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PRÉMISSE DÉ VALEUR ET COMMUNICATION

Dans le document Td corrigé Gregory Bateson - Ma Pomme pdf (Page 33-36)

Le terme valeur est assez couramment utilisé dans le langage populaire et est étroitement lié à deux notions: d'une part, on peut attribuer de la valeur à n'importe quel objet et à n'importe quelle action; d'autre part, la valeur est une quantité qui rend possible l'évaluation comparative. On suppose que tout objet et toute action peuvent être comparés à tout autre objet et à toute autre action quand des valeurs sont substituées à l'idée de ces objets et actions. En fonction de ces notions, la valeur est un dispositif qui rend commensurables des choses non comparables; 061

par exemple, les gens relient le prix à toutes sortes d'activités ou de commodités;

ainsi, le prix de cinq dollars pour des chaussures d'enfants peut être évalué comparativement au prix de cinq dollars de whisky. La valeur est aussi un dispositif qui permet de différencier des choses qui se ressemblent étroitement: on peut préférer une marque de whisky à une autre parce qu'elle coûte quelques cents en plus ou en moins. Pour les besoins de notre présente étude, toutefois, nous emploierons le mot valeur dans un sens plus général et moins quantitatif [124].

Ce sens plus large du concept de valeur peut être rapproché de la notion plus simple de préférence. La préférence indique toujours la réaction d'un organisme devant deux ou plusieurs possibilités qui ont été perçues. Ces possibilités se rapportent, d'une part, à une série de stimuli perçus et, d'autre part, à l'anticipation d'une série de réactions de l'organisme. Afin de faciliter une décision face à des choix multiples, l'organisme subdivise en groupes les stimuli perçus et les réactions anticipées. Par une série de processus compliqués, l'organisme en arrive finalement à un énoncé de préférence. Cette manifestation de préférence, nous l'appellerons une valeur.

Ce sont les préférences manifestées qui révèlent le fonctionnement de l'esprit d'une personne. Fréquemment, le choix se limite à une alternative dans laquelle on peut associer par exemple «mort» et «déshonneur», ou bien «whisky» et

«chaussures d'enfant», ou bien encore «base-bail» et «handball». Dans ces exemples, la situation de choix est claire mais, la plupart du temps, les choix sont si nombreux qu'ils ne peuvent pas être classés en alternatives simples. Il semble que dans la vie d'un individu ses propres actions, les objets extérieurs qui l'entourent, les événements auxquels il participe et même ceux dont il est le spectateur - tout cela peut être disposé en un réseau de préférences.

Ces systèmes ramifiants, ou réseaux de préférences, dont nous nous occupons dans la présente étude, sont au cœur de tous les processus de communication. Par exemple, si nous - B - entendons A affirmer quelque chose, ou si nous voyons l'un de ses gestes, ou bien si nous l'observons simplement en train de vaquer à ses occupations, les conclusions suivantes (facilitées par nos impressions concernant celui qui parle et par notre connaissance de sa culture) nous viendront à l'esprit: 062

premièrement: dans le cadre du champ social au sein duquel A agit, un grand nombre de stimulations possibles se sont produites;

deuxièmement: A, qui agit dans ce champ, a perçu une partie de ces stimulations, mais il est impossible de spécifier lesquelles;

troisièmement: A possède un certain nombre de moyens par lesquels il peut répondre;

quatrièmement: la réponse faite par A est le produit final d'un processus compliqué.

Ni A ni nous-même à la place de B ne savons de façon certaine quelles stimulations ont été perçues ni quelle gamme de réponses a été considérée.

Finalement, tout ce que nous voyons, c'est une action préférentielle de la part de A.

Cette action implique l'idée qu'une stimulation, dans un large champ de stimuli, a entraîné une réponse dans un champ de réponses. Ainsi, il est bon de rappeler que, dans la communication courante, tout énoncé de préférence de valeurs n'est pas uniquement un message sur ce qui a été choisi, mais évoque implicitement, chez celui qui le reçoit, certaines associations sur ce qui aurait pu être perçu, sur le cours des événements qui aurait pu s'ensuivre, et sur les jugements à propos de ce qui aurait dû être fait. Effectivement, cet arrière-plan implicite est ce qui confère de la signification à tout énoncé, et aussi bien le locuteur que l'auditeur en font libéralement usage. «Vous voyez ce que je veux dire» est une expression qui illustre

ce phénomène, évoquant soit un patrimoine culturel commun, soit l'expérience antérieure que l'auditeur possède du système de valeurs du locuteur.

Quand des personnes conversent, chacune émet plusieurs suppositions concernant l'état psychologique de l'autre. Nous, par exemple, en tant que B, supposons que, lorsque A perçoit plusieurs alternatives, il les compare entre elles;

en d'autres termes, nous supposons que A arrivera à une action ou à une parole dans laquelle une préférence se manifestera - ouvertement ou implicitement. En outre, nous attribuons à A la capacité d'évaluer des éléments hétérogènes - au moins par paires - sur une échelle homogène. La «comparaison» implique que, quelque différents que soient les éléments, un certain dénominateur commun peut être trouvé. Ce processus psychologique inféré englobe non seulement nos considérations relatives à la nature des stimuli et aux 063 réponses possibles de A, mais inclut aussi l'idée que A a eu certaines expériences antérieures. Dans le langage quotidien, le terme «justification» dénote certaines délibérations personnelles qui ont pour but de confronter les événements présents avec l'expérience passée. De cette façon, l'action envisagée s'accompagne d'idées concernant des pratiques généralement admises. Les suppositions que nous faisons sur A, par conséquent, renvoient à des processus intrapersonnels au nombre desquels nous incluons la perception, la comparaison, la justification et l'évaluation qui sont supposées mener soit à un énoncé formel de préférences, soit à une action à partir de laquelle nous, observateur, pouvons déduire une préférence.

A ce point, il semble nécessaire de récapituler ce que nous avons dit sur la fonction de la culture dans les relations interpersonnelles. Nous disons simplement qu'une prémisse de valeur est une généralisation faite par un observateur sur les perceptions et les actions d'une autre personne. L'observateur impute ces généralisations à l'autre personne ou les projette sur elle. Inversement, la personne qui s'engage dans une certaine action - parole, geste ou autre mouvement - le fait pour être accessible à l'observateur. Ce faisant, elle exprime son système de préférence. A agit en sorte que, effectivement, B tire des conclusions sur son processus intrapersonnel (le processus intrapersonnel de A) qui, autrement, serait inaccessible. L'observateur est incité à compléter à partir de son propre système d'information le sens du comportement de l'autre. Ce n'est qu'au moyen de ce complément que l'observateur peut comprendre le message. Cette façon de

«combler les vides» provient naturellement des communications culturelles de masse auxquelles un individu a été exposé. Les personnes qui ont été élevées dans le même système culturel parlent plus ou moins la même langue et possèdent plus ou moins les mêmes valeurs. Elles peuvent différer et même s'opposer au sujet des préférences, mais en fait elles se comprennent. L'un dans l'autre, elles seront d'accord quant aux éléments que l'on peut comparer avec pertinence et elles ont une conception semblable du «commun dénominateur» mentionné plus haut.

Comprendre [169], c'est surtout percevoir l'action d'une personne et en déduire la série de processus intrapersonnels dont cette action représente le résultat final.

Bien sûr, plus les déductions seront correctes, plus les deux personnes parviendront à 064 posséder une information commune. On peut apprendre à connaître l'autre de plusieurs façons: la première manière consiste à vivre avec un individu pendant une longue période. En accumulant continuellement de l'information, et en s'exposant de façon répétée à des événements semblables, les deux personnes apprennent chacune à faire des déductions correctes sur leur comportement réciproque.

Toutefois, cette méthode prend du temps, et souvent n'est pas pratique, parce que, dans la vie quotidienne, nous devons communiquer avec un très grand nombre de gens que nous n'avons jamais vus auparavant. Bien que nous ne connaissions pas

intimement la plupart des gens que nous rencontrons, nous possédons une certaine information a priori sur leurs systèmes de valeurs si nous connaissons la culture dans laquelle ils ont vécu. S'ils partagent notre propre culture, cette information sera assez détaillée.

Dans les chapitres IV, V et VI, nous nous étendrons plus longuement sur ces informations a priori partagées par les gens qui vivent dans le secteur américain de la civilisation occidentale. Nous présenterons les prémisses des valeurs qui gouvernent la communication aux États-Unis - la matrice sociale - en supposant qu'un voyageur parlant anglais explore l'Amérique pour la première fois de sa vie et s'étonne du nombre de choses qu'il ne comprend pas [32; 47; 65; 86; 95; 102; 157;

167]. Certaines de ces observations sont bien connues des étrangers, mais les Américains sont bien souvent incapables d'exprimer d'une façon précise ces aspects mêmes. L'individu né aux États-Unis comprend implicitement ces indices auxquels il réagit sans jamais avoir besoin d'y réfléchir [7; 9; 49; 69; 82; 112; 175].

Mais, dès que le psychiatre né aux Etats-Unis s'occupe de thérapie et de réadaptation - c'est-à-dire dès qu'il essaie d'améliorer les moyens de communiquer d'un patient -, il doit prendre plus clairement conscience de la nature de la communication qui s'établit entre lui et le patient. Alors que, dans la vie quotidienne, les gens communiquent continuellement sur la base d'informations incomplètes, cette façon de procéder est assez insatisfaisante pour un psychiatre qui entreprend une thérapie. Une information incomplète peut suffire dans la vie de tous les jours parce que l'action qui suit immédiatement complétera partiellement l'information qui manque. Cependant, en thérapie, lorsque l'on essaie de modifier le système de communication lui-même, il faut disposer 065 d'une information plus complète pour mener la tâche à bonne fin. C'est pourquoi, avant de discuter de la nature de l'information inhérente à la matrice sociale, nous allons au prochain chapitre voir comment les psychiatres doivent compter sur l'information portant sur les valeurs et la communication, afin d'aider leurs patients.

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Dans le document Td corrigé Gregory Bateson - Ma Pomme pdf (Page 33-36)