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LE RESEAU CULTUREL

Dans le document Td corrigé Gregory Bateson - Ma Pomme pdf (Page 30-33)

Un individu qui n'a pas conscience de l'existence de systèmes culturels plus vastes que le sien acceptera les événements comme «naturels». Si toutefois quelqu'un est conscient d'assister à des événements historiques ou culturels, il est frustré par le fait qu'il n'est pas à même de comprendre pleinement les processus qui se déroulent. Essayons, par conséquent, d'apporter un peu de lumière sur cette question. Il appartient aux anthropologues d'étudier ces systèmes suprapersonnels;

les indications qu'ils ont 056 tendance à donner sur une «culture» consistent principalement en généralisations concernant des personnes et des groupes. Ce que les gens font et ce que les gens disent, ce qu'ils ont fait ou ce qu'ils ont dit, composent le gros des données.

On ne peut pas observer directement la «culture» en tant que telle. Elle existe uniquement sous la forme de généralisations énoncées par les chercheurs en sciences humaines, qui incluent non seulement les modèles d'organisation

spécifiques des hommes en groupes, mais aussi leurs problèmes juridiques et économiques, leurs langages et leurs systèmes de symbolisation, leurs conventions et leurs traditions et tous les objets, bâtiments et mouvements qui véhiculent quelque message du passé [147].

Pour les membres d'une tribu primitive qui ont passé toute leur vie au même endroit, il semble tout à fait naturel que les choses soient comme elles sont.

Toutefois, l'anthropologue s'aperçoit, à partir de sa connaissance d'autres lieux et d'autres peuples, que certains des traits observés sont uniques. C'est parce qu'il est étranger qu'il peut distinguer ce qui, pour l'autochtone, va de soi et passe inaperçu.

Cependant, habitué à faire et à voir des choses autrement que les gens du pays, l'anthropologue rencontre un nouveau problème à chaque pas. Son manque de familiarité avec telle ou telle culture particulière se révèle lorsqu'il veut communiquer avec les gens du pays, lorsqu'il viole involontairement quelque règle fondamentale ou bien lorsqu'il veut tout simplement commander un repas. De même, lorsqu'ils vont à la découverte d'une nouvelle «culture», tous les voyageurs sont obligés de déduire certains principes grâce auxquels ils pourront comprendre les gens du pays. Telle est exactement la position de l'anthropologue américain lorsqu'il désire apprendre quelque chose sur Bali ou celle de l'anthropologue anglais quand il étudie l'Amérique. Et le chercheur en sciences humaines est confronté à la même difficulté lorsqu'il mène un travail de recherche auprès des personnes d'un groupe autre que le sien. Quand un étranger se trouve lui-même environné par une population qui diffère de lui à beaucoup d'égards, il doit bien sûr élaborer des généralisations sur le comportement d'autrui. Peu importe qu'il soit un voyageur dans un pays différent ou qu'il soit un juriste chez des médecins: le principe est le même.

En général, les gens qui appartiennent à une culture donnée ou à une subculture sont remarquablement ignorants des prémisses 057 auxquelles ils se conforment dans leur système de communication. Aucun homme n'est réellement capable d'évaluer ses propres comportements en fonction du système plus vaste auquel il appartient. Sans doute existe-t-il des gens qui pensent agir parfaitement en accord avec les principes de leur culture respective et certains des autochtones peuvent même énoncer des prémisses d'une façon très explicite. Mais seul un étranger, ou bien un autochtone qui a vécu dans des systèmes culturels autres que le sien, peut formuler les prémisses fondamentales. Ce n'est que par l'expérience du contraste que l'observateur acquiert la prise de conscience et la perspective qui sont nécessaires pour parvenir à des généralisations pertinentes: ces généralisations constituent donc un dictionnaire qui rend l'observateur capable de traduire dans le langage qui lui est familier les signaux qu'il a reçus sous une autre forme.

Nous avons mentionné plus haut le sentiment d'impuissance que l'on éprouve quand on ne peut pas suivre la trace d'un message de l'origine jusqu'à la destination. Cela implique cependant que l'on sache qu'à partir de messages l'on peut remonter jusqu'à des sources humaines. Chaque culture comporte des croyances et des traditions dont on ne peut pas trouver les origines humaines. Ces messages sont acceptés par la population comme s'ils provenaient de Dieu ou d'une figure mythologique, ou bien comme s'ils exprimaient la nature des choses.

Mais, quelle que soit la source supposée à laquelle ces messages sont attribués, il est significatif que l'individu ne possède ni recours, ni réponse, ni possibilité de correction. L'anthropologue, en revanche, sait que dans une autre culture peut-être ce domaine particulier de croyances est modifiable tandis que dans d'autres secteurs la correction est impossible. Nous appellerons «communication culturelle de masse» ces zones où la correction est impossible.

Ainsi, l'on peut dire que la communication culturelle de masse influence chaque citoyen qui se trouve dans son rayon d'action. On relève des exemples de ce type de communication dans les messages que les gouvernants et les dirigeants adressent à la population. Ici, une ou plusieurs personnes envoient à la population en général des messages sous la forme de proclamations, d'émissions de radio ou de télévision, de pièces de théâtre, de films, d'articles de journaux, etc. Ces communications se caractérisent 058 par une instance émettrice multiple et souvent indéfinie. Elles proviennent habituellement d'une institution ou d'un département administratif et, au moment où un discours est prononcé ou un spectacle a lieu, beaucoup de gens y ont collaboré. Ce n'est donc plus un message d'un individu à un autre, mais un message de beaucoup de gens à beaucoup d'autres et, finalement, tant de personnes y ont participé qu'il faut considérer ce processus comme une communication de masse. Les enfants sont continuellement exposés aux communications de masse par la radio, la télévision, les bandes dessinées et, finalement, et ce n'est pas le moins important, par les opinions de la famille elle-même.

Une seconde sorte d'événements doit être prise en considération au chapitre de la communication culturelle: la transmission d'énoncés sur la tradition et sur les habitudes relatives aux cérémonies, aux usages commerciaux, à la santé, à l'éducation des enfants, etc. Contrairement aux messages dont il a été question plus haut, dans la plupart des sociétés l'information relative aux coutumes constitue - bien qu'elle change lentement - une répétition plus fidèle des communications de masse du passé. Le spectateur peut observer comment l'information, d'origine fréquemment anonyme, est transmise de génération en génération et il peut remarquer ses effets sur le comportement des gens qui vivent à notre époque.

On peut inclure un troisième type d'événements dans la rubrique de la communication culturelle: les objets matériels fabriqués par l'homme et la façon dont les gens disposent ce dont ils s'entourent. En raison des dimensions et du temps nécessaires à la construction, les cathédrales, les, digues, les routes et les immeubles se situent à une échelle que ne peut atteindre l'action isolée d'un individu. Ici encore, ces systèmes d'objets deviennent des communications de masse dont les personnes qui sont à l'origine des messages, de même que leurs destinataires, demeurent fréquemment anonymes.

Il existe un quatrième type d'événements sociaux: le système des symbolisations et le langage que l'on doit apprendre si l'on veut participer à un groupe donné. Il faut savoir maîtriser non seulement les systèmes de symbolisation, mais également des nuances subtiles dans les significations des symboles. Grâce à l'impact de la communication de masse, chaque citoyen apprend à interpréter le sens des messages non seulement en 059 appréciant le contenu mais surtout en observant certains indices sur la manière de les présenter. La ponctuation, l'accentuation, les marques d'attention, l'attribution de rôles et l'expression de l'émotion peuvent toutes être considérées comme des messages sur la communication qui guident le récepteur dans sa compréhension - son décodage et son évaluation des messages.

L'expression «s'il vous plaît», par exemple, ou le fait d'élever la voix dans un certain contexte ont une signification qui appartient à la culture que l'on partage et aux enseignements de la matrice sociale, soit grâce à la communication de masse, soit à partir de l'expérience personnelle des relations avec d'autres personnes de la même culture. On présume que les règles de la communication sur la communication - qui sont aussi les règles qui définissent la relation humaine - sont communes à beaucoup de gens; tandis que le contenu primaire, plus simple, du message est l'affaire du moment immédiat et particulier à celui qui parle.

Les éléments que l'on croit personnels et éphémères sont évidemment plus susceptibles de changement que les modèles plus fondamentaux dont on présume qu'ils sont absolus ou du moins observés par un grand nombre de personnes. On suppose que la liberté d'action et d'autocorrection de l'individu est relativement grande au niveau personnel. Il voit les effets de ses actions, il peut les corriger et il peut voir la relation entre cause et effet. Mais des difficultés surgissent quand il s'agit des idées que l'individu suppose partagées par un grand nombre de gens. La personne en question peut être excessivement déviante par rapport aux autres personnes dans ses habitudes communicationnelles et elle peut posséder ses propres règles spéciales pour interpréter des nuances dans la communication.

Cependant, elle suppose inconsciemment que ces règles sont universelles et qu'elles appartiennent à la nature inévitable et permanente de la vie. Ainsi en est-il du patient en psychiatrie. A ce niveau, la difficulté de la tâche de la thérapie est d'amener le patient à découvrir que ses idées non explicitées et généralement inconscientes sur les relations humaines, sur la communication et sur sa propre culture sont incorrectes; c'est aussi de l'aider à comprendre que les communications de masse sont d'origine humaine et peuvent être changées.

Ce ne sont pas seulement les individus qui croient inconsciemment à l'universalité des règles de la communication, mais aussi 060 des groupes de personnes et des nations tout entières. Dans ce contexte, une déclaration de guerre peut être considérée comme le moment où les gens réalisent leur isolement en termes de communication. En recourant à l'intervention armée, ils forcent l'adversaire à faire de même, c'est-à-dire à recourir à la guerre. Cette procédure met fin à leur isolement dans la mesure où les deux nations utilisent un système de communication qui leur est commun, celui de la violence et de la guerre. Cela en soi a un effet égalisateur pour les deux nations étant donné qu'elles partagent maintenant un système de communication qui leur est commun.

Après un certain temps, variable, et avec l'effet de nivellement de la guerre, les adversaires sont à nouveau capables de vivre sans guerre; cela suppose qu'ils sont passés à travers les mêmes épreuves, ce qui leur fait partager les mêmes règles de communication.

Les anthropologues, les psychologues et les sociologues ont produit une littérature considérable au sujet de l'impact de ce genre de communication de masse sur l'individu. Pour l'essentiel, on peut considérer que ces communications de masse forment une matrice sociale dans laquelle s'insèrent les relations humaines. La façon dont la matrice sociale influence les comportements individuel et interindividuel peut mieux se comprendre si l'on introduit le concept de prémisse de valeur.

Dans le document Td corrigé Gregory Bateson - Ma Pomme pdf (Page 30-33)