaine sont ainsi brouillées chaque fois que la voix de l'un de ses parents exprime des sentiments de l'autre. L'auto-identification se développe à partir de l'observation de nos différences avec les autres, ainsi qu'à partir des différences que les 189 autres présentent entre eux. Mais l'enfant américain doit parcourir un cheminement plus compliqué. D'un côté, il lui faut découvrir qu'il est lui-même différent et, d'un autre côté, il lui faut apprendre un genre de vie dans lequel il doit faire abstraction de sa propre personnalité. S'il n'apprend pas cela, il sera constamment frustré au sein d'un monde dont le fonctionnement repose sur une prémisse qui suppose la ressemblance.

Par son vécu familial, l'enfant américain est préparé de façon adéquate, voire même excessive, à devenir membre d'un groupe. Il a assimilé le principe d'un exercice de censure morale par le groupe. La transition allant de l'autorité parentale personnalisée à la soumission à l'autorité du groupe survient longtemps avant la séparation matérielle d'avec les parents. Assumer l'autocensure, dans la personnalité américaine (ou bien, pour employer un terme freudien, le développement du «Surmoi») résulte donc de l'intégration de l'expérience en groupe, plutôt qu'elle n'est fondée sur une identification directe au père, par exemple. Quant à l'enfant anglais, il est plus préparé à accepter que le leader d'un groupe devienne un substitut parental; et, s'il se trouve lui-même en position de leader avec un rôle qui focalise l'attention sur lui, il adoptera une attitude parentale envers le groupe.

Dans une grande majorité de cas, aux États-Unis, l'enfant passe par une phase d'adhésion à une bande, période pendant laquelle il devient membre participant d'un groupe de camarades de son âge, à l'extérieur de chez lui. Les parents américains sont souvent extrêmement conscients que ce groupe exerce sur la formation du caractère une influence à l'écart de leur propre génération et souvent étrangère à leur propre environnement culturel. Ils se trompent probablement dans leur appréciation. Ce qui se passe réellement, c'est que l'enfant apporte à l'adhésion à son groupe précisément cette déférence envers l'idée de groupe qui a été implantée en lui par la constellation familiale.

La régulation de l'équilibre exhibitionnisme-voyeurisme se place ici. Le parent américain a tendance à employer son voyeurisme; il encourage l'enfant à être réalisateur et autonome; le parent anglais, lui, utilise l'exhibitionnisme (en agissant comme modèle et en incitant l'enfant à regarder) de sorte que cet enfant puisse apprendre comment agir. Et c'est ainsi qu'aux États-Unis l'exhibitionnisme est assimilé à une problématique de dépendance et de soumission de l'enfant, alors

qu'au contraire, en Angleterre, 190 l'exhibitionnisme se rattache à une problématique parentale de domination et de protection. Nous avons, indiqué précédemment que celui qui veut devenir leader aux États-Unis doit montrer d'une façon manifeste qu'il exerce cette fonction par sa contribution comme participant, de sorte que le groupe puisse exercer une certaine dose de contrôle. Ce faisant, le leader est nécessairement dans une certaine mesure exhibitionniste et, en un sens, cela montre qu'il est dépendant de l'approbation du groupe et soumis aux restrictions de ce contrôle.

LA PSYCHIATRIE DANS UN UNIVERS D'ÉQUILIBRES ET DE

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