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LA DIVERSITÉ DES CODAGES

Dans le document Td corrigé Gregory Bateson - Ma Pomme pdf (Page 126-129)

VII - Information et codage

LA DIVERSITÉ DES CODAGES

Comme nous le signalions précédemment, il y a des différences entre les gens:

leurs propres paroles ou leurs propres actions, 213 ainsi que celles des autres, leur suscitent plus ou moins de perceptions et de réactions par leur aspect «rapports»

ou par leur aspect «ordres». De même varie la proportion dans laquelle ils fonctionnent sélectivement ou progressivement. La partie de notre exposé que nous présentons ici tient compte de ces deux catégories de différences individuelles; et nous tentons de présenter un schéma suffisamment général et abstrait pour classer tout ce qu'il est concevable que les individus élaborent comme sortes de codage-évaluation. Ce serait une tâche surhumaine de vouloir énumérer toutes les variétés de codage et d'évaluation des humains. C'est pourquoi nous nous contenterons d'esquisser ici une grille de classement dans le cadre de laquelle pourront être faites des mises en relation de nombreuses catégories - et cette tâche ne devrait pas dépasser les possibilités de nos esprits.

Si l'on veut élaborer un schéma de ce genre, il convient de prendre pour point de départ un modèle plus simple que le modèle humain et qui sera totalement incapable de faire les codages et évaluations complexes caractéristiques chez l'homme. Nous pourrons ensuite

élaborer nos idées en

anthropomorphisant délibérément et systématiquement le modèle.

C'est un modèle de ce genre que propose la figure 1; elle représente le modèle minimal dont on puisse parler significativement. Les flèches représentent des chaînes causales et tout le diagramme représente une entité qui consiste en un circuit causal interne autocorrecteur sur lequel agit un environnement et qui agit sur lui. 214 Le lecteur qui désire un tableau plus complet peut imaginer, s'il lui plaît, soit un protozoaire engagé dans un tropisme positif, soit un servomécanisme engagé dans la poursuite d'une cible. En tout cas, quelle que soit l'image que l'on s'en fait, il est de toute façon incapable des codages et évaluations complexes qui sont du domaine de la présente étude. Tout au plus peut-il distinguer des éléments de l'environnement («lumière», «pas de lumière», etc.), mais certainement il ne sera pas capable de conceptualiser des notions telles que «Je perçois de la lumière», «Je vois de la lumière», «La perception de la lumière est un plaisir», ou bien «La lumière m'oblige à aller vers elle». Dans les actions et les autocorrections de systèmes de ce genre à tropismes simples, on ne peut pas percevoir de principes

(figure 1)

évaluatifs de ces niveaux assez élevés et ce sont des principes de ce genre que nous cherchons à classer. Ce modèle, donc, est utile en ce sens qu'il nous laisse carte blanche[NT 1] pour un cheminement systématique vers l'anthropomorphisme.

Ultérieurement, nous essaierons de considérer le cas plus complexe de l'interaction entre deux modèles de ce genre, et nous nous interrogerons sur les possibilités de codage et d'évaluation dans les processus d'interaction entre des personnes. Ici, dans une intention heuristique et de simplification, nous nous occupons d'abord des organismes en rapport avec un environnement impersonnel et nous examinons des types de complexité qui sont concevables dans ce cas simple mais réel.

Les catégories suivantes de codage-évaluation se présentent: elles sont énumérées dans un ordre logique (nous ne suggérons pas que l'évolution s'est faite dans cet ordre).

1. Discrimination d'entite's perçues dans la partie du circuit total que nous appelons l'environnement. Nous nous référons ici à la reconnaissance dans l'environnement de Gestalten et à la délimitation de celles-ci («chênes»,

«lumière», etc.). Cette catégorisation est triviale en ce qui concerne notre présente étude parce qu'il est relativement aisé dans le cours de la communication entre des personnes d'aplanir des malentendus à ce niveau, et qu'il est particulièrement facile de le faire quand on peut 215 adjoindre à la communication verbale le fait de désigner des objets et des événements. En répertoriant les diversités des codages possibles, nous remarquons que les Gestalten perçues par l'organisme sont en tout cas arbitraires, mais interdépendantes. L'organisme est libre, comme l'est d'ailleurs le scientifique, de délimiter les systèmes et les entités qu'il lui plaît dans le monde extérieur;

mais, une fois que certaines entités ont été discriminées, les classements ultérieurs se feront en fonction du système de discrimination dans lequel l'organisme est déjà engagé par ses distinctions antérieures. S'il a discriminé

«des chênes» et «de la lumière», la distinction entre «des aulnes» et «des chênes» ainsi que celle entre «le bleu» et «le rouge» s'ensuivront probablement.

2. Subdivision du sous-circuit que nous appelons l'organisme. Nous nous référons ici à la reconnaissance et à la discrimination par l'organisme de parties du corps, de sensations, d'actions et autres. A ce stade, il devient possible d'associer des sensations à des parties du corps et peut-être de conceptualiser des buts en fonction de la localisation des sensations - déjà une conceptualisation plus fine de la totalité de l'interaction entre l'organisme et l'environnement. Peut-être à ce stade devient-il possible que des parties de l'image du corps soient falsifiées et que ces falsifications soient projetées sur d'autres parties du circuit total, en particulier dans l'environnement.

3. Subdivision du circuit total en deux parties, le Soi et l'environnement. Dans l'ontogenèse, cette étape est sans doute facilitée par la présence d'autres organismes similaires et par la reconnaissance que ceux-ci sont semblables à soi; et il est possible qu'on ne puisse parvenir à aucune conception de soi en l'absence d'autres organismes similaires. Mais, quoi qu'il puisse en être, la différenciation de soi et de l'environnement peut se concevoir sans la présence d'autres organismes et par conséquent nous en discuterons ici. Une distinction de ce genre, comme toutes celles auxquelles nous avons affaire, est en un certain sens arbitraire et sa nature arbitraire est claire si l'on considère le modèle simplifié avec lequel nous avons commencé. L'organisme que nous imaginons est libre de tracer une ligne fermée n'importe où sur 216

ce diagramme et de considérer comme «Soi» tout ce qu'il y a à l'intérieur de cette ligne et au contraire de considérer comme «environnement» tout ce qu'il y a à l'extérieur; l'utilité effective de ce modèle fait ressortir cette liberté.

4. La figure 2 représente le cas

où l'organisme inclut à l'intérieur d'un «Soi» divers objets et divers événements qui sont à l'extérieur de sa peau, mais se trouvent intimement reliés à lui. Il inclut le cas également où il

désigne comme

appartenant à

l'environnement certaines des parties ou des fonctions de son corps sur lesquelles il ressent qu'il n'a pas de contrôle. Il n'existe en fait aucune façon de se délimiter qui soit juste;

l'échec de la

communication, la frustration et finalement l'hostilité et la pathologie peuvent provenir de ce que des organismes qui ont des prémisses conflictuelles à ce sujet cherchent à communiquer. En outre, leur communication sera rendue d'autant plus difficile que probablement ni l'un ni l'autre ne sera pleinement conscient de ce qu'il inclut lui-même dans sa notion de «Soi». Être à même de conceptualiser: «J'inclus ceci et cela dans mon "Soi"», est une performance déjà beaucoup plus complexe que le simple: «Je suis et il y a des choses qui ne sont pas moi.» La reconnaissance de phénomènes de conceptualisation sera étudiée plus loin. 217

5. Conceptualisation du contrôle entre soi et l'environnement. Ceci est encore une autre étape au-delà de la simple différenciation entre Soi et l'environnement. Cette étape amène l'organisme à percevoir l'environnement comme coercitif ou à se considérer lui-même comme coercitif envers l'environnement - chacune des deux conceptions étant généralement une simplification erronée de l'interaction réelle. La diversité des codages inclura toutes ces attributions de passivité et d'activité au Soi et à l'environnement.

6. Conceptualisation d'arcs de causalité séparés à l'intérieur de soi. Nous nous référons ici à des prémisses telles que: «Je suis le maître de mon âme», ainsi qu'à la dichotomie de l'esprit et du corps. Il se peut que chacune de ces prémisses soit dérivée d'un codage qui identifierait peut-être des parties de l'organisme lui-même comme «environnementales», combinées avec des prémisses sur le contrôle de l'environnement ou par l'environnement. En fait, il est probable que la division interne de l'individu soit un écho symbolique des relations présumées entre soi et l'environnement.

7. Multiplicité des niveaux d'abstraction. Dans le paragraphe précédent, nous avons introduit une étape d'un genre spécial. Nous avons supposé que l'organisme peut adopter, comme dispositif pour coder des relations entre des arcs de causalité à l'intérieur de soi, certaines prémisses antérieurement utilisées dans le codage entre soi et l'environnement. Nous remarquons en passant qu'une telle façon de faire, qui repose sur l'analogie, peut très bien induire en erreur, mais que cela ne se produit pas obligatoirement. Ce sont, en fait, la possibilité et la nature de démarches de ce genre dans le codage qui nous intéressent plutôt que leur validité. En somme, l'organisme perçoit la

(figure 2)

Gestalt A et la Gestalt B et code en supposant qu'il y a une relation (de similitude ou de non-similitude) entre A et B. Cette procédure implique soit explicitement, soit implicitement un plus haut niveau d'abstraction que celui impliqué dans le codage primaire des deux Gestalten. La «similitude ou non-similitude» est plus abstraite que la Gestalt A ou la Gestalt B. Par des démarches de ce genre, le système de codage de l'organisme devient de plus en plus élaboré et peut comporter de nombreux niveaux d'abstraction 218

dont les interrelations sont susceptibles d'une grande diversité.

8. Gestalten qui impliquent des durées différentes. L'organisme peut considérer qu'un mouvement isolé est un «acte»; il peut aussi bien voir des séquences entières d'événements, en même temps y compris ses propres actions et les résultats de ces actions, comme constituant une unité en relation avec une finalité ou avec un échec. Il peut même conceptualiser en même temps avec les limitations de sa propre vie, et, avec des notions de ce genre étendues symboliquement, il peut voir une cérémonie d'initiation, ou même sa propre expérience thérapeutique, comme une sorte de mort ou de renaissance.

9. La réification des concepts. Finalement, l'organisme peut utiliser son propre système de codage de différentes façons. Dès que la complexité atteinte est suffisante pour permettre deux ou plusieurs niveaux d'abstraction, l'organisme devient susceptible de traiter des abstractions d'un niveau plus élevé comme si elles étaient équivalentes à des abstractions d'un moindre niveau. En bref, l'organisme peut réifier n'importe quel concept dans le cadre de toute la gamme qui a été énumérée ci-dessus; il peut aussi doter le concept, par exemple, d'efficacité causale ou de contrôle. La «moralité» (qui est une abstraction tirée des actions et des paroles de soi-même et des autres) peut être considérée comme une contrainte pour ses propres actions;

l'organisme peut respecter les «conventions culturelles» ou il peut se révolter contre elles; il peut même railler ou répudier la mort (une abstraction sur laquelle il ne peut, en l'occurrence, avoir aucune information subjective).

Ce très bref examen des niveaux de complexité du codage et de la diversité de ses possibilités servira à préparer le lecteur à une généralisation: c'est que tout organisme peut commettre de nombreux types d'erreurs dans son codage et dans ses interprétations du monde. La partie qui suit va essayer de définir quelques-unes de ces catégories d'erreurs. 219

Dans le document Td corrigé Gregory Bateson - Ma Pomme pdf (Page 126-129)